samedi 9 avril 2016

LES DANGERS DU MIROIR OU LE CARROND ?

 
 
Si je m’installe face à un miroir, que je lève la main droite en jurant de dire toute la vérité, rien que la vérité, j’observe que mon reflet fait exactement la même chose, en même temps, sans aucun décalage possible. Personne ne peut plus me ressembler ni mieux me mimer que ce reflet.
 
Personne.
 
Rien ne peut nous opposer.
 
Pourtant.
 
Pourtant, à y regarder de plus près, lorsque je lève la main droite, c’est la main gauche de mon reflet qui se lève. Finalement, mon reflet si semblable n’est-il pas mon opposé ? Mon opposant ? Du coup, où est la vérité ?
 
Mon constat est le suivant : dans de nombreux domaines, notre société fonctionne beaucoup trop en miroir et je me demande si cela n’est pas dangereux.

 
Globalement il me semble que c’est ainsi que se pratique par exemple la politique dans notre pays : la gauche / la droite, je fais / tu défais, tu es bling bling / je suis normal. Au fond la méthode est sensiblement la même d’un côté comme de l’autre jusqu’à ce que le mouvement de balancier profite tantôt à l’un tantôt à l’autre pour l’accession au pouvoir, le perdant se retrouvant alors dans l’opposition. L’opposant jette ensuite toutes ses forces pour se présenter comme l’antireflet de façade du gouvernant, seul recours possible pour sauver le pays. La méthode me semble dangereuse car l’opération ne peut se répéter à l’infini. A un moment le peuple y perd ses repères, se lasse, une partie s’écarte du jeu pendant qu’une autre se laisse tenter par l’opportun qui réussit à faire passer les deux principales forces du même côté du miroir.

 
On peut se demander pourquoi parler politique sur un blog médical. Tout simplement parce que la santé est étroitement liée à des choix politiques. L’organisation du système de santé, c’est de la politique. Ne parle-t-on pas de politique de prévention, de politique vaccinale, de politique de santé publique, de loi santé, et j’en passe ? Nous avons un ministre de la santé qui fait chaque jour de la politique. Mais tous les autres ministères ont une part de responsabilité sur notre santé : l’environnement, l’économie, l’intérieur, une partie des décisions prises dans chaque ministère peut rejaillir sur notre santé. Voilà une première raison justifiant de parler politique sur un blog médical. La seconde raison est qu’à mes yeux la communauté médicale (où l’on peut parfois observer comme en politique une quête de pouvoirs) connaît le même travers que le monde politique, à savoir : fonctionner en miroir. Le miroir dans lequel on voit son semblable et celui où l’on voit son opposant. Dès le concours de première année à la faculté de médecine, le seul objectif est de tuer tous ses rivaux, nos semblables qui sont tous là pour nous barrer la route. Une fois la haute barrière du concours franchie, l’étudiant commence à mimer ses aînés des promotions supérieures, puis le jeune interne. Après six années de mime, vient alors le second concours bien qu’appelé examen, pour devenir interne de spécialité. Sachant que parmi les spécialités, on a les « vraies », et la pas « vraiment vraie » pour ne pas dire la « fausse » : la spécialité en médecine générale. On ressent très tôt durant les études cette opposition : médecin généraliste / médecin spécialiste.

 
Une fois la seconde barrière franchie, l’interne mime fréquemment l’assistant chef de clinique, et/ou le chef de service. Il se met à reprendre quelques-unes de ses formulations, de ses intonations, de ses prescriptions jusqu’à ne plus savoir s’en débarrasser.

 
Nous fonctionnons en miroir ressemblant, en reflet, puis si vient le temps de devenir calife à la place du calife, nous fonctionnons en miroir opposant. La gauche / la droite, le bling bling / le normal, je fais / tu défais, la quête de pouvoir.

 
Pour nous construire, nous semblons avoir besoin d’identification puis de rivalité, il faut un gagnant et un perdant. A la fin, le gagnant se regarde dans le miroir narcissique, c’est moi le plus beau, le plus fort, oh miroir mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle. Et ainsi de suite, l’histoire avec ses bons comme avec ses mauvais aspects se répète et se sème ailleurs.

