mardi 16 décembre 2014

BROUILLARD GIVRANT


 
« Maman, tu es toute pomponnée ? C’est bon ? Je passe te prendre dans une heure. On risque d’être en retard. Bisous. »

24/12/2000 et quelques.
Comme chaque 24/12, des gens se préparent pour fêter. Huîtres, foie gras, saumon, escargots, champagne pour les plus chanceux, tout est au frais. Au resto, en famille, entre amis, c’est soir de joie.

Quelque part non loin de là, un jeune homme démarre sa voiture pour passer chercher sa mère à son domicile. Ils se rendront ensuite chez la sœur aînée où le reste de la famille est déjà arrivé.

La journée au cabinet médical fut plutôt calme. Aucune visite à domicile aujourd'hui. Juste un bref passage à l'hôpital local histoire de régler deux trois trucs afin d'éviter que le confrère de garde soit dérangé pour des broutilles sans oublier quelques mots d'encouragements aux soignants de l'institution. Pour le reste, rien de bien affolant :

-La gastro qui tombe au pire des moments : « Evidemment docteur, il fallait que ça me tombe dessus aujourd’hui, j’ai vraiment pas de chance, remettez-moi vite d’aplomb ».

-Le type hyper prévenant : « Vous voyez bien docteur, pendant les fêtes, je risque de manger un peu plus que d’habitude, et de boire un peu aussi, pas que de l’eau, alors je viens vous voir avant, mieux vaut prévenir que guérir. Et entre nous doc, c'est bien connu, vous les toubibs vous faites de sacrés gueuletons au point de vous mettre bien minables, alors vous avez bien des petits secrets de poudre magique pour se remettre vite de tous ces excès non ? »

-Le fidèle broie du noir du 24/12 : « Ces fêtes ! Pfff. Tous les ans c’est pareil. Je déprime, j’ai besoin de vous causer docteur, j’suis tout seul, j’cause à mon chat Grégoire, il ronronne, j’regarde un peu les feuilletons dans l’poste de télévision, mais aujourd’hui j’ai eu besoin de vous causer à vous, j’sais bien qu’vous allez pas m’donner un remède contre la solitude, mais au moins vous m’écoutez, et pis, le 24/12, c’est le jour où elle est partie ».

-Le renouvellement d’ordonnance hyper méga urgent parce que demain c’est le 25/12 et que ces feignasses de médecins seront fermés et qu’après c’est le départ pour Megève et que si c’était la première fois ça passerait mais que c’est pas du tout la première fois et qu’elle veut absolument passer entre deux parce que ça ne sera pas long, une simple formalité, juste à appuyer sur l’onglet « imprimer ».

Quelque part non loin de là, un jeune homme met son clignotant, puis tourne sur le chemin d’accès menant à la maison de sa mère.

Comme un élève studieux, un garçon bien élevé, je saisis le lecteur à carte vitale pour effectuer la transmission des feuilles de soins électroniques comme me l’a indiqué le médecin remplacé. Je regarde par la fenêtre, la nuit est tombée depuis un bon moment. Je me lève pour fermer les volets. Un épais brouillard givrant vient d’envahir les rues désertes. Mes yeux d’enfant imaginent le Père-Noël surgir en traineau rempli de cadeaux. Je regarde ma montre. J’ai hâte de rentrer, de retrouver les miens, de manger et de boire un verre. Je n’aime pas rouler à travers l’épais brouillard givrant. Quelques images de scènes vécues lors de mes gardes d’externe au SAMU me reviennent. L’angoisse de ce que l’on va trouver au détour de ce virage. Le gyrophare à peine visible dans l’épais brouillard. La lumière des phares du véhicule de gendarmerie braquée sur deux véhicules broyés. Un conducteur incarcéré qui hurle sa terreur, un passager sur lequel des pompiers jettent toutes leurs forces alors que tout est fini, plus rien à espérer. Je frissonne. Quand l’angoisse me prend, j’ai froid. Plus que quelques dizaines de minutes, et je pourrai fermer la porte du cabinet, taper le code de l’alarme, et rouler embrasser ma femme, câliner mes enfants.

Quelque part non loin de là, le moteur du véhicule du jeune homme est encore chaud. Il enjambe les escaliers quatre à quatre. Il entre dans la maison de sa mère qui a plutôt intérêt d’être prête pour la soirée.

