samedi 30 mars 2013

Se former à la vente pour être un bon médecin ?

C'est un matin frisquet et pluvieux. Le ciel est triste, gris, chez moi on appelle ça un temps de chiotte. Après plusieurs tours dans le quartier à chercher, tourner-virer, reculer, avancer au ralenti, enfin je trouve ta rue. Je tombe même sur le bon numéro, ouf. Je gare mon véhicule devant ton portail. Les abords de ta modeste maison ne sont pas très bien entretenus, c'est un signe. Un signe que l'on n'apprend pas dans les bouquins de médecine. Pourtant, les abords tristes et négligés d'une habitation révèlent fréquemment un accident de la vie chez ses occupants : un divorce, une grave maladie, un deuil. Le signe que l'on est préoccupé par autre chose que la taille du gazon, la plantation de petites fleurs, la hauteur des haies. Je sonne et c'est ton mari qui ouvre la porte. Son visage est aussi gris et triste que le ciel. C'est la première fois que je le vois, mais il est inquiet, je le remarque de suite. Il m'indique la direction de ta chambre, de votre chambre. Je t'aperçois toi aussi pour la première fois. Dans mon esprit, je te baptise aussitôt "Madame Michu avec son fichu sur la tête". Oui, tu es coiffée d'un fichu de couleur vive pour cacher la perte de tes cheveux. Tu es alitée,  très amaigrie, pâle, et depuis la veille au soir tu vomis tripes et boyaux. C'est l'infirmière libérale Mme Ceringue venue tôt ce matin (pendant que je dormais encore) te faire ta prise de sang post-chimiothérapie qui a appelé au cabinet pour que je passe te voir. Enfin, pas moi personnellement, elle aurait préféré tomber sur ton vrai médecin, pas sur son jeune remplaçant sans expérience. On commence à le connaître dans le coin le petit remplaçant, il est très gentil, mais il est jeune quand même, il ne sait pas encore grand chose. Bref, il se trouve que ce jour-là, c'est moi qui m'installe à ton chevet. Avant de t'examiner, ma décision est déjà quasiment prise, je ne pourrai pas te laisser dans cet état ici, à te vider, comme ça, avec ton fichu sur la tête. Tu me racontes tes misères, cette saloperie de cancer qui te tient compagnie 24 sur 24 bien malgré toi depuis des mois. Au début, tu t'es battue comme une lionne, t'avais un moral d'acier, et t'as réussi à le dompter, tu l'as presque mis KO debout. Mais depuis quelques semaines le connard, il se rebiffe. Et depuis quelques jours, c'est toi qui es à terre. J'aimerais bien vous séparer tous les deux, arbitrer ce match pour te faire gagner. Mais je ne suis que médecin... Puisque l'infirmière est passée tôt ce matin, après t'avoir examinée juste pour confirmer ce que je pensais en arrivant, j'appelle le laboratoire pour tenter d'obtenir les résultats de ta prise de sang. Ma pauvre, tu es en aplasie, tu n'as plus beaucoup de globules blancs pour te défendre. Toi et ce connard, vous ne combattez vraiment plus à armes égales. C'est maintenant certain que tu ne peux rester chez toi dans cet état. Je reprends le téléphone pour joindre le service hospitalier dans lequel tu es suivie. J'attends, ça sonne, ça sonne, ça sonne, et ça répond. Je ne suis pas dans la bonne aile, mince alors, on me file un autre numéro, ça sonne, ça sonne, et ça répond. J'explique la situation, je ne sais pas vraiment qui m'écoute au bout du fil. Avant que je termine mon bref exposé, on me coupe la parole pour me dire qu'il n'y a pas de place et que surtout, on ne fait pas d'entrée directe dans le service. Il faut passer par les urgences. J'essaie d'argumenter, d'expliquer que dans ton cas, c'est certainement une très mauvaise idée de te faire passer par les urgences à attendre des heures à vomir sur ton brancard à côté d'autres malades possiblement contagieux alors que tu n'as plus qu'une poignée de globules blancs pour te défendre. Au final je n'ai pas d'autres choix. Au bout d'une heure, je te laisse. Une ambulance va venir te chercher pour t'emmener aux urgences. Et je n'ose pas te demander la trentaine d'euros pour la visite. Mais ton mari est là, il me tend le chèque en me remerciant. Le lendemain matin, je l'appelle pour avoir de tes nouvelles. Après l'attente aux urgences, on t'a trouvé un lit. Et le médecin des urgences était en colère contre moi car j'aurais dû te faire entrer directement dans le service... Ton mari lui a dit que j'avais tenté, mais il n'a pas décoléré.

Je ne sais pas ce qu'est devenue "Madame Michu avec son fichu sur la tête", mais j'imagine... Plusieurs années après cette scène à peine romancée, je repense à cette brave dame et je culpabilise. J'aurais dû insister. Plusieurs années après je repense à elle et à toutes les fois où je n'ai pas réussi à "vendre" un patient pour obtenir un examen complémentaire, une hospitalisation, ou un avis spécialisé rapidement alors que je le jugeais nécessaire. Lorsque j'étais interne, je me disais que quand je serais grand, une fois médecin, j'y arriverais. Lorsque j'étais jeune remplaçant, je me disais qu'une fois plus expérimenté, j'y arriverais. Le temps passe et... c'est toujours pareil. Bon je dois bien l'avouer, je suis un très mauvais vendeur. Si j'avais choisi la branche commerciale, je serais aujourd'hui au chômage c'est certain. Oui en médecine, il faut savoir "vendre", hausser le ton, gonfler les biceps, montrer les crocs, pour faire plier l'adversaire que l'on appelle confrère. Mais moi je sais pas faire. Je ne pense pas être le seul médecin dans ce cas, du moins j'espère pas. Alors pour ceux qui comme moi ont cette lacune, peut-être qu'un module "force de vente" serait utile durant les études médicales ?.......
Bien confraternellement...

jeudi 21 mars 2013

Pourquoi ne pas réguler l'accès dans les services d'urgences ?

