lundi 16 décembre 2013

La papamobile, à son âge OK, mais la mammobile, à cet âge ?


Ne t'inquiète pas, je n'ai pas prévu ici de parler "religion". Quoique, en fonction de notre paroisse, tu vas voir qu'on n'est pas tous logés à la même enseigne, et que certains sont "mieux protégés" que d'autres... Et même qu'ils peuvent bénéficier de trucs gratos plus tôt que les autres, les chanceux ! En fait, tu verras qu'il s'agit de chanceuses... N'oublie pas qu'ici, j'utilise très souvent la dérision. Ne l'oublie surtout pas.
 
Alors donc.
Ce matin même, j'arrive au boulot, je gare ma caisse et que vois-je ?
Un semi-remorque tout de rose vêtu qui attire mon attention.
 
Car ce matin dans la commune où je bosse, les femmes pourront bénéficier du dépistage du cancer du sein, au sein de la jolie mammobile* rose qui sillonne le département un peu comme le truck de Jamy et Fred dans "C'est pas sorcier". La mammobile roule ainsi de communes en communes dont les maires ont eu la bonté de payer ce dépistage à leurs administrées. Ah oui, les salauds de maires qui ne payent pas la dîme ne verront pas le joli camion rose sur le parking de leur mairie. En gros, on pourrait penser qu'ils se foutent complètement  que leurs administrées se tapent un cancer du sein. Ben quoi ? Si on veut aller au bout de cette logique, c'est un peu ça non ? Tu sais moi, je suis un peu con, je réfléchis pas beaucoup, excuse vieux.
 
Bon, soyons sérieux 30  secondes.
Officiellement en France, le dépistage du cancer du sein c'est une mammographie tous les 2 ans entre l'âge de 50 et 74 ans, chez la femme... (les 3 derniers mots, c'est soit pour te faire sourire, soit pour si tu suis pas)
 
Donc ça, c'est la règle. Alors on pourrait vraiment penser que les maires qui ne font pas venir la mammobile dans leur commune, y sont vraiment pas gentils.
Eh les maires pas gentils ! Faites gaffe c'est bientôt les élections. Gniark Gniark !!!

Mais en fait, c'est plus compliqué que ça parce qu'à côté du message officiel, on entend de plus en plus un autre son de cloche (pape, religion, tu piges toujours) au sujet de ce dépistage. Bon, je ne vais pas en rajouter une couche mais des choses très intéressantes peuvent être lues ici :
 
-chez Doc du 16
-chez Rachel Campergue (qui a écrit le livre "No mammo ?")
-chez La Crabahuteuse (A quién hago un besito)
-chez Hippocrate et Pindare (un blog que j'aime beaucoup)
-chez Kalee (vraiment un billet qui vaut le détour)

Et il y en a bien d'autres, la liste serait longue mais voici ceux que j'apprécie et que je voulais partager.

Donc aucun intérêt que j'ajoute ma sauce.
Non moi, c'est un autre truc qui m'a interpellé.

Voici la photo de cette fameuse mammobile :

 
Bon, ça t'interpelle toi aussi ? Rassure-moi.
Lis bien ce qui est écrit sur le camion rose, oui, oui, c'est pas un photo montage, y a aucun trucage.
Donc tu vois, en France il y a des recommandations discutables mais officielles. Puis en fonction de ta paroisse, il y a des pratiques qui font que tu peux "bénéficier" "gratuitement" du dépistage du cancer du sein dès 40 ans.
Alors moi, je sais plus si je te l'ai déjà dit mais au cas où, je te le répète : je suis un peu con, je réfléchis pas beaucoup. Excuse vieux.
Mais je suis volontiers preneur de tout ce qui peut justifier, argumenter, prouver l'intérêt de cette chose.
Et si tu me crois pas que c'est vrai cette histoire, alors il te suffit d'aller jeter un œil sur le site de l'association en question : ici

 
Et si t'es le responsable de cette association, ne t'énerve pas, je ne fais que poser une question et demander des justifications, scientifiques si possible.
 
Joyeux Noël !
 