Dans ma tête, je suis déjà en mode OFF. Le cabinet est désert, le grand calme. L’élève studieux aurait bien envie de ne pas attendre le coup de sifflet final pour déguerpir. J’y vais, j’y vais pas ? A peine le temps de me poser la question, le coup de fil de dernière minute y répond à ma place. L’appel que l’on redoute fréquemment, celui qui donne l’impression que le fait d’y penser fortement le provoque. La sonnerie mielleuse, espiègle, que tu aimerais ne pas entendre. Tu ne veux pas décrocher, mais tu décroches. Après les renseignements cliniques, le médecin régulateur du SAMU me donne le nom ainsi que le numéro de la rue où je dois me rendre. La maison est au bout d’un chemin. Les pompiers sont sur les lieux.

Quelque part non loin de là, je suis attendu à l’intérieur d’une maison où un jeune homme est venu chercher sa mère pour passer la soirée du 24/12 en famille, chez sa sœur aînée. Une heure plus tôt, ils avaient conversé quelques minutes au téléphone. Il sortait de la douche, elle se pomponnait.

Vérifier au fond de cette sacoche de cuir vieilli que tout y est, matériel, et surtout documents indispensables. Trois coups de clé avant de pouvoir enfin démarrer ma vieille bagnole dans ce froid de canard. Souffler un peu d'air chaud dans le creux de mes mains gelées. Puis, le temps que mon parebrise dégivre légèrement, un rapide coup d’œil sur ma carte pour ne pas tourner en rond trop longtemps. En route.

Foutaise ! Dans l’épaisseur de ce brouillard, impossible de distinguer le nom comme le numéro des rues.

Le semblant de lueurs bleues du gyrophare des pompiers m’indique finalement le bon chemin.
Ambiance « série TV ».
Sur le bord de la route, des voisins, des curieux. Les flics arrivent. L’adjoint au maire en charentaises et à la poignée de main vigoureuse est déjà là.

Le fils, blême, semble être conscient de la gravité de la situation, mais il fait face. Le médecin n’a pas encore donné son verdict. Espérer, toujours, jusqu’au dernier moment.

Un chaleureux pompier m’invite à le suivre. Nous passons par le garage faiblement éclairé afin d’accéder à la cave. Pour ne pas heurter les plus sensibles je tairai ici les détails de la scène que je découvre, gravée dans mon esprit comme si c’était hier.

J’inspecte les lieux tout autour. Je lève les yeux dans l’étroitesse de cette descente d’escaliers. Je réfléchis quelques instants.
Je sais pertinemment que ça arrangerait certains que je signe ce certificat de décès au plus vite. Tout du moins l’adjoint au maire qui du haut de son honorable fonction m’indique que cette pauvre femme est tout bonnement tombée dans les escaliers, banal accident aussi triste soit-il. J’avais bien senti au moment de lui serrer la main que le fait d’être un tout jeune médecin remplaçant avec une gueule d’adolescent n’allait pas plaider en faveur d’une grande crédibilité de ma part à ses yeux. Peut-être s’agit-il effectivement d’un banal accident domestique, une simple chute. Mais ici, malgré la pression, l’émotion, le contexte, c’est moi le médecin, c’est moi qui décide, c’est moi qui certifie. Lutter pour être objectif, ne pas être influencé, et servir cette pauvre femme le mieux possible, même s’il n’y a plus rien à faire. Les lésions sur ce corps sans vie laissent imaginer la violence des chocs. Est-elle tombée ? L’a-t-on poussée ? A-t-elle été frappée avant la chute ? Autant de questions auxquelles je ne sais répondre, contrairement à l’adjoint au maire… Et il y a cette série de cambriolages dans le secteur ces derniers jours. Cette maison isolée au bout d’un chemin, terrain idéal pour des voleurs surpris par la présence de la propriétaire ? Vraiment trop de questions, trop de suspicions pour signer ce certificat de décès et classer l’affaire. Ma décision est prise.

Je remonte, la gorge serrée, rencontrer le fils de cette femme. Je lui annonce la nouvelle dont il se doute forcément. Il s’effondre. J’écoute et reçois sa souffrance. "Il y a une heure à peine, je lui parlais encore. Pourquoi ? Comme ça, aujourd'hui, mais pourquoi ? C'est impossible, c'est un cauchemar, réveillez-moi !"

