dimanche 13 octobre 2019

CE QUE « CONFRATERNITÉ » SIGNIFIE ?


Elle part.

Je le sais depuis plusieurs semaines, j’ai eu le temps de m’y préparer, elle y a mis les formes, précautionneuse qu’elle est.

Je le sentais, je l’imaginais, je le craignais, puis je l’occultais.

Mais là, tout de suite, maintenant, ce sont les derniers jours. Et l’horloge tourne, tourne et file encore jusqu’à ce que pointe inexorablement ce putain de dernier jour. Game over. Force est de constater que je ne suis pas si prêt que ça.

Il y a une dizaine d’années, elle m’accueillait à bras ouverts, elle me tendait une main bienveillante à la découverte de ce monde nouveau pour moi.

Elle, c’est une consœur qui m’a appris ce que « confraternité » signifie.

Confraternité ?

Il y a pourtant un code prévu pour cela :

Confraternité / Article 56 du code de déontologie médicale :

« Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité.
Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil départemental de l'ordre.
Les médecins se doivent assistance dans l'adversité. »

Il y a également des codes :

« Cher confrère, chère consœur » en début de courrier.

« Confraternellement » en fin voire « Bien confraternellement » lorsque l’on est en forme et que l’on veut vraiment marquer avec vigueur notre confraternité.

Il y a des pratiques : ne jamais dire du mal de son confrère même s’il s’agit d’une crapule voire pire, fermer les yeux face à certaines pratiques, certains actes, se boucher les oreilles sur certains propos, sous couvert de cette sacro-sainte confraternité.

Il y a du plus médiatique comme ces médecins signataires d’une tribune contre les « fake médecine » poursuivis devant le conseil de l’ordre pour non confraternité par certains de leurs confrères homéopathes.

« Doivent entretenir » = obligation / Non-respect de l’obligation = sanction ?

« Différend » ; « Conciliation » ; « Adversité » = confraternité ou confrontation ?

Terminologie peu engageante dans le code à mon goût.

Beaucoup trop de paraître dans les codes à mon goût.

Des affaires scandaleuses à vous provoquer le dégoût.

Et elle qui part.

Il y a une dizaine d’années, sa main bienveillante me guidait pour mes premiers pas sur ce nouveau poste de médecin.

Peu de temps après j’étais à ses côtés lorsqu’on lui proposait une évolution, de nouvelles responsabilités.

Dans le milieu médical comme ailleurs, on rencontre grosso modo deux catégories de personnes pouvant prétendre à une évolution de carrière au sein de nos organisations pyramidales. La première, bien fournie, est celle des dents qui rayent le parquet quand elles ne le tronçonnent pas, celle des coups bas, des requins assoiffés de pouvoir, des costumes trop larges pour les épaules. La seconde est celle des valeurs, tant professionnelles qu’humaines, celle du costume naturellement taillé pour, des compétences, de l’intégrité et de l’exemplarité.

Jusqu’à ses derniers instants à son poste, elle aura fait partie de cette deuxième catégorie.

Contre vents et marrées, elle a défendu une certaine vision de l’exercice médical, l’intérêt des patients, la déontologie, l’indépendance du médecin. Elle aura croisé le fer avec justesse non pas pour son poste, sa carrière, ou faire gonfler son ego, mais pour tout ce qui contribue à la noblesse de ce métier. C’est peut-être aussi pour cela qu’elle s’est épuisée et qu’elle part.

Je l’ai su, je le pense, je l’écris plusieurs fois pour que ça rentre, et je m’apprête à le vivre ce départ. Professionnellement, je me sens déjà orphelin.

Elle aura grandement contribué à ma décision lorsque, à mon tour, j’ai pris des fonctions similaires aux siennes. Je savais qu’elle serait là, que je pourrais compter sur elle, sur sa main tendue toujours aussi bienveillante. Une dizaine d’années plus tard, de nouveaux premiers pas pour moi, parfois un pas de travers, souvent un pas maladroit, et elle, pas un mot blessant, pas un jugement, mais de précieux conseils, des échanges enrichissants, toujours pertinents.

Après son départ, si j’ai à correspondre avec elle dans le cadre professionnel, je saisirai tout le sens, tous les sens de mon « Bien confraternellement » jusqu’à la pointe appuyée de ma plume à la fin de mon courrier.

Car elle part et ce qu’elle me laisse de plus précieux, c’est ce que « confraternité » signifie, pas la confraternité du code, ni celle des codes ou des pratiques, mais la confraternité du cœur.

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