mardi 27 janvier 2015

CAHIER DE DOLÉANCES

 

«Pivot du système de santé» - «Spécialité à part entière» - «L’un des plus beaux métiers au monde»

Les attributs sonnent bien, mais le constat est clair : la médecine générale se meurt.

Fin de vie programmée ? Euthanasie actée ? Ou véritable impuissance des autorités s’empêtrant dans des soins palliatifs à doses micro-homéopathiques ?

Un système de santé moderne, fiable, cohérent, centré sur l’intérêt du patient et de la population avant celui des industriels du médicament et de la consommation médicale à tout-va ne peut se passer des services et compétences des médecins généralistes.

Les médecins généralistes eux-mêmes sont-ils conscients que leur indéniable spécificité, leur principal savoir-faire réside pour une large part dans leur savoir-ne pas faire ? N’est-ce pas là le principal enjeu des décennies à venir ? Être le principal acteur en poste dans la vigie de la tour de contrôle, le bon aiguilleur qui lancera investigations et thérapies adéquates au bon moment tout en limitant celles qui ne le sont pas. Que doit-on entendre derrière l’expression «pivot du système de santé» ? Le généraliste est peut-être un pivot, mais doit surtout être une porte d’entrée et/ou sortie du système. Un filtre.

Il faut sauver le soldat médecine générale !

Il ne s’agit pas là d’un cri visant égoïstement à défendre les intérêts ou quelques «privilèges» d’une profession. Divers syndicats le font déjà plus ou moins adroitement avec les résultats que l’on connaît et que chacun peut interpréter comme il l’entend.

Incitations, coercition, désertification, groupes de réflexion, revalorisation, pseudo-négociations, augmentation de la consultation, formation, pseudo-conseillers experts auto-proclamés. Au ministère de la santé, les ministres de droite comme de gauche se suivent, et se ressemblent… Quoi de plus normal ? Peut-on demander à une personnalité politique de faire autre chose que de la politique ?

Dernier exemple en date : le Tiers-Payant Généralisé.

Le 23 septembre 2013 du côté du ministère de la santé est dévoilée la stratégie nationale de santé. A la page 18, au chapitre 2.1.2, consultable ici, on peut lire ceci à propos du tiers-payant :

«La possibilité ouverte aux médecins généralistes et spécialistes d’accorder une dispense d’avance de frais (tiers-payant) à leurs patients sera généralisée.»

Automne 2014, lors de la présentation du projet de loi santé, la «possibilité d’accorder le tiers-payant» devient le «tiers-payant obligatoire». Les mots «possible» et «obligatoire» semblent être synonymes dans la tête ministérielle.

Résultat : la profession se crispe.

Plusieurs thèmes de la loi semblent semer le mécontentement. Mais c’est essentiellement autour du Tiers-Payant Obligatoire que la colère se cristallise et que les rangs se forment. Les syndicats préparent le combat. On craint l’étatisation de la médecine libérale. C’est pourtant bien plus sa privatisation dissimulée qui est à redouter. Le mouvement se durcit. Certains propos s’enveniment pour voler dix étages en dessous du ras des pâquerettes.

Quelques médecins et futurs médecins sous couvert de la tradition de l’esprit carabin se vautrent dans l’abject pour le plus grand bonheur des média qui s’emparent goulûment de l’affaire en l’amplifiant. Mais surtout pour le plus grand bonheur d’une ministre droite dans ses bottes qui reçoit là comme tombée du ciel cette fresque de salle de garde dont elle peut puiser une formidable opportunité de faire diversion pour éventuellement se faufiler tête haute dans une issue de secours inespérée. Pourtant ne nous y trompons pas. En même temps qu’est annoncée la reprise en mains du dossier par l’Élysée, on apprend la formation de groupes de travail pour faire évoluer le texte de loi. La ministre reconnaîtrait-elle avoir mis la charrue avant les bœufs ? Quelle crédibilité lui accorder désormais ? Ce qui est certain, c’est que beaucoup de ministres ont vallsé pour moins que ça.