*Pour les coincés du c.. de la langue française qui préfèrent parler de la forme pour mieux esquiver le fond de ce post, je sais qu'il est d'usage de dire "UN mammobile", comme on dit UN playmobil haha ! Mais là j'ai intentionnellement écrit  UNE mammobile parce que ça sonne mieux à mes oreilles, parce que c'est rose, parce que c'est pour les femmes, et tout et tout, alors je persiste : LA papamobile versus LA mammobile voire mamamobile pour la Crabahuteuse. (ajouté le 20/12/2013)




 

jeudi 12 décembre 2013

Étrangitude


Je te préviens, ce qui suit va peut-être faire un peu trop dans le « guimauves et violons » à ton goût.

Voilà, t’es au courant.

Mais ça se terminera aussi avec un petit point/g rageur.


Avant avant-hier :

Je suis un bébé-médecin, mieux connu sous le nom de carabin. Je fais mes premiers pas maladroits, blouse ouverte, stétho en or qui brille. Je ne suis pas le seul, on est plutôt nombreux comme ça, à relever le col de notre blouse que l’on garderait 24/24 histoire de bien montrer qu’on sera un jour médecin, même qu’on l’est déjà un peu-beaucoup-passionnément-àlafolie. Et à se la tchatcher dans les couloirs de l’hosto alors qu’on sait très grossièrement sur le bout des doigts à peine trois fois rien. Moi carabin, enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné un jour d’un diplôme de médecine FRANçais, trop la classe mec !

Allez, c’est parti. En plus, premier stage au bloc op’ mon pote ! Alors, ça calme hein ! Et attends, bloc de chirurgie cardiaque ! S’il vous plaît ! Pas le petit bloc de mes deux pour les ongles incarnés. Donc de quoi relever encore bien plus haut le col de ma blouse ouverte et faire briller de mille feux mon stétho (que je ne sais pas utiliser) en disant à voix très très très HAUTE (surtout au moment où passe une minette de 2 ou 3ème année ou une jolie élève infirmière), chewing-gum à la bouche, clope éteinte à la main, l’autre main fixée sur la boucle de ma ceinture : « Ouais today au bloc on a fait une mitrale et un triple pontage, NOUS ! ». (En vrai, moi, j’ai rien fait. J’étais habillé comme un schtroumpf et simplement planqué dans un coin derrière le champ opératoire à regarder tout en priant Dieu, Allah, Asclépios, Athos, Porthos et tous les autres, nom de Zeus, pour qu’on ne me pose aucune question d’anatomie ou de physiologie cardiaque mais chut, préservons le mythe.) Et voilà ce que j’ai vu.

J’ai vu tes mains de géant gantées de latex plonger dans une cage thoracique pour réparer ce petit truc plutôt utile et même indispensable qu’est le cœur. J’ai vu tes longs doigts jouer minutieusement avec les fils comme ceux d’un virtuose dansent sur les cordes de sa guitare pour obtenir la note parfaite, le meilleur son. Tu parlais peu, tu semblais concentré mais détendu, une douce musique sortait d’un vieux radiocassette. Sous cet accoutrement stérile de bloc te camouflant de la tête aux pieds en passant par le bout des doigts, il y avait bel et bien un artiste dont je n’avais pas encore réussi à croiser le regard. Un grand artiste qui œuvrait là devant moi planqué derrière mon champ.

Opération terminée, tu jettes tes gants de latex, et là je vois…

Tu quittes le bloc en blaguant, je perçois mieux ta voix et ton accent, et là j’entends…

Je sors à mon tour et je te suis. Derrière cette impressionnante armoire à glace, je suis transparent, insignifiant. Mais j’observe ce qui émane de ce corps de géant, la bonté de ton regard, la douceur de tes paroles. Tu as le cœur sur la main, pour un chirurgien cardiaque ça tombe bien. On sent que tu es passionné par ton métier. On voit que tu aimes les patients, que tu aimes les gens. Pourtant, certains ne te le rendent pas forcément, et refusent formellement que tu les opères, que tu les touches, au cas où tu les salisses. Tu en rigoles… J’imagine qu’au plus profond de ta carapace, quelques larmes s’échappent discrètement.

Il me suffit de t’écouter parler en fermant les yeux pour aussitôt t’imaginer au milieu des tiens là-bas si loin où il fait si chaud. Tout à l’heure en revanche sous tes gants de latex blanc, je n’imaginais pas cette peau noire, si noire…

Bel Africain.

Le lendemain, c’est un autre artiste qui entre en piste. Il est beaucoup plus fin, plus petit, plus discret, tout aussi calme, passionné et doué. Sa peau est beaucoup plus claire que la tienne, quasiment aussi claire que la mienne. Normal, lui il est du Nord…

Du Nord de l’Afrique.