Un peu plus tard, après avoir roulé à travers cet épais brouillard givrant en écoutant à tue-tête Back in black d'ACDC au point de me prendre pour un Angus Young enragé histoire de recharger les batteries, je rentre à la maison.
J’embrasse ma femme, je câline mes enfants. La journée est derrière moi, la soirée est devant moi, motus et bouche cousue, avalons ces images d’une gorgée, digérons cette souffrance sans broncher, sortons le champagne, fêtons ! Comme si de rien n’était…

Fixer sa coupe quelques secondes. Observer les bulles remonter à la surface avec hâte. Avoir conscience plus encore que d'habitude que la vie peut éclater aussi vite qu'une de ces bulles. Humer d'autres effluves spiritueuses dans les parages. Ne pas oublier que boire plus que de raison ne permet pas forcément d'oublier. Finir par sourire, puis rire avec les siens. Profiter des bons moments.

Demain matin, le brouillard givrant devrait s’être levé. Les rayons du soleil caresseront la blancheur des paysages. Le Père-Noël aura distribué des cadeaux aux uns. La foudre de la vie aura frappé chez d’autres. Un jeune homme rêvera de s’extirper d’un sommeil imaginaire pour oublier un horrible cauchemar. Puis lentement, la nuit tombée, dans les rues désertes, de tout son long s’étalera de nouveau un épais brouillard givrant.


lundi 8 décembre 2014

LES TROIS MEDECINS (Episode 3/3)


Les deux épisodes précédents sont ici :



Médecin hospitalier :

On pourrait croire que ça va aller vite car tout le monde sait ce qu’est un médecin hospitalier et tous les médecins passent par l’hôpital (alors que tous les médecins ne passent pas forcément en ambulatoire). J’ai tout de même deux trois trucs à préciser et à dire. Premièrement, il est assez amusant de constater que dès qu’on porte une grande blouse, un sthéto autour du cou et qu’on déambule dans les couloirs d’un hosto, tout ce qu’on dit et fait à plus de poids que dans un cabinet de généraliste libéral et ne parlons même pas d'un bureau de consultation de médecin de PMI. Même si sous la blouse, il y a exactement le même toubib. On peut répéter que l’habit ne fait pas le moine tant qu’on veut, c’est pas si vrai. J’ai donc exercé dans un hôpital au sein d’un service de pédiatrie où quand on dit à une maman que le petit n’a besoin que de lavages de nez, ça a beaucoup plus de poids que partout ailleurs. Grosso modo, mon activité se répartissait pour trois quarts  de mon temps aux urgences pédiatriques et le dernier quart dans le service d’hospitalisation. Je ne parlerai que de l’activité aux urgences car à vue de nez, au moins 80 % des consultations relevaient de la médecine générale. Qu’un médecin généraliste assure ces consultations n’était donc finalement pas un non-sens, on peut en revanche se questionner sur le bien-fondé de ces consultations en ces lieux. J’ai en tous les cas fait de mon mieux pour conserver ma casquette de généraliste. Je veux dire par là qu’il me semble que mon expérience de généraliste libéral m’a permis d’éviter parfois de me barricader derrière des examens complémentaires comme des prescriptions médicamenteuses injustifiés voire nocifs. J’ai le sentiment mais ce n’est qu’un sentiment, que plus nous avons un plateau technique à disposition, plus nous perdons notre sens clinique voire notre bon sens tout simplement. Prescrire une CRP chez un enfant souriant bien coloré avalant goulûment son biberon malgré une fièvre plutôt bien tolérée car on ne sait jamais…, je trouve ça con, inutile, coûteux et chronophage. Prescrire une Xième radio à un gamin simplement pour rassurer les parents qui viennent une fois par mois aux urgences parce que ça va plus vite que chez leur médecin traitant, sans se poser la question des conséquences futures de ces irradiations, ça me fout les boules. Je ne veux surtout pas laisser entendre par là que les médecins hospitaliers sont nuls, loin de là, mais on peut reconnaître qu’il y a comme partout ailleurs un certain formatage et certains automatismes de prescriptions pas toujours judicieux qui pourraient peut-être être diminués grâce à un passage systématique de tous les futurs médecins par un exercice ambulatoire à l’écart de toutes facilités liées à un plateau technique disponible 24 h sur 24.