Pendant ce temps-là, la médecine générale continue de rouler sur la pente d’une mort prochaine et certaine.

Quel gâchis et quelle effroyable perte de temps !

Le temps ? N’est-il pas venu le temps pour soignants et patients qui ne se reconnaissent pas dans ce microcosme politico-syndical ayant pour le moment prouvé toute son inefficacité, de dépasser ces gesticulations stériles pour exprimer leurs souhaits et solutions afin de sauver la médecine générale ? Le temps de cette fameuse démocratie participative ?

Souvent, pour faire avancer les choses, deux ou trois grandes mesures claires, correctement discutées et préparées, facilement et rapidement applicables sont suffisantes et nécessaires.

Exemple médical : une personne en arrêt cardio-respiratoire nécessite qu’une autre personne pas forcément urgentiste, pas forcément médecin, pas forcément soignant, alerte les secours et débute les gestes de réanimation : masser et ventiler. Point barre.

L’alerte sur l’état critique du soldat médecine générale est donnée mais les gestes de secours ne suivent pas. Le temps est peut-être venu pour le couple patients-soignants, citoyens-professionnels de s’exprimer et proposer les gestes indispensables à leurs yeux pour faire repartir le soldat mourant. Éviter le déplaquage des plus ou moins anciens, faire revenir ceux déjà passés à l'acte, attirer les plus jeunes. De ce cahier de doléances pour sauver la médecine générale pourraient être dégagées deux ou trois grandes mesures venues du bas peuple. Car voyez-vous ces gens-là, les gens d'en bas, professionnels de terrain et simples citoyens, pas forcément syndiqués, par forcément politisés, rarement médiatisés, ces gens-là ne sont pas pour autant résignés. Ces gens-là en auraient sûrement des choses sensées à dire. La balle serait alors envoyée là-haut dans le camp des puissants. A eux ensuite de s’en saisir.

Ce blog n’a pas la prétention encore moins l’audience suffisante pour être le réceptacle des doléances de tous ceux qui souhaiteraient s’exprimer sur le sujet. Mais si certains se reconnaissent dans cette démarche dénuée de tout intérêt personnel, si l’initiative les séduit, qu’ils veulent faire suivre et faire mûrir l’idée, qu’ils ne s’en privent pas.

Quant à ceux qui n’y voient qu’utopie, niaiseries, futilités ou inutilité. C’est tout à fait plus qu’entendable. Continuez de vous battre contre tout ce que vous voulez, ne vous rassemblez surtout pas pour. En revanche préservez un peu vos forces et idées pour écrire quelques mots non pas sur le cahier de doléances de la médecine générale, mais sur son cahier de condoléances…

Confraternellement.




vendredi 9 janvier 2015

LA CARTOUCHE ET LA PLUME




Larmes, honte, et fierté.
 
Le 6 janvier au petit matin, je publiais un post dont la conclusion mesquine comportait ces mots : «nous sommes en janvier 2015, tout va bien dans le meilleur des mondes…»
 
L'après-midi de ce même 6 janvier, lors d’une réunion de travail je présentais un petit topo qui traitait de violences, de victimes, d’auteurs, de psychotraumatismes, de dissociation, de mémoire traumatique, topo plus que fortement inspiré des écrits de Muriel Salmona.
 
Puis le 7 janvier… pas besoin de faire un dessin… quoique…

 


D'abord les larmes.

J’ai pleuré.

Pleuré des larmes muettes face à cette lâche cruauté.

Pleuré les victimes, toutes les victimes, d’hier, d’aujourd’hui et de demain, ainsi que leurs proches.

Pleuré ceux qui à leur façon ont tenté de libérer la pensée de ses chaînes par un simple trait de plume.

Pleuré l’innocence du citoyen anonyme qui se lève le matin pour aller faire son taf et qui ne rentrera jamais, agent d’entretien, fonctionnaire de police.