Urgences : ce fut une célèbre série télévisée qui contribua en partie à nourrir ma motivation pour le concours de première année de médecine. En P1, alors que chaque heure de travail comptait, alors que je devais être devant mes cours d'anatomie ou de physiologie, j'avoue 18 ans après que tous les dimanches soirs, je regardais les exploits du beau Georges Clooney et de ses collègues urgentistes à la télévision. Mais peut-être que sans eux, moi comme d'autres de ma génération ne serions jamais devenus médecins.
 
 

Maintenant que je suis médecin, qu'évoque le mot urgences ?

Urgences, ce sont des dizaines de brancards de chaque côté des couloirs avec des vieillards que je préfère appeler nos aînés. Certains sont désorientés, d'autres réclament un peu d'eau, aimeraient qu'on leur apporte rapidement un pistolet pour uriner, un bassin pour déféquer, un haricot pour dégueuler. Que font-ils là ces braves tous adressés pour le même motif : Altération de l'état général ? Est-ce une urgence ?
-Alors Monsieur le généraliste, que voulez-vous qu'on fasse de votre vieux ? s'énerve l'urgentiste.
-Non Monsieur l'urgentiste, les places restantes dans le service de rhumatologie sont toutes réservées pour les hospitalisations programmées du Pr Malaudos, nous ne pourrons pas prendre votre vieux patient ni tous les autres d'ailleurs, répond la surveillante  du service de l'étage juste au-dessus des urgences.
-Allo Madame Durant ? Bonsoir, je suis le médecin des urgences, oui, je vous appelle au sujet de votre papa, oui il est toujours là, il va bien, j'ai essayé de lui trouver une place dans le service d'en haut, mais sans succès. Mais rassurez-vous, on lui a fait un petit bilan, tout va très bien Madame la Marquise, juste un peu déshydraté et un début de diabète, juste un début pas grand chose. Oui le cœur ça va, et je sais j'ai bien vu qu'il perdait un peu la tête mais pas plus que ça. Ecoutez, on communiquera les résultats à son médecin traitant, et vous pouvez venir le chercher, je sais il est un peu tard, 2 h 00 du matin alors qu'il est arrivé à 10 h hier matin, je sais c'est pas drôle.

Voilà une scène qu'on ne voyait pas dans la série Urgences, et qui pourtant se déroule chaque jour dans tous les services d'urgences de notre pays. Voilà comment on maltraite nos aînés, tout cela parce qu'aucune filière de soins digne de ce nom n'a été organisée et que l'on n'a pas adapté le système de santé aux besoins et aux changements socio-démographiques  de la population.

Bon, je sais, la gériatrie c'est pas très sexy, allons du côté de notre beau Georges Clooney aux urgences pédiatriques:
-Alors Madame la manman, que lui arrive t-il au petit ?
-Ben c'est la fièvre, puis il a le nez qui coule.
-Depuis quand ?
-Une heure ou deux.
-Et la fièvre, combien a t-il ?
-Je sais pas vraiment, mais je l'ai touché et il était un peu chaud, je viens surtout avant que ça monte plus, et demain il va à la crèche alors s'il est malade on ne va pas me le prendre. Et pendant que j'y suis, ma grande de 12 ans a un peu mal à la gorge depuis 2 ou 3 jours. Et comme mon mari est venu pour son dos, il a mal depuis des mois et son médecin ne trouve rien, alors il est venu pour avoir un bilan complet, et moi j'en ai profité pour montrer les enfants. Ici c'est bien, c'est pratique, s'il faut faire des examens on peut les faire tout de suite. D'ailleurs, vous pourriez pas vérifier pour ma grande, je suis sûre qu'elle manque de vitamines.

Encore une scène à peine caricaturée, que l'on peut multiplier et démultiplier tous les jours, dans tous les services d'urgences. On vit dans une société de consommation. La santé n'échappe pas à cela, donc on consomme du soins, on consomme du médecin, du bilan, du médicament comme on va dans un fast-food sauf qu'on ne paye pas, tout du moins c'est ce qu'on laisse entendre. Car à la fin, ça coûte et quelqu'un paye.

Est-ce humain de laisser poireauter une personne âgée plusieurs heures dans un couloir avant de la renvoyer à la maison en pleine nuit ? Est-ce logique qu'une rhinopharyngite soit prise en charge dans un service d'urgences ? Ne serait-il pas plus confortable et sécurisant pour les patients comme pour les soignants et ne serait-il pas moins coûteux pour la société de réguler l'accès aux urgences ? Je sais, on va me répondre , oui mais il faudrait plus de régulateurs. Très probablement. Mais une bonne régulation avec des médecins en nombre suffisant ferait très certainement fondre le nombre de consultations injustifiées aux urgences. C'est ce que je pense.