Pour 80 % de mon temps, ma casquette de généraliste aux urgences pédiatriques me suffisait, et très sincèrement, pour le reste, j’étais plus qu’heureux d’être épaulé puis relayé par un confrère pédiatre du service. L’état de mal épileptique, l’asthme aigu grave, le syndrome aigu thoracique chez un drépanocytaire, et tous les autres trucs à la con qu’on n’a jamais vus sur lesquels les grands docteurs vont s’arracher les cheveux pendant des semaines, ben avec mes guiboles tremblantes, mes claquements de dents et la trouille de faire dans mon froc, j’étais vachement content de les trouver les confrères spécialistes hospitaliers. Voilà un atout de l’exercice hospitalier, le travail d’équipe. Echanger, discuter des situations difficiles ou pas, s’enrichir de la pratique et des expériences des uns et des autres, être épaulé dès qu’on est dépassé, quel confort ! Je parle d’équipe médicale, mais aussi paramédicale. La première personne à recevoir et prendre en charge l’enfant aux urgences de ce service était l’infirmière +/- puéricultrice. Les consultations aux urgences sont sensiblement organisées de la même façon qu’en PMI, avec le fameux binôme « infirmière/médecin ». C’est un double regard, des conseils supplémentaires et complémentaires, un confort, une plus-value indéniable.

Quant au statut de médecin hospitalier que je n’ai pas encore évoqué, je le trouve plutôt confortable aussi. Par rapport à certains, je ne suis peut-être pas très gourmand, mais mon salaire me convenait. Il faut dire qu’après celui de médecin PMI, j’avais sans doute l’impression erronée d’être devenu le roi du pétrole. J’avais certes pas mal de gardes, mais avec des repos de sécurité, pas mal de congés payés, des RTT ainsi que des jours de formation.

Voilà ainsi le témoignage tout à fait subjectif des tiraillements entre les trois médecins qui n’en font qu’un.

Pour conclure, il n’est pas impossible que si un jour un bel amalgame était confectionné pour réunir ces trois médecins, je réfléchisse à m’installer pour exercer à nouveau la médecine générale, ce pour quoi j’ai été formé. En d’autres termes pour être précis, si demain on me propose d’exercer la médecine générale alliant prévention et soins, en équipe avec d’autres soignants, sans me soucier de la gourmandise de Miss URSSAF et de ses copines, en reconnaissant et valorisant mon rôle dans le vaste monde médical, il serait alors possible que je ne pense pas seulement le matin en me rasant à m’engager. D’une façon plus générale, je suis persuadé et depuis un bon moment maintenant que toute autre politique de santé qu’une réelle, digne, ambitieuse valorisation et réorganisation de l’offre de soins de 1er recours n’est qu’un sparadrap souillé sur une jambe gangrenée.

Mais quand je lis les propos parfaitement décortiqués par Fluorette de l'ex-indétrônable
se(a)igneur de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (dont le récent successeur ne fera que poursuivre l'œuvre), ce sous-fifre des divers ministres de la santé de bien maigre pointure issus de la basse cours sarkozyste comme hollandaise.   Ou encore quand j'entends ceux de cette méprisante et insupportable Catherine Lemorton qui nous prouve que la sidérante nullité n'empêchera jamais d'accéder à de hautes fonctions. Oui, quand de loin j'observe tout ce beau monde grassement payé par nos impôts pour démanteler méticuleusement un système qui pourtant semble encore faire de nombreux envieux, je me dis que rien n'est gagné, mais que l'espoir est mince car tant est déjà perdu... Heureusement, il n'est pas interdit de rêver.

PS : toutes mes excuses les plus sincères au confrère à qui j'ai osé chaparder le titre de cette série de trois billets.

vendredi 5 décembre 2014

LES TROIS MEDECINS (Episode 2/3)

 
L'épisode 1 se trouve ici : Les trois médecins (Episode 1/3)
 
... Même si encore aujourd’hui je pense que le métier de généraliste est formidable, son statut ne me convenant pas, je suis allé voir ailleurs ce qui se passait.
 
Médecin territorial :

C’est quoi cette bête ?