Pleuré de tenter d’expliquer l’inexplicable à mes enfants.

Enfant.

Dans mon esprit, loin devant Charlie, l’une des «célèbres» victimes de cet effroyable attentat me renvoie à mon enfance. Ce zigoto à la drôle de tignasse qui me faisait penser à un moine aux côtés du nez de Dorothée. L’innocence de l’enfance. Si un jour on m’avait dit que Cabu terminerait comme ça un matin d’hiver… Expliquer l’inexplicable, l’impensable.

J’ai aussi pleuré les possibles conséquences en tout genre de ce drame, les amalgames, la récupération, et ce musulman que j’ai vu pleurer autant sinon plus que d’autres pendant la minute de silence.


Ensuite la honte.

J’avoue aussi avoir honte d’être ce citoyen moyen, ronchon, qui ne ressentait quasiment plus rien le matin devant son bol de café lorsque la radio relatait qu’un énième attentat avait fait des dizaines de morts loin de chez lui.

Honte de cracher régulièrement à la gueule des fonctionnaires alors que nombre d’entre eux défendent nos libertés, courent sauver des vies, traquent au péril de la leur ceux qui sèment la terreur et la mort.

Honte d’entendre cette petite poignée d’irresponsables politiques fissurer cette fameuse union nationale à peine née en se querellant au sujet d’une marche républicaine.

Honte face aux premiers incidents visant la communauté musulmane.


Enfin et surtout la fierté.

Malgré tout je suis fier.

Fier de faire partie de ce peuple qui se donne la main, de cette démocratie qui fait malgré tout bloc avec dignité et respect.

Fier de ce message de paix qui s’est répandu à la vitesse de la lumière à travers le monde. Quelle magnifique pandémie. Propageons la plus encore.

Fier de voir fleurir textes émouvants, images saisissantes et même dessins «humoristiques» nés de cette tragédie.

Soyons convaincus et faisons tous en sorte que face à la plume, la cartouche ne fasse jamais le poids.

Laissons couler l’encre, pas le sang.



Les mots comme les larmes : c’est moi.

L'illustration : pour une fois j’ai tenté de prendre ma plume pour ça aussi.


mardi 6 janvier 2015

FAIRE, DÉFAIRE, LE SAVOIR-NE PAS FAIRE ?

 

Il s’agit de la première consultation que je réalise en compagnie de l’interne nouvellement arrivée, débutant son troisième semestre de spécialité en médecine générale. Nous n’imaginons pas encore les nombreuses pistes de réflexions qui s’en suivront.

 
Visite du quatrième mois d’un nourrisson sans antécédent, en parfaite santé. Fastoche.
 
Il est prévu de lui faire sa deuxième série de vaccins recommandés par le calendrier vaccinal. Premier enfant du couple. Maman relativement anxieuse notant ses questions sur un papier pour ne rien oublier.
 
Cette maman signale que ce matin au réveil son enfant a présenté une fièvre modérée, avec rhinorrhée, ainsi qu’une selle liquide. De quoi aborder avec cette maman autant qu’avec l’interne la prise en charge de la fièvre, les signes de mauvaise tolérance, la prise en charge d’une éventuelle diarrhée, les signes de mauvaise tolérance. De quoi se poser des questions, comme vacciner ou reporter les vaccins ?
 
La maman me demande si je vais prescrire un antibiotique ?!...
 
Je me demande pourquoi cette maman me demande si je vais prescrire un antibiotique ?!... Vraiment les mamans hein ?... Quoi les mamans ? Ne critiquons pas trop vite les mamans.
 
La maman m’apprend que son bambin a déjà présenté une fièvre autour de l’âge de un mois et demi, apparemment modérée et bien tolérée. Elle avait alors emmené son enfant chez un médecin nommé exclusivement pour ce billet le Docteur A. Bashung. Plutôt un bon réflexe de la part de cette maman d’aller consulter pour une fièvre chez un enfant de cet âge.
 