Le vieux lion qui règne en maître incontesté sur le service rôde ici jour et nuit. Probablement à l’affût de son futur successeur puisque les rumeurs en provenance des quatre coins de l’hospice le disent sur le point de tirer sa révérence.

Vous auriez l’un comme l’autre, toi le grand Noir Africain, toi le petit Maghrébin, les épaules et les compétences pour assumer la fonction, mais… Tu m’as compris. Pas besoin de dessin…


***

Avant-hier :

J’ai grandi. Mes pas sont légèrement plus assurés, ma blouse s’est raccourcie, mon col est moins relevé, mon stétho est au chaud dans ma poche, à côté de mes nombreux pense-bêtes... Je suis un ado-médecin mieux connu sous le nom d’interne. Je n’en mène pas large parce que j’entame mon premier semestre et le chef de service que je viens de rencontrer en tête à tête dans son bureau n’a pas l’air commode. Je ne tchatche plus dans les couloirs de l’hosto alors que j’en sais un tout petit peu plus que trois fois rien. Car franchement, je flippe. Tout se passe finalement plus que bien. Trois personnes formidables me prennent la main, m’accompagnent, me soutiennent. Elles reprennent mes conneries à temps, sans moquerie ni humiliation, avec douceur et respect. Parmi elles, trois femmes. Parmi ces trois femmes, deux médecins assistantes, l’une portant les couleurs d’Haïti, l’autre un fabuleux mélange des couleurs de la France et du Sénégal. Et enfin la troisième, ma collègue interne (AFS*) depuis plusieurs années dans le service, un pilier arrivé du Cameroun. Le chef leur fait toute confiance, pourtant c’est un dur à cuire. Ce sont elles qui assurent une grande partie de ma formation. Un jour, je me rends compte que de nous quatre, alors que deux d’entre elles sont déjà médecins, c’est quasiment moi le mieux payé…

Les semestres s’enchaînent. Je grandis encore, avec mes compagnons de galère. Je rigole avec ce joyeux groupe d’internes (AFS*) haïtiens dont un membre est toujours prêt à te reprendre une garde parce que toi ça te fait chier tandis que lui ça lui permet d’arrondir grandement sa fin de mois. Cuba a aussi son représentant, tout comme le Mali, et le Maroc.

Puis me voilà aux urgences. Je suis un grand ado-médecin, pas super loin d’être un adulte-médecin. J’ai même quelques bébés-médecins avec moi : des externes. Parmi eux, un type qui a au moins deux fois mon âge, au moins. Il vient de Syrie. Là-bas dans son pays il était chirurgien. La seule chose que je peux lui apprendre moi, quelques notions de français. Tout ce qui est du domaine des urgences chirurgicales, c’est lui qui m’aura tout appris, tout montré. Une plaie carrément moche dont je ne sais que faire, je l’appelle au secours. Un type « sous mes ordres », au moins deux fois mon âge, au moins 10 000 fois plus compétent que moi dans son domaine, payé peut-être ¼ de mon salaire…
 


***

Hier :

Je suis un vrai docteur enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné d’un diplôme de médecine FRANçais. Après quelques années éloigné de l’hôpital, je me lance le défi de retourner y exercer. Malgré mes trois années d’internat et mes huit années d’exercice de la médecine derrière moi, j’ai l’impression de revenir au stade de mon premier semestre d’interne. Je n’en mène pas large pour ne pas dire que je flippe carrément. Première garde hospitalière en tant que vrai docteur, putain, je suis trop con, pourquoi je me suis lancé ce défi ? Mama Mia ! Le pédiatre d’astreinte ce soir, je le connais. C’est un de ces internes haïtiens avec qui je rigolais à l’époque, il y a 10 ans. Putain 10 ans déjà. Il est toujours là, fidèle au poste, après avoir gravi quelques échelons. On parle de nos souvenirs, de nos connaissances communes. On plaisante. Lui, il a passé tous les examens, toutes les équivalences, il a tout réussi, même le concours de praticien hospitalier, il est brillant. Il a un contrat minable renouvelé tous les 6 mois. Un jour peut-être, il sera titularisé, peut-être… La majorité de ses compatriotes ont passé d’autres équivalences et exercent aux États-Unis, au Canada. Des types et des nanas brillants, y a pas d’autres mots.