Un médecin territorial est un médecin exerçant au sein de la fonction publique territoriale. En ce qui me concerne j’ai opté pour bosser en Protection Maternelle et Infantile. Je suis donc devenu un fonctionnaire parmi d’autres payé par un conseil général. Basta la CARMF, l’URSSAF, le paiement à l’acte et tout le reste. J’ai conservé ma casquette de généraliste et me considère toujours faire partie du système de soins de 1 er recours puisque le médecin PMI assure des consultations qui contrairement aux idées reçues sont ouvertes à toutes les classes de la population à condition d’être âgé de moins de 6 ans. Ce sont essentiellement des consultations dédiées au suivi pédiatrique courant et non au curatif. On nous le reproche parfois, mais c’est ainsi, l’âge comme l’orientation de ces consultations dépendent de la loi, point barre. Le médecin de PMI intervient également dans les écoles maternelles pour réaliser des bilans de dépistage, faciliter l’inclusion d’enfants porteurs de handicap ou de pathologie chronique. L’avantage de ce type d’exercice est qu’il se pratique en équipe. Mes consultations se déroulent par exemple systématiquement en binôme avec une infirmière puéricultrice. On a le temps d’écouter, de rassurer, d’expliquer, de conseiller. La puéricultrice est le principal « équipier » du médecin PMI, ce sont deux professionnels complémentaires qui apportent autant à l’un qu’à l’autre. Ce n’est pas le médecin qui du haut de son piédestal ordonne à l’infirmière ce qu’elle doit faire. Très honnêtement et très humblement, les infirmières puéricultrices m’ont beaucoup appris et je suis aujourd’hui persuadé que de nombreuses consultations lorsque j’exerçais en libéral auraient gagné à être effectuées avec et même pour certaines d’entre elles uniquement par une infirmière puéricultrice. Je ferais la même remarque pour l’autre professionnelle qui constitue une équipe PMI : la sage-femme.

D’une façon générale, la question de la délégation de tâches est me semble-t-il abordée par l’angle de la pénurie de médecins, et sous-entend parfois une diminution de la qualité des soins. Les propos du type : « Le gynéco sait mieux faire que la sage-femme , le pédiatre sait mieux faire que le généraliste, le généraliste sait mieux faire que l’infirmière » sont réguliers. Tout cela est bien péjoratif et je ne suis pas d’accord. Je pense que nous sommes tous des soignants avec des champs de compétences complémentaires qui peuvent parfois se croiser. C’est donc à mes yeux une formidable opportunité à saisir et investir tant pour les professionnels que pour les patients. Rien ne vaut un petit exemple pour illustrer le propos. Malgré quelques notions de base apprises sur le tas plus qu'à la faculté de médecine, je suis une buse dans le domaine de l’allaitement maternel. J’ai pu remarquer que bon nombre de confrères généralistes comme pédiÂtres ne valent guère mieux que moi, médicalisent beaucoup la question au point de faire foirer le truc. Une maman allaitante ne tirerait-elle donc pas plus de bénéfices à consulter une infirmière puéricultrice mieux formée et plus compétente dans ce domaine pour l’accompagner ? Bref, je referme cette parenthèse pour reprendre ma casquette de médecin territorial.

Je précisais que toutes les classes de la population peuvent consulter à la PMI. C’est ce qui se passe concernant ma consultation, d’autant que la démographie en pédiatrie libérale du secteur a fondu comme neige au soleil. Il y a évidemment beaucoup de précarité et ces derniers temps, celle-ci a plutôt augmenté contrairement à l’offre pédiatrique dans son ensemble (que celle-ci soit exercée par des pédiatres libéraux ou hospitaliers comme par des généralistes). L’atout du travail en PMI est de pouvoir offrir ces consultations aux plus démunis, et leur proposer l’aide de nos collègues assistantes sociales (professionnelles dont j’aurais eu régulièrement besoin lorsque j’exerçais en libéral). Une fois de plus, contrairement aux idées reçues, il s’agit là d’une aide, d’un soutien, car on entend trop souvent que la PMI « place les enfants ». Je n’ai personnellement jamais placé un enfant… En revanche, le jour où il me semble nécessaire de faire un signalement d’enfant en danger, je le fais, mais comme n’importe quel autre médecin qu’il soit libéral ou hospitalier doit le faire, ni plus, ni moins.

Il ne faut pas s’attendre à gagner une fortune en exerçant ce métier, mais chacun voit midi à sa porte. Basta l’URSSAF, la CARMF, etc, mais bonjour les week-ends, les RTT, les congés payés, pas mal de formations financées par l’employeur, etc. Bon en vrai de vrai, le salaire n'est pas terrible, j'ai même osé parler de foutage de gueule ici. Je me demande parfois si le principal point de divergence entre la jeune génération de généralistes et l'ancienne n'est pas le désir du salariat pour la première pendant que la seconde s'agrippe sur son statut libéral tellement galvaudé qu'il n'a désormais de libéral que le nom. Si la voie du salariat se calquait sur la médecine territoriale, les djeunes cons rêveurs seraient alors vite refroidis pendant que les vieux cons leur lanceraient ardemment le terrible : "on vous avait prévenus !".