Un traitement antibiotique par Josacyne a alors été prescrit, « à donner en cas de persistance de la fièvre ». Je ne saurai jamais ce qu’a dit exactement ce médecin, le Dr Bashung, ni ce qu’il a vu. Il faut toujours se méfier des discours rapportés. Mais voilà ce que la maman semble avoir compris, et elle peut difficilement avoir inventé l’ordonnance d’antibiotique. De la Josacyne ?!... Il faut oser ! Osez osez Josacyne, plus rien ne s’oppose à la nuit, rien ne se justifie… Sacré Bashung !
 
Voilà de quoi discuter avec l’interne qui à ma grande satisfaction n’est pas restée de marbre face à cette situation. La fièvre chez un nourrisson de moins de trois mois, la prescription d’un antibiotique au cas où, à l’aveugle, laisser seule la mère juger de l’intérêt de donner ce traitement, le risque de décapiter une infection, la médecine cow-boy, la médecine du faire et prescrire à tout prix, etc… Tout cela n’a évidemment pas été dit comme ça devant la maman, et il y a eu une discussion off. Ce qui équivaut à se cacher derrière cette sacro-sainte déontologie en protégeant une médecine qu'on refuserait pour soi et les siens tout en s'évitant quelques tracasseries ordinales...
 
Avec l’interne, nous décidons qu’il n’y a aucune urgence à vacciner ce bambin aujourd’hui, cela peut attendre quelques jours.
 
La maman est d’accord et semble même rassurée. Elle en profite pour me demander si l’on pourra vacciner son enfant contre la gastro-entérite ?!...
 
Je me demande pourquoi la maman me demande si l’on pourra vacciner son enfant contre la gastro-entérite ?!... Un vaccin ne faisant pas encore partie des recommandations et dont j’avais consacré un billet : LES EXPERTS. Vraiment les mamans hein ?... Quoi les mamans ? Ne critiquons pas trop vite les mamans.
 
La maman qui vient de reprendre le boulot m’apprend qu’elle a récemment rencontré le médecin du travail. Je n’ai absolument rien contre les médecins du travail. C’est d’ailleurs une espèce en voie de disparition qu’il serait à mon humble avis judicieux de préserver et réintroduire rapidement avant qu’il ne soit trop tard. Mais ce médecin du travail en particulier aurait fortement conseillé à cette maman de faire vacciner son enfant contre la gastro-entérite, car durant sa vie de bambin, il chopera automatiquement la gastro-entérite (donc le vaccin évitera avec certitude que maman prenne des jours pour enfant malade, je barre car ça c’est moi qui invente). Je ne saurai jamais ce qu’a dit exactement ce médecin du travail. Il faut toujours se méfier des discours rapportés. Mais voilà ce que la maman semble avoir compris : « il faut absolument vacciner mon enfant contre la gastro ».
 
Voilà de quoi discuter avec la maman et l’interne qui manifestement ne sait pas trop quoi dire sur ce vaccin. Si cette maman décide de faire vacciner son enfant, aucun souci. A condition qu’elle sache auparavant qu’il s’agit d’un vaccin contre le rotavirus et non contre toutes les gastro (on aime faire ce genre de raccourcis comme vaccin anti-HPV = vaccin contre le cancer du col de l’utérus ou encore vaccin contre la grippe = vaccin contre toutes les viroses hivernales… Serait-ce pour occulter tout débat quant à l’efficacité et la pertinence de ces vaccins ?). A condition qu’elle sache également qu’à l’heure où nous réalisons cette consultation, ce vaccin ne fait pas partie des recommandations, qu’il n’est donc pas remboursé et relativement coûteux. Et qu’elle sache surtout qu’il existe un risque d’invagination intestinale aiguë post-vaccinal, ce n’est pas moi qui l’invente, c’est écrit noir sur blanc dans le rapport des experts du Haut Conseil de la Santé Publique :
 
« Le Haut Conseil de la santé publique recommande que l’information sur le risque d’invagination intestinale aiguë soit systématiquement délivrée par les professionnels de santé aux parents des enfants vaccinés. »
 
Je n’ai absolument rien contre les pharmaciens, je sais que certains pourront s’offusquer de la question qui va suivre mais tant pis je pose ma question : quid de ce genre de demande lorsque les vaccinations se réaliseront dans les officines ?
 