J’enchaîne les gardes, je flippe un peu moins mais quand même, je flippe. Et il y a toi. Lorsque je suis arrivé dans le service, je n’ai pas compris de suite qui tu étais, d’où tu venais. Discrète, très polie, ton arrivée dans le service précédait la mienne de quelques semaines seulement. Nous nous sommes retrouvés de garde ensemble. Nous avons fait plus ample connaissance la journée dans le service. Au fil du temps, de simples confrères nous sommes devenus de bons collègues, puis rapidement de très bons amis. Alors j’ai prié pour tomber le plus souvent possible de garde avec toi. Ta disponibilité et tes compétences lorsque je doutais. Les blagues et nos fous rires durant les moments de calme. Nos discussions plus profondes sur la médecine, les rapports humains et la vie en général. Oui, de vrais amis. Mes yeux ébahis lorsque tu me racontais tes études médicales à Madagascar. Les incroyables histoires, les cas que tu as rencontrés, tout ce qui a probablement contribué à développer chez toi ce formidable sens clinique. Grâce à toi, j’ai continué à apprendre. Tu bossais autant que moi, tu étais plus compétente que moi dans ton domaine, c’est toi que l’on appelait lorsqu’un accouchement tournait mal et qu’il fallait réanimer le nouveau-né. Tu avais quasiment tous les diplômes requis, toutes les équivalences. Tu étais payée deux fois moins que moi…



***


Aujourd’hui :

Mon petit pays chéri d’amour, concernant ma petite gueule, je ne peux qu’être reconnaissant envers toi. Car c’est grâce à ton système scolaire public et égalitaire que des petits gars pas forcément issus du sérail ni du camp des fils à papa, montés de leur campagne ou descendus de leur HLM peuvent prétendre devenir toubib un jour. Alors pour ça, je m’incline pour te remercier. Et j’aimerais profondément que ça continue dans ce sens…

Voilà.

Maintenant que c'est dit, je me relève, une main sur le cœur, pour ajouter cela :

A vous tous médecins étrangers venus des quatre coins de la planète, j’ai envie de vous dire un grand MERCI. Je n’ai aucun chiffre, aucune donnée, aucune étude, mais parfois j’en ai marre de ces chiffres et de ces études, et sur ce thème-là, je m’en tape. Alors ce que je vais dire ici n’est que supposition et subjectivité. Mais mon « MERCI » est sincère. Merci d’avoir contribué à la formation d’un médecin FRANçais. Sans vous je ne serais sans doute pas le même médecin aujourd’hui. Merci de tenir les murs de nos hôpitaux FRANçais car je ne serais pas étonné que sans vous, ces murs s’effondreraient les uns après les autres alors qu’une grande partie d’entre vous est payée à coups de lance-pierre pour ne pas dire qu’elle est exploitée. MERCI encore.

Ma main toujours sur le cœur, je me permets de lever le poing serré en ayant la délicatesse de laisser mon majeur bien au chaud avec ses quatre petits copains pour terminer ainsi :

Je suis sincèrement désolé de l’hypocrisie de mon pays, qui dépeuple les vôtres de leurs médecins, tout en faisant des économies sur vos salaires et sur les étudiants qu’il n’a pas besoin de former.

Je ne nie pas qu’il y a ici ou là quelques difficultés avec certains médecins étrangers, mais je serais étonné qu’il n’y en ait jamais avec certains médecins FRANçais… Alors je voulais simplement rééquilibrer les choses en apportant ce regard-là sur les médecins étrangers que moi j’ai eu la chance de croiser.

Je conclurai par deux dates que chacun pourra interpréter à sa façon :

-1971 : mise en place du numerus clausus (on limite le nombre d’étudiants en médecine dans les facultés de France, ce qui peut s’entendre).

-à partir de 1972 : se succèdent les procédures d’autorisation d’exercice de la médecine pour les médecins titulaires d’un diplôme étranger hors Espace Économique Européen.

Probable pure coïncidence…

Encore une fois :

Misaotra, mèsi, nahom, chokrane, multumesc, jërëjëf, I ni ce, gracias, merci !
 