 
Autre exemple : médecins libéraux / médecins hospitaliers. On raffole de la caricature reprise en chœur par certains médias : l’hospitalier étant ce médecin vertueux noyé par l’afflux de patients que le libéral, trop occupé à gérer sa fortune colossale, ne reçoit plus. Ou inversement, le libéral faisant beaucoup mieux, beaucoup plus vite et pour beaucoup moins cher ce que l’hospitalier met des plombes à faire et pour un coût faramineux. On est en permanence dans la division, l’exagération avec pour finalité de monter un camp contre l’autre. Le médecin homme ancienne génération dégoulinant de dévouement dispo 24/24 7j/7qui accourt à domicile en moins de deux versus la jeune doctoresse qui n’est jamais là cette feignasse. Et que dire du CHU, cette usine à malades maltraitante, remplie de médecins inhumains et tordus alors que tous les médecins hors CHU sont des saints ! On ne peut nier qu’il y a des choses à redire sur l’institution hospitalière, que certains comportements de médecins, de chefs de services, de PUPH envers les patients, les soignants, les étudiants sont exécrables. Cela doit être d'ailleurs dénoncé. Il ne faut pas pour autant occulter tout ce qui s’y fait de bien. Personnellement, je me souviens avoir été heurté soit directement, soit indirectement par le comportement ou les propos de certains internes, médecins, professeurs lorsque j’étais étudiant en médecine au sein d’un CHU. Mais j’ai aussi en mémoire de nombreux professionnels très humains et très pédagogues qui restent encore aujourd’hui des références dans mon parcours. On peut à l’inverse rencontrer des médecins généralistes qui sont de véritables ordures, mimant à l’excès voire dépassant les plus sombres aspects de certains de leurs confrères hospitaliers. Les dangers du miroir.

 
Ainsi, le principe du reflet-antireflet s’observe durant les études médicales puis traverse nos statuts, fonctions, institutions. Mais c’est un schéma que l’on retrouve également dès que l’on aborde un thème médical avec les "pro" d’un côté et les "anti" de l’autre. Il est quasiment impossible de présenter de façon plus pondérée, plus nuancée. Vous vous interrogez sur la pertinence d’un vaccin, d’un examen de dépistage, d'un traitement, aussitôt vous êtes quasiment catalogués comme contre, anti, représentants masqués des ligues extrêmes. Les médias en font alors leurs choux gras et ont me semble-t-il une influence et un pouvoir tel qu’ils devraient se méfier du danger du miroir. Lorsque dans un journal ou une émission la question suivante est posée : « Faut-il être pour ou contre la vaccination ? », le seul objectif est de faire du chiffre, de l’audience en faisant s’étriper deux camps qui ne permettront pas au profane d’y voir plus clair. Chaque camp y glane quelques nouvelles recrues pendant qu’une majorité s’en éloigne. On aborde des questions sous le règne de la globalisation et du zapping alors qu’elles mériteraient du temps, du détail, de la contextualisation, de l’individualisation. On retrouve le principe du débat politique avec les leaders des camps opposés sur le ring.

 
A l’ère où prime l’image, le paraître, il semble bien compliqué de se passer d’un miroir. Et si on le laissait de côté de temps en temps, si on décidait de descendre du ring et de dégonfler les pectoraux pour faire un ou deux pas de côté histoire de sentir en toute humilité s’il n’est pas possible de voir certaines choses autrement.

Puisque l’image est importante, voici celle que j’ai envie de partager. Elle aide à comprendre ce que j’entends par « dangers du miroir ».


 
 
On peut s’étriper sur un ring durant des siècles en meuglant :

-De ma place, et tous ceux qui me suivent sont d'accord, il s'agit ici d'un carré.

-Objection ! Tout le monde sait que c'est un rond.
 
-Arrêtez vos âneries ! Toutes les études mènent à la conclusion qu’il s’agit d’un carré ! Il n'y a pas à discuter.
 
-Mais puisque je vous dis nom d’une pipe que c’est un rond, triple andouille !
 
Peut-être qu’en prenant le temps de la réflexion avant de foncer tête baissée, en faisant quelques pas de côté tout en relevant la tête et en s’écoutant, on pourrait arriver à un consensus afin de s’approcher non pas de la vérité (un cylindre) mais d’une solution raisonnable. Ici, le carrond : le carrond.

Si je m'infiltre dans l'intimité d'une relation médecin / patient, ne retrouvons-nous pas ce fameux miroir ? Lorsqu'un médecin tombe malade, ne dit-on pas qu'il passe de l'autre côté du miroir ? Si je reprends mon image ci-dessus et que je balaie le rond comme le carré pour accepter de perdre un peu de pouvoir en approuvant l'idée du "carrond", n'est-ce pas la meilleure solution pour tenter d'exercer une médecine basée sur des preuves (1) tout en partageant les décisions avec le patient (2) ?

Revenons à la question initiale qui devrait normalement s'être légèrement éclaircie : les dangers du miroir ou le carrond ?
 
Je ne saurais m’exprimer pour la politique mais pour la médecine, face aux dangers du miroir, même s’il a sans doute ses limites et qu'il impose une stricte indépendance, je suis un fervent partisan de la voie du consensus. C’est ce que je me disais encore ce matin, en m'admirant me regardant dans le miroir…

(1) Voir ici le sens donné par Docdu16 à l' EBM
(2) Le Dr JB Blanc parle très bien de ce sujet ici : La prise de décision partagée en médecine générale.