Après toutes ces discussions, un certain temps s’est écoulé, on n’a quasiment rien fait, on pourrait même dire qu’on a passé du temps à défaire…
 
Alors il est temps de passer à l’examen clinique de ce bébé de quatre mois.
 
L’enfant présente une plagiocéphalie.
 
La maman m’apprend qu’elle couche son enfant sur le côté ?!...
 
Je ne me demande pas pourquoi la maman couche son enfant sur le côté ?!... Mais même en présence d’une plagiocéphalie, la position recommandée pour prévenir la mort subite du nourrisson reste il me semble le couchage sur le dos. Vraiment les mamans hein ? Quoi les mamans ? Ne critiquons pas trop vite les mamans.
 
Elle tente de me rassurer en me disant qu’elle utilise un cale-bébé. Allez, un cale-bébé, encore une piste de discussion. Vraiment les mamans et les fabricants de matériel de puériculture hein ?
 
La maman m’apprend que pour la plagiocéphalie de son fils, elle est allée voir un ostéopathe. Je n’ai absolument rien contre les ostéopathes, mais celui-ci aurait conseillé le couchage latéral, et le cale-bébé. Je ne saurai jamais ce qu’a dit exactement l’ostéopathe. Il faut toujours se méfier des discours rapportés. Mais voilà ce que la maman semble avoir compris.
 
Elle voit que je tique. Je regarde la jeune interne, sage comme une image, dont l’insolente jeunesse me crache un bon coup de vieux à la gueule. La vie quoi. Désolé, mais même en pleine consultation, j’ai des artéfacts de ma vie personnelle qui viennent promptement piqueter la grisaille de mon cortex cérébral. Quel mauvais professionnel je suis ! Le pire est à venir lorsque cette seconde de réflexion intime s’éteint et que je me reconnecte à la consultation en cours. Je ne sais pas si c’est bien, si c’est correct, mais voilà, je me suis lancé pour dire que je comprenais que l’aspect esthétique de cette plagiocéphalie puisse déranger cette maman. Mais qu’à ma connaissance, aucun bébé n’était mort de plagiocéphalie, en revanche, les positions et conditions de couchage, c’est une autre histoire.
 
On part dans des explications, des conseils, ça prend du temps. Une fois de plus, je me vois défaire ce qu’un autre professionnel du soin a (aurait) fait.
 
Une seule et unique consultation, la première avec la nouvelle interne, de nombreuses pistes de discussions et de réflexions. Un véritable feu d’artifice, le baptême du feu. La consultation a duré un certain temps. J’ai le luxe (pour l’instant) de pouvoir faire des consultations longues.
 
Pour «faire», un quart d’heure suffit amplement, même cinq minutes. Pour «défaire», il faut plus de temps. Défaire, déprescrire, réévaluer. Normalement dans bien d’autres domaines, c’est l’inverse, on détruit plus vite qu’on ne construit. Un truc clocherait-il ? Ou alors est-ce moi qui n’ai rien compris ? Ai-je loupé un épisode ? Suis-je si con que ça ? Ai-je vraiment le niveau pour accueillir des internes ? Ai-je eu le bon discours face à cette maman angoissée, le tact et la mesure ? Ne l’ai-je pas plus angoissée encore ?
 
Quelques jours après, je l’attends avec son bambin pour faire les vaccins.
 
A l’heure du rendez-vous : personne, lapin.
 