 

Le titre de ce billet :

Je ne sais pas si le mot « étrangitude » existe, ni ce qu’il signifie. J’ai simplement souhaité faire un clin d’œil (très certainement maladroit et alors ?) au concept de « négritude » d’Aimé Césaire. Césaire, tout récemment Jacquard puis Mandela il y a quelques jours, ces derniers temps, les rangs se sont bien dégarnis. Espérons que quelque part la relève se prépare, car il y a encore, toujours et malheureusement du taf pour ces Grands Hommes.
 
*Attestation de Formation Spécialisée
 
 
"Poul ka couvé zé ba kanan, mé yo pa ka alé an dlo ansamn"

mardi 3 décembre 2013

"J'ai la rate qui s'dilate..."



Flash-back.
 
Fin d’été, journée plutôt calme, esprit serein.

Je ne te connais pas, alors avant d’aller te chercher, j’ouvre ton dossier informatique pour en savoir plus. Histoire de voir en gros où je mets les pieds, de quoi il va en retourner. Non, M’sieur Gaston, je ne te connais pas. Pourtant j’essaie déjà de m’immiscer dans une partie de ta vie. T’inquiète pas M’sieur Gaston, c’est pas de la curiosité, juste de la bienveillance.

Apparemment, le médecin que je remplace ne te connaît guère plus. D’après le logiciel, une consultation cinq ans plus tôt pour trois fois rien.

Bon, très bien, ça me va. Les trucs compliqués avec plein d’antécédents partout dont des noms de maladie de TrucBiduleChoseInconnueAuBataillonACoucherDehors que je suis obligé d’aller fouiner sans trop le montrer pour savoir ce que c’est sans avoir l’air trop con déjà que je ne suis que généraliste, ça me donne mal à la tête. (Je sais qu’elle est longue cette phrase mais je l’aime bien comme ça, na !).

Donc un type de la cinquantaine passée, sans antécédent, qui ne va jamais chez le toubib, ça ne devrait pas être grand-chose. Je me lève, je sors du bureau, je me dirige vers la salle d’attente, comme d’habituuude (ceci n’est pas un clin d’œil à Cloclo mais à Matthieu Calafiore, un doc qui mouille la chemise pour l’enseignement de la médecine générale). J’ouvre la porte. Tu es là, debout, à observer les affiches murales, accompagné par le son de la pompe de l’aquarium dans lequel deux poissons rouges nagent en rond. Si tu attends là debout M’sieur Gaston, ça confirme ce que je pense, tu n’as pas bien grand-chose de méchant. Quand t’as un truc gravos, ça fait mal, ça saigne, ça arrive à peine à marcher les trucs gravos. Tu me regardes, je te tends la main en t’invitant à te diriger dans le bureau de consultation. On s’assoit.

Tu m’expliques ce qui t’amène. Tu poses tes mains sur ton bide légèrement bedonnant en m’informant que tu fais de la diverticulose. Tu grimaces un peu en appuyant sur la région épigastrique. C’est la première fois que je te vois, je ne sais pas comment tu es habituellement, mais j’ai l’impression que tu es fatigué même si tu souris. On échange quelques mots, le transit, la digestion, l’appétit, etc… Tu me reparles de ta diverticulose que tu sors de je ne sais trop où. Tu me sers ce diagnostic sur un plateau, alors moi, intérieurement, ne voulant pas te contredire, tout en chantonnant ces paroles célèbres « J’ai la rate qui s’dilate… », je prépare déjà l’ordonnance que je te ferai pour ce que j’appelle des douleurs abdominales d’allure banale, et qui ponctuera notre rencontre. Un problème, une solution…

 
Tu te déchausses. On se lève en même temps. Et avant de te diriger vers la table d’examen, tu ajoutes que ça te brûle dans la carlingue en tournoyant ton poing serré en regard de ton sternum. Tu te forces à toussoter histoire de me prouver ce que tu avances. Puis tu précises que c’est probablement ton fiston qui va retenter sa deuxième première année de médecine qui t’a refilé sa bronchite. Intérieurement, je réfléchis à ce que je vais ajouter sur ton ordonnance pour ta soi-disant bronchite. Deux problèmes, deux solutions…


Tu t’allonges et on échange sur ton fiston qui tousse depuis une semaine. Il t’attend patiemment dans la voiture garée sur le parking du cabinet. Il bosse ses cours, pour le concours chaque minute compte…

 
Comme tu viens principalement pour ton ventre, c’est par là que je débute mon examen. Je pose mes mains, je palpe chaque cadran, c’est souple, ça ne déclenche pas de douleur particulière. Pas de frisson, pas de fièvre, ça ne semble vraiment pas bien méchant. Les "pas de ceci, pas de cela" sont importants en médecine. C’est donc bien ce que je disais, des douleurs abdominales d’allure banale. Je le sais mieux que toi, je suis médecin tout de même. Un antispasmodique devrait faire l’affaire.