Comme certains médecins généralistes libéraux, un médecin PMI peut recevoir des internes de médecine générale en stage, ce que je fais et apprécie beaucoup tant pour le désir d'apporter un peu aux futurs médecins que de recevoir d'eux et de me remettre en question.

Ce qui me manque le plus ? La variété de l’exercice de la médecine générale auprès de patients âgés de 0 à 100 et quelques années.

Ce qui me manque le moins ? Miss URSSAF (entendre le statut libéral).

Ce qui est drôle (ou pas) ? Observer et chercher à comprendre les rouages du fonctionnement d’une institution qui ressemble finalement à l’Etat mais en modèle réduit. Un conseil général possède à sa tête un Président qui fait vivre la démocratie locale via une assemblée d’élus (les conseillers généraux). Les décisions des élus et les missions de la collectivité sont mises en œuvre par une administration et des services dotés de grands chefs, de moins grands chefs, de petits chefs, de plus petits chefs, de encore plus petits chefs, de sous-chefs, de sous-sous-chefs, du chef du papier, du chef des gommes, du chef de la machine à café. Tout ce petit monde de chefs est épaulé par un chef adjoint, voire deux. Organisation imparable pour diluer les responsabilités et faire culpabiliser en silence les petites mains de ces services dès que quelque chose dysfonctionne. Evidemment et une fois de plus je suis impardonnable puisque je caricature et fais un peu d’humour grinçant mais pas que. Venant du monde libéral, ce fut pour moi un peu le grand écart. Et de toute façon, apparemment ça va changer en mieux ou en pire je n’en sais rien, puisque Fanfan la rose pâle a décidé de réformer tout ça.

Ce qui est pénible ? Ne pas forcément être reconnu par l’impitoyable monde médical très schématiquement hiérarchisé de la façon suivante :

Grand 1) Ce qui se fait de mieux, l’exemplarité : la médecine hospitalière

Petit 2) Ils sont vraiment nuls voire dangereux mais on les veut partout et tout le temps : les médecins généralistes libéraux

Tout petit 3) C’est qui eux ? Ils ne servent à rien ces planqués de fonctionnaires : les médecins PMI (j’imagine que c’est un peu ça aussi pour les médecins scolaires)

Alors qu’on sert tous à quelque chose et qu’on s’enrichirait à mieux se connaître et à mieux travailler ensemble…


Bref, comme le curatif et l’action me manquaient un peu, et qu’avant tout je suis un incorrigible éternel insatisfait, je suis encore allé voir ailleurs ce qui se passait. Du tout petit 3, je suis passé au Grand 1.
 
 
 
"On peut répéter que l’habit ne fait pas le moine tant qu’on veut, c’est pas si vrai."
 
"Qu’un médecin généraliste assure ces consultations n’était donc finalement pas un non-sens, on peut en revanche se questionner sur le bien-fondé de ces consultations en ces lieux..."
 
 "...barricader derrière des examens complémentaires comme des prescriptions médicamenteuses injustifiés voire nocifs..."
 
"...toute autre politique de santé qu’une réelle, digne, ambitieuse valorisation et réorganisation de l’offre de soins de 1er recours n’est qu’un sparadrap souillé sur une jambe gangrenée..."

mardi 2 décembre 2014

LES TROIS MEDECINS (Episode 1/3)



Les trois médecins ?

Plus précisément et comme le suggère l’illustration pleine de modestie ci-dessus, il sera question des trois casquettes de médecin que j’ai eu l’occasion de porter jusqu’à maintenant. Dans une série de trois billets, je vais tenter de décrire sommairement ces fonctions, d’en détailler très subjectivement les avantages et inconvénients, et d’en tirer quelques réflexions très personnelles. Simple témoignage, petits commérages, rien de plus.

Avant tout, il me semble utile de préciser que je suis généraliste et fier de l’être. La voie de la médecine générale a pour moi été choisie et non subie. A la fin de mes études, je désirais profondément quitter le milieu hospitalier pour voler de mes propres ailes, dans MON cabinet libéral.