Aussitôt je me dis que mon discours n’a pas été le bon et qu’elle a fui. Puis je repense à la fièvre débutante, l’enfant a peut-être été hospitalisé.
 
Alors je frissonne à l’idée d’une consultation du quatrième mois qui n’a jamais eu lieu quelques années plus tôt, relatée ici derrière ces mots.
 
Je cherche le numéro de téléphone sur le dossier médical. Je saisis mon combiné. La maman me répond : « Oui bonjour docteur, j’arrive, je me gare. Quoi ? 10 h 00 ? Mais non la secrétaire m’avait donné un rendez-vous à 11 h 00. »
 
Ouf.
 
La fièvre n’a duré que deux jours, modérée, bien tolérée. La maman s’est renseignée sur le vaccin contre la gastro-entérite et a décidé de ne pas le faire. Elle couche désormais son bébé sur le dos.
 
On a quasiment rien fait, à part discuter…
 
Faire, défaire, refaire.
 
Il est de toute évidence important d’acquérir un savoir-faire. Il est souvent dangereux de se lancer sans savoir-faire. Mais le principal ne réside-t-il pas également dans le savoir-ne pas faire ? Le savoir-ne pas faire n’a-t-il pas autant sinon plus de valeur ? Le principal savoir-faire à exploiter et améliorer de la médecine de premier recours n’est-il justement pas ce savoir-ne pas faire ?
 
Arrêtant un instant de me gratter le nombril du bout de l’index tout en repensant aux réflexions liées à cette histoire de consultation, j’ai tout à coup l’envie de lancer un regard vers l’horizon. J’imagine les probables nombreuses autres histoires de consultation similaires dans d’autres domaines effectuées par mes confrères. Comme tout le monde, j’ai entendu parler d’un récent mouvement de grève de bon nombre d’entre eux. Une colère et un ras-le-bol que je comprends mais un mouvement que j’estime brouillon, maladroit, mal venu. Du pain béni pour nos dirigeants devant bien se gausser dans leurs bureaux cossus de la capitale, ravis de voir possiblement fondre la cote de popularité jalousée de tout un corps professionnel. Et pourtant…
 
Avec l’accumulation de textes législatifs pondus ces dernières années par différents ministres bouffons de la santé de tous bords, n’y a-t-il pas un réel danger de définitivement faire exploser ce rempart nécessaire que représente la médecine de premier recours, cette médecine tirant sa noblesse et l’une de ses spécificités dans le savoir-ne pas faire ?
 
Cette digue déjà bien trop fissurée évitant parfois aux patients d’aller se noyer dans les flots d’une médecine du faire à tout prix résistera-t-elle encore longtemps ?
 
Regrattons-nous le nombril du bout de l’index un instant : que fera la maman de ce bambin de quatre mois au milieu de cette future jungle sanitaire que nous construisent sournoisement toutes ces têtes pensantes, les «grands» de ce pays, secrètement acoquinés à de géants prédateurs assoiffés d’argent qu’ils jurent pourtant combattre («mon ennemi c’est la finance» disait même l'un d’entre eux) ? Je la vois déambuler cette jeune maman, l’œil hagard, faussement rassurée d’être vaguement accompagnée par quelques techniciens de la santé, véritables pantins articulés via des lianes au bout desquelles officieront en toute liberté assureurs privés et firmes pharmaceutiques. Welcome to the jungle !
 
«Le tact et la mesure. Une information loyale, claire et appropriée» qu’ils disent…
 
Enfin, réveillons-nous de ce mauvais rêve. Vivons au jour le jour en respectant les coutumes. Nous sommes en janvier 2015, tout va bien dans le meilleur des mondes et tout ira mieux en se serrant la ceinture de deux ou trois trous. Évidemment juste après des fêtes durant lesquelles le gavage humain suit celui des oies et canards, c’est toujours un peu rude car la logique voudrait qu’il faille plutôt la desserrer mais bon voilà. Alors bonne année à tous mes petits canards et avant tout, BONNE SANTE !...