Bon M’sieur Gaston, tu m’as parlé de bronchite. « J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ». Ce qui est certain, c’est que je ne t’ai pas entendu tousser une seule fois à part lorsque tu t’es forcé à le faire. Je n’y crois pas à ta bronchite, pas plus qu’à ta diverticulose d’ailleurs. Je pense vraiment que tu n’as pas grand-chose. D’un autre côté, consulter pour le moindre pet de travers, ça ne semble pas être ton genre. Alors que viens-tu réellement faire ici ? T’en as plein le dos au boulot et tu vas me réclamer un arrêt ? Ou alors c’est au pieu que ça ne va pas fort avec la mère du fiston ? Ben quoi ? Avant-hier on me l’a faite celle-là. Un type de ton âge s’est pointé avec des sensations bizarres dans le creux de sa main. J’ai tout regardé, devant, derrière, entre les doigts, les pouls, les réflexes, etc… sauf les lignes parce que je sais pas faire. Et rien. Rien de rien. Je séchais grave. La consultation allait se terminer comme ça, tous deux insatisfaits. Le type m’a finalement avoué ne pas avoir de problème avec sa main, puis très gêné, il m’a indiqué que son vrai souci se situait sous la ceinture. Pas toujours facile à introduire ce genre de truc faut dire. Donc toi, ça se trouve c’est pareil. Depuis le début tu m’embarques partout sauf là où tu devrais. On va finir par faire fausse route voire se foutre dans le fossé. Bon, puisque tu es là, et que tu ne viens jamais chez le médecin, on va écouter un peu dans ta carcasse des fois qu’elle ait des choses à dire, puis prendre ta tension, puis regarder un peu tout ça quoi.


Fin d’été, journée plutôt calme, pas un chat dans la salle d’attente, le téléphone ne sonne pas, esprit serein. « J’ai les hanches qui s’démanchent, l’épigastre qui s’encastre, l’abdomen qui s’démène, j’ai l’thorax qui s’désaxe, la poitrine qui s’débine… »
 

Je pose mon stéthoscope sur ta poitrine, ça bat. Tant que ça bat, ça va. Mais ça bat vite là-dedans M’sieur Gaston dis donc ! Le stress de la blouse blanche ? Vraiment ça bat vite ! Et surtout, ça souffle ! Pas le petit souffle sournois que tu te demandes si c’est le cœur ou ton imagination. Non, là, y a pas à chier, y a un souffle du tonnerre que même le fiston qui révise son concours P1 dans la bagnole entendrait. La diverticulose ? Qu’est-ce qu’elle vient foutre ici la diverticulose de mes deux ? C’est quoi ce bordel ? Bon, restons calme et serein. C’est un souffle ancien, et tu as oublié de m’en parler, voilà tout, on ne va pas en faire tout un fromage. « J’ai les reins bien trop fins, les boyaux bien trop gros, j’ai l’sternum qui s’dégomme, et l’sacrum c’est tout comme… »

Putain, non, on ne t’a jamais parlé de souffle, et t’as pas plus de bronchite que de diverticulose, ça te brûle vraiment dans le caisson depuis deux-trois jours, surtout quand tu fais des efforts. Putain, il est où l’électro ? Les fils, c’est dans quel sens déjà ? Le Rouge, Red, Right ! Yes ! Le vert au pied, ouais le vert c’est le gazon, c’est en bas. Le jaune, la couleur du soleil, en haut, à gauche puisqu’à droite c’est le Rouge-Red-Right. Y reste plus que le noir, fastoche. Oh pis les ventouses, elles tiennent pas les ventouses sur ton torse tout poilu ! Et y a des putains de nœuds dans les fils. Le temps que je perds à te faire cet électro, mais si je le fais pas, le toubib du SAMU, y va penser quoi ? Y va se foutre de ma gueule (quand j’suis stressé, j’dis beaucoup de gros mots, désolé).