Médecin libéral :

J’ai exercé en tant que généraliste remplaçant. Issu d’une promotion de carabins dans les années de grande rudesse du numerus clausus, non effrayé par le fait de m’éloigner de la grande ville universitaire sans m’exiler pour autant dans un trou paumé, faut pas exagérer, je me suis rapidement constitué un petit pool équilibré de médecins à remplacer régulièrement. J’ai donc très vite travaillé autant que certains généralistes installés s’octroyant régulièrement quelques moments de répit, en jonglant entre différents cabinets de petites villes et de campagnes, entre exercice isolé et exercice groupé, consultations sur et/ou sans rendez-vous, avec ou sans secrétaire, ou encore avec secrétariat à distance. J’ai même tenu plusieurs mois de suite la « boutique » d’un médecin contraint de s’arrêter pour raisons personnelles. J’ai ainsi pu vivre au plus près le quotidien d’un médecin installé.

 

Ces années constituent à ce jour ma plus belle expérience professionnelle. Humainement, intellectuellement, ce fut très riche et j’ai beaucoup d’anecdotes en tête, quelques

histoires de chasse, ainsi que de nombreuses leçons à tirer de ces années. Preuve en est : une bonne partie des billets partagés sur ce blog comme ici ou  est inspirée de ces expériences.


J’ai en revanche eu beaucoup de mal à m’adapter au statut de médecin libéral. Livre « recettes-dépenses », BNC, 2035, AGA, CARMF, Taxe Professionnelle, compte professionnel, tout cela m'a rapidement gavé.

 

Je crois que la pire fut Miss URSSAF, quasiment la première que tu rencontres lorsque tu débarques dans le fabuleux monde de la médecine libérale. Pourtant au début de notre union, Miss URSSAF était plutôt charmante et peu gourmande. Mais avec le temps, on change, le charme s’estompe, et les assiettes finissent par voler. Face à ses longs et surprenants silences, tandis que j’attendais avec émoi ses courriers auxquels j’avais pourtant fini par m’habituer tant par leur contenu que par leurs dates fatidiques, j’ai régulièrement tenté de l’appeler pour recoller les morceaux, en vain. Un beau jour, la grognace a fini par redonner des nouvelles via une mise en demeure, et toc ! Amour consommé, plus de pitié.
 
Un médecin généraliste libéral doit être capable de trouver un juste équilibre entre d'une part un nombre d’actes suffisant pour honorer ses charges tout en gagnant convenablement sa vie, et d'autre part l’exercice d’une médecine qui lui convient et qu’il considère comme bonne. Beaucoup semblent y arriver, moi pas, je reconnais cette lacune. Il m’arrive parfois de m’en énerver au point de devenir maladroit en affirmant haut et fort qu’avec ce système, pour bien gagner sa vie, il faut faire de la médecine fast-food, donc de la médecine de merde. Caricatural et arrogant j’en conviens, alors tout mon profond respect à ceux qui travaillent vite et bien.
 
Personnellement, je n’ai pas eu la force de résister à l’engrenage infernal : engranger de l’argent-faire gaffe aux charges-en garder pour soi-en refiler de plus en plus-donc voir de plus en plus de patients-et ainsi de suite. A partir du moment où lorsque le soir je rentrais chez moi en me demandant non pas si j’avais bien fait ou pas mon boulot ni ce que j’avais fait d’intéressant mais combien j’avais vu de patients, j’ai dit stop. Quelque chose ne tournait pas rond. Je n’ai donc jamais (peut-être pas encore qui sait car quand je serai grand…) posé ma jolie plaque dorée de docteur.
 
Avec le recul, je persiste à penser que le principal élément m’ayant fait fuir ce métier que pourtant j’aime est le paiement à l’acte. Conclure chaque consultation par cet échange argent/ordonnance me rendait mal à l'aise. Je me sentais parfois contraint de faire une prescription pour justifier mon gain. Comme si tout ce qui s'était déroulé avant, à savoir l'interrogatoire, l'examen clinique, les explications, le fait de rassurer, conseiller, tout cela était gratis, et que seule la prescription de médicaments méritait mon chèque ou mon billet. Alors que paradoxalement, dans le déroulé d'une consultation, c'est sans doute en pharmacologie que j'ai été le moins et le plus mal formé durant mes études...
Je me souviens avoir remplacé des médecins s’étant engagés sur le chemin des prémices d’un autre mode de rémunération avec l’option médecin référent. Il s’agissait de laisser le choix aux médecins comme aux patients de contractualiser cette option. Le patient bénéficiait alors du tiers-payant chez son médecin. Le médecin recevait une rémunération forfaitaire annuelle pour chaque patient en contrat référent, s’engageait à tenir un dossier médical digne de ce nom ainsi qu’à ne pas multiplier les actes et maîtriser ses prescriptions. C’était grosso modo une façon de passer du temps avec ses patients sans perdre d’argent. Mais la sournoise complicité entre gouvernants-assurance maladie-certains syndicats médicaux a balayé ce dispositif en moins de temps qu’il ne faut pour le résumer sommairement comme je viens de le faire. Soit. Je me souviens aussi du passage de la consultation de 22 à 23 euros que certains patients considéraient comme « oh ben vous l’avez bien mérité docteur » pendant que d’autres lançaient avec aigreur « pfff, c’est toujours les mêmes qui sont augmentés, l’argent va aux riches ! ».
 
