lundi 29 septembre 2014

LES CHIENS ABOIENT, LA CARAVANE PASSE...



Ça a débuté quelques semaines après le cru 2013 d’Octobre Rose.
 
Je tombais par hasard nez à nez avec un mammobile, long semi-remorque rose transportant personnel et matériel destinés à effectuer le dépistage du cancer du sein.
 
Les femmes âgées de 50 à 74 ans étant encore à ce jour invitées tous les deux ans à passer une mammographie de dépistage selon les recommandations nationales, on peut penser qu’offrir le service d’une unité mobile de dépistage en plus de l’offre radiologique libérale ou hospitalière se justifie, notamment dans les contrées reculées. On en reparlera à la fin de ce billet.
 
Je précise qu’il est question ici du dépistage systématique dans la population générale et non des femmes présentant des risques nécessitant un suivi particulier.
 
C’est alerté par le surprenant message inscrit en gros sur la remorque du camion visible sur la photo ci-dessus « Utile dès 40 ans-On a toutes à y gagner » que je me suis mis à fouiner un peu au point d’avoir l’envie d’en faire un billet : La papamobile à son âge OK mais la mammobile à cet âge ? 
 
 
C’est ainsi qu’au passage de la caravane rose, les premiers aboiements du caniche engendrèrent ceux d’autres chiens(nes). Un groupe informel de soignants/patientes se forma pour relayer, réactiver et compléter le message comme ici chez :
 
 
Hélène, Fuck my cancer, ainsi que chez Rachel.
 
Cela donna même l’occasion à Martine Bronner de nous révéler le rêve dingue d’égalité hommes-femmes qu’elle fit : Lis ça, on peut en rire mais pas que...
 
Et chose inespérée, l’Institut National du Cancer (INCa) répondit à l’interpellation d'Hélène La Crabahuteuse. Cette réponse est consultable dans les commentaires de son billet déjà cité plus haut. En voici des extraits :
 
« Il est, en effet, tout à fait juste de rappeler que le programme national de dépistage organisé du cancer du sein porte sur la tranche d’âge 50-74 ans…
 
…Pour la tranche d’âge 40-49 ans, les bénéfices attendus sont effectivement moindres alors que les risques sont plus élevés (cancers radio-induits, surdiagnostic)…
 
…Nous considérons qu’il n’y a pas lieu, en l’état des évaluations et recommandations nationales actuelles, de proposer ni de soutenir un dépistage par mammographie à des personnes de 40-49 ans sans facteur de risque particulier, que ce soit ou non en mammobile…
 
…Il revient à l’Agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon de se prononcer sur le sujet… »
 
Il n’est pas toujours aisé de comprendre tout ça, je vais donc tenter de t’en faire une traduction. Caricatures, exagérations, imprécisions diront certains, tant pis. Le poids des mots le choc des photos l’ont toujours emporté sur les formulations couilles molles. Alors je traduis :
 
 
Pratiquer une mammographie de dépistage à des minettes de 40 berges en parfaite santé ne présentant aucun risque ne permet pas forcément de détecter un cancer du sein mais expose de façon non négligeable à en trouver un là où il n’y en a pas avec pour conséquences de biopsier voire pire de traiter des personnes inutilement. Sachant que le traitement ne se résume pas à la prise d’un gramme de paracétamol et en voiture Simone mais plutôt à l’artillerie chirurgie radio-chimiothérapie et son cortège d'effets plus qu'indésirables, je te laisse imaginer le tableau. Si ça ne te parle toujours pas, peut-être qu’imaginer ta femme, ta maîtresse, ta fille, ton amie, ta jeune patiente, avec un sein en moins alors que tout allait bien t’aidera à y voir plus clair. Bon, OK, dans la majorité des cas, ça n’ira pas jusque-là, mais avoue que le simple fait d’attendre le résultat d’une biopsie (geste invasif) qui n’aurait même pas dû être réalisée, peut t’occasionner quelques journées d’angoisse au point de ne pas seulement te passer l’envie d’aller à ton cours de zumba.
 
Le mammobile est la principale cible de ce billet, mais le propos vaut tout autant pour le médecin généraliste, le gynécologue ou tout autre médecin qui prescrirait cet examen de dépistage en moins de deux sur un coin de bureau sans la moindre explication : « Tenez ma brave, vous venez d’avoir 40 ans, alors à partir de maintenant vous ferez cet examen tous les ans. Comme on dit hein, mieux vaut prévenir que guérir et plus on fait ça tôt, mieux c’est… » La patiente repart ainsi rassurée par un ramassis de conneries avec son ordonnance pliée en deux au fond de son sac à main. Oui, nous parlons essentiellement ici de ce qui se voit dans le cadre du dépistage organisé, mais n’oublions surtout pas tout ce qui se pratique sans véritable cadre et qui est peut-être encore plus grave, à savoir le dépistage individuel fait par-dessus la jambe.