Y a du papier là-dedans au moins pour imprimer l’électro ? C’est comme à la caisse du supermarché, quand t’es pressé, y a plus de papier ! (Aux chiottes aussi ça le fait des fois). Allez, arrête de déconner, c’est pas drôle là. Tout est branché, on peut y aller. Le tracé sort. Oh parbleu ! Oh pardee* ! « J’ai les cuisses qui s’raidissent, les guiboles qui flageolent… »

-Allô le 15, j’ai vraiment besoin de vous. Pardee* pour sûr j’vous jure que j’ai besoin de vous là tout de suite maintenant. J’avoue que je suis souvent très nul pour vendre mon patient, je l’ai même avoué il y a quelques mois : ici avec cette question ironique : Se former à la vente pour être un bon médecin ? , mais là s’vous plaît, vous pouvez venir en mettant le giro et le pimpon, magnez-vous le cul bordel !

 
Fin d’été, le calme précédait la tempête, esprit pas du tout serein, j’ai chaud dans la tête, je transpire, je flippe, mais faut pas le montrer, chut ! « Les rotules qui ondulent, les tibias raplapla… »

 
-Eh fiston ! Lève le nez de tes cours de médecine et viens par ici faut qu’on cause du padre. Tiens, prends mon stétho et écoute. C’est ce qu’on appelle un souffle cardiaque. Le padre ou le father si tu préfères, bref, M’sieur Gaston va devoir aller à l’hôpital, c’est sérieux. Le SAMU va bientôt arriver. Je vous préviens tous les deux, ça impressionne toujours quand les cow-boys en salopette blanche débarquent. Mais ça va aller, c’est sérieux, mais tout va bien se passer.

 
Le SAMU arrive. Ouf de chez ouf de soulagement. J'ai envie de les embrasser. Tous sans exception. Même l'ambulancier aux grosses paluches et aux longues moustaches tombantes. Un peu de retenue tout de même. Je tends la main à mon confrère chef des salopettes blanches. Je me prends un vent (c’est loin d’être tout le temps comme ça, amis urgentistes je vous aime, mais parfois ça arrive, et c’est comme ça que ça s’est passé ce jour-là). Je lui explique le pourquoi du comment de mon appel avec mon petit bout de papier ECG tout froissé à la main. Il ne me calcule pas. Il est concentré sur son patient qui n’est plus le mien. Je ne suis plus acteur, mais simple spectateur. Dépossédé de mon statut, de « mon » patient. La prochaine fois, je mettrai une salopette tiens ! Parce que même si on dit tout le temps le contraire, l'habit fait quand même un petit peu le moine, dans la vraie vie.


Enfin, il me regarde furtivement. Il est sur le point de m’adresser quelques mots (si, si, je le sens) :

-On l’embarque ton patient, il fait un infarct. (Ben je sais, c’est un petit peu pour ça que je vous ai appelé M’sieur l’chef des salopettes. Je me suis peut-être mal exprimé au téléphone, désolé). Allez, on y va, salut.

 
-Au revoir et merci. Bien confraternellement. (J’vous tends pas la main M’sieur parce que deux vents dans la journée, ça fait une tempête).

 
Le lendemain, comme je sais que personne ne m’en donnera, je pars à la pêche aux nouvelles M’sieur Gaston. Tu as été transféré au grand CHU pour te faire opérer en urgence par les grands docteurs. Tu as fait un gros infarctus avec une rupture septale (un trou dans la paroi du milieu du cœur) d’où le gros souffle. « Je fais de la diverticulose et mon fils m’a refilé sa bronchite » que tu me disais petit saligaud de cachotier…

 
Quelques semaines plus tard, me revoilà à remplacer dans le même cabinet et toi, te revoilà à consulter dans le même cabinet. Tu as mal au cœur… Ah, je vais peut-être tout de suite commencer par le bide alors… Je commence à te connaître M’sieur Gaston… Même pas besoin de regarder dans ton dossier informatique.

 
Parfois, ça ne tient vraiment qu’à un fil. Cette histoire aurait vraiment pu se terminer autrement. Parce que  parfois, on n’est pas connecté, ou seulement un peu moins, comme je l’avais relaté ici lorsque ce soir-là j'avais été le roi des losers.