Ainsi, j’avais compris que de façon cyclique, tous les trois, cinq, dix ou quinze ans, ce cycle semblant irrégulier, il faudrait reprendre son bâton de pèlerin pour aller piauner (pleurer en patois) un euro de plus, démarche soutenue par certains patients mais en horrifiant d’autres.

 
Certains défenseurs du paiement à l’acte considèrent qu’il fait partie de la consultation, qu’il est inconcevable de le supprimer, et qu’il permet au patient d’avoir conscience que la médecine a un coût. LA VALEUR DE L'ACTE MEDICAL ! Bof. 23 euros… ça peut aller, OK c’est pas gratos mais ça va, c’est pas non plus la mer à boire si ? Si on veut suivre cette logique, pour bien prendre conscience du coût, autant faire payer chaque passage dans un service d’urgences, ça parlera peut-être plus non ?

 
Bref, petit à petit, je me rends compte que finalement, même la Ministre de la Santé Touraine ne semble pas à l’aise avec le paiement à l’acte puisqu’il est désormais question de généraliser le tiers-payant. C’est la meilleure façon de préserver le paiement à l’acte mais en le cachant : "bouh, cachons nous les yeux entre nos doigts écartés, c’est pas beau mais regardons un peu de loin !"
 
Avant cela, elle avait laissé percevoir une autre preuve de son malaise face à la médecine à l’acte avec son contrat de Praticien Territorial en Médecine Générale (PTMG), arme présentée comme fatale contre la désertification médicale. Le PTMG a pour vocation d’aller exercer en zone sous-médicalisée, là où on manque de toubibs. Mais au cas où le PTMG ne fasse pas suffisamment d’actes au milieu de son désert, la ministre lui garantit une rémunération minimale. Assez drôle non ? J’aurais plutôt imaginé que le PTMG serait submergé d’actes dans ces zones sous dotées et qu’une garantie contre la submersion eut été plus logique, mais je suis loin d’avoir la logique d’un ministre. Malgré nos différences nous avons au moins un point commun : notre malaise face au paiement à l’acte.
 
Même si encore aujourd’hui je pense que le métier de généraliste est formidable, son statut ne me convenant pas, je suis allé voir ailleurs ce qui se passait.
 

Fin du premier épisode.
 

 
Dans les épisodes à venir :
 
Extraits :
 
"Basta la CARMF, l’URSSAF, le paiement à l’acte et tout le reste."
 
"les infirmières puéricultrices m’ont beaucoup appris et je suis aujourd’hui persuadé que de nombreuses consultations lorsque j’exerçais en libéral auraient gagné à être effectuées avec et même pour certaines d’entre elles uniquement par une infirmière puéricultrice."
 
"...des services dotés de grands chefs, de moins grands chefs, de petits chefs, de plus petits chefs, de encore plus petits chefs, de sous-chefs, de sous-sous-chefs, du chef du papier, du chef des gommes, du chef de la machine à café..."


Extraits

"On peut répéter que l’habit ne fait pas le moine tant qu’on veut, c’est pas si vrai."
 
"Qu’un médecin généraliste assure ces consultations n’était donc finalement pas un non-sens, on peut en revanche se questionner sur le bien-fondé de ces consultations en ces lieux..."
 
 "...barricader derrière des examens complémentaires comme des prescriptions médicamenteuses injustifiés voire nocifs..."
 
"...toute autre politique de santé qu’une réelle, digne, ambitieuse valorisation et réorganisation de l’offre de soins de 1er recours n’est qu’un sparadrap souillé sur une jambe gangrenée..."