 
Imagine le tableau si ça avait commencé comme ça :

 
Rude hiver, salle d’attente pleine à craquer de grippés, le téléphone sonne à tue-tête, moi-même je suis bien pris et j’en ai plein la tête, les yeux qui brûlent, le nez comme les oreilles bouchés, le cerveau embué. « J’ai le nez tout bouché, l’trou du cou qui s’découd, et du coup voyez-vous, j’suis gêné pour parler… ». Et ma femme qui vient de se casser. Pourquoi t’es partie ? Je t’aime. C’est pas fini. Non. J’suis sûr que tu vas revenir. Allez reviens, me laisse pas crever de chagrin là, tout seul comme un vaurien. Laisse-moi au moins voir les gamins. J'étais fort minable, nous étions formidables...


Bon je noircis vraiment le tableau, mais imagine ce patient-là dans ce contexte-là avec un médecin préoccupé par dix mille autres trucs… Et le patient qui lui présente les choses ainsi : « J’ai la rate qui s’dilate…»


Certains pensent que les médecins généralistes ne sont là en gros que pour s'occuper des #NezQuiCoulent et faire des #Certifalacon. Soit. Très mauvaise caricature non ? Moi je n'oserais jamais dire par exemple que les banquiers ne sont là que pour faire du fric et encore moins que les assureurs sont tous des voleurs. Ben non, quand même, voyons... Sans trop se monter le bourrichon, moi je trouve que cette histoire illustre à la fois la difficulté et la beauté de l'exercice de la médecine générale. Savoir entrer en connexion, ne pas partir bille en tête sur ta première hypothèse, glaner un mot, un signe, une attitude qui fait que tu changes ton fusil d'épaule, que tu rattrapes le tir. Avoir cette petite veilleuse dans un coin de la tête qui te dit "Eh mon gaillard, au milieu de ces #NezQuiCoulent et ces #Certifalacon, peut se cacher un vrai malade qu'il serait préférable de ne pas louper dacodac ?". Trouver le juste milieu entre cette discrète petite veilleuse et la terrible angoisse que tu communiques maladroitement au patient, et que tu apaises en dégainant la mitrailleuse à examens complémentaires inutiles voire dangereux.


Honnêtement, M'sieur Gaston, j'étais à deux doigts de te laisser repartir paisiblement avec un antispasmodique à la noix, faussement rassuré. Le fiston t'aurait alors retrouvé dans un triste état. Il aurait peut-être raté une nouvelle fois son concours d'entrée en médecine et ne serait  sans doute jamais devenu cardiologue (ça c'est pour le côté romanesque, c'est carrément du pipeau en fait mais ça le fait hein !). Pourtant M'sieur Gaston, celui qui t'a marqué, c'est le Doc à la salopette blanche avec ses gestes sûrs, son équipe sous ses ordres, sa parole ferme. Et celui qui t'a complètement scotché, c'est le grand chirurgien du grand CHU qui t'a brillamment opéré, avec son armée silencieuse de 15 blouses blanches à sa botte lorsqu'il te rendait visite chaque matin après ton intervention. Je te comprends M'sieur Gaston. Parce que ben ouais en fait, je l'avoue, j'avais un peu l'air con moi avec mes fils emmêlés, mes poires qui ne tenaient pas, et cet ECG que j'ai regardé comme si j'en n'avais jamais vu. Ben ouais M'sieur Gaston, des infarctus, y en n'a pas tous les quatre matins dans un cabinet de médecine gé, surtout des comme les tiens qui ne se présentent pas comme dans les bouquins. Ouais M'sieur Gaston, j'étais pas trop à l'aise quand j'ai appelé le 15, je n'ai sûrement pas dit d'une voix assurée tous les mots-clés comme y faut qui te rapportent un max de point à l'internat. Et quand les types du SAMU sont arrivés, je suis vite passé du statut de Docteur à celui de petit stagiaire qui sait rien faire à part regarder sans broncher. Ouais, c'est vrai M'sieur Gaston. J'aurais peut-être dû faire ci, ou faire ça, dû dire ci et pas ça. Ben ouais, et si et si et si. Mais quand même M'sieur Gaston, aujourd'hui, t'es bel et bien vivant et si t'as pu voir briller ce grand chirurgien, j'y suis un tout petit peu pour quelque chose non ?


L'exercice de la médecine générale est beau, difficile, et rend humble.


*Je sais que pardi ça s'écrit : pardi, mais là j'ai écrit Pardee parce que c'est le nom d'un tracé qu'on peut voir à l'électrocardiogramme et qui signe un infarctus du myocarde (j'la fais courte et simple pour que tu comprennes si t'es pas toubib)