Le mammobile dès 40 ans, infime partie émergée de l'iceberg flottant dans les eaux troubles du dépistage du cancer du sein ?  Ce dépistage, meilleure façon de faire croire qu'on se préoccupe du sort des femmes sans mettre le moindre biffeton dans une véritable démarche de prévention ? (Dépister = traquer une maladie déjà apparue / Prévenir = éviter que cette maladie survienne).
 
Tu vois, le sujet est tout de même sérieux car les conséquences liées au mammobile dès 40 ans peuvent être plus que fâcheuses. D’où l’idée de l’INCa d’alerter l’Agence Régionale de Santé concernée par le mammobile 34, l’ARS étant une sorte d’antenne du ministère de la santé à l’échelon régional. Pour en savoir plus sur les ARS et observer leur grande réactivité, tu peux lire ça :
 
 
 
 
Voilà grosso modo où nous en sommes. Sauf que là, le cru 2014 d’Octobre Rose débute et que… et que l’on peut affirmer que des chiens peuvent aboyer jusqu’aux oreilles de l’INCa, la caravane continue de passer paisiblement. Car la photo ci-dessus avec ce message mensonger a été prise pas plus tard qu’il y a quelques jours. Les pratiques semblent donc inchangées.
 
Que pouvons-nous en conclure ?
 
Que le seul moyen moderne de communication entre l’INCa et l’ARS fut un pigeon voyageur déplumé s’étant trompé de direction ?

Que l’ARS en question a bien reçu le message mais que voyez-vous, il est délicat de faire changer des pratiques historiquement expérimentales… dans cette province tellement éloignée de Paris et tant pis pour les quelques minettes qui en paieront possiblement les frais sans le savoir d'autant que c'est pas la sécu qui finance mais les communes hôtes ?
 
Que dans une société dans laquelle seuls le profit et l’argent de quelques-uns priment, rien d’étonnant à ce que le domaine de la santé soit contaminé jusqu'à la moelle ? Business is business, même s’il y a un risque de biopsier voire de mutiler deux ou trois nanas pour rien au passage ? Qu’importe, elles ne le sauront jamais ! Au pire, c’est réparable, il y a des prothèses mammaires en stock… Fuck l’intérêt du patient, in the pocket le fric même s'il pue ?!
 
Ouais je sais, c’est un peu hard, et j’entends déjà certains me dire que je vais trop loin… euh, n’inversons pas les rôles quand même et relisons ensemble à voix haute sous la baguette du chef de chœur la réponse de l’INCa :
 
« Pour la tranche d’âge 40-49 ans, les bénéfices attendus sont effectivement moindres alors que les risques sont plus élevés (cancers radio-induits, surdiagnostic) »
 
C’est pas moi qui l’ai inventé ça.
 
Bilan des courses :
 
  1. L’INCa est au courant, on en a la preuve et il ne peut plus fermer les yeux puisqu’il s’est prononcé et a délégué à l’ARS.
  2. L’ARS si elle est véritablement au courant n’a soit rien fait, soit tenté de faire mais sans succès.
 
Alors maintenant, que fait-on ?
 
Les instances ne bougent pas ou plus un sourcil. Silence radio (induit). Cela se passerait-il de la sorte s'il s'agissait du corps des hommes ? Se remueraient-elles le fion s'il était notamment question de l'excroissance masculine évoquée dans le rêve d'égalité de Martine ? (Si tu ne l'as pas lu, vraiment, lis-le)

 
Marisol Touraine, la ministre des affaires sociales et de la santé s’est vue refourguer les droits des femmes lors du dernier remaniement. Santé, social, droits des femmes, ça me semble beaucoup pour une seule personne mais au moins ce sujet devrait lui causer : un peu de cohérence pour la santé des femmes dont les droits sont quelque peu bafoués dans cette histoire serait la bienvenue non ?
 
Malheureusement je crains très honnêtement qu’elle soit trop occupée, voire noyée par tout son taf puisqu’il paraît, je dis bien il paraît car ma source n’est absolument pas fiable d'autant que j'y ajoute le mode plein gaz de sarcasme, qu’elle a déjà commencé à effacer les noms de marque sur quelques paquets de cigarettes qu’elle prévoirait d’aller installer en personne dans le rayon d’un buraliste de la capitale en compagnie de nombreuses caméras de BofFM TV voire Canal Plouc et que surtout toute ministre qu’elle est et malgré tout le respect qu’on lui doit, elle y pane tout bonnement que dalle à tout ça et que encore plus que surtout, demander de la cohérence à une personnalité politique c'est demander la Lune.
 
Donc même si la caravane passe et repasse, tant qu’ils ne seront pas muselés, quelques chiens continueront à aboyer pour alerter celles et ceux qui voudront bien les entendre.
 
Je répète car c’est important que ce billet concerne les femmes âgées entre 40 et 49 ans sans risque particulier.
 
Si tu es une femme âgée entre 50 et 74 ans sans facteur de risque, il reste à ce jour recommandé en France de te rendre dans ce genre de mammobile ou ailleurs (radiologie libérale, hospitalière) tous les deux ans pour bénéficier du dépistage du cancer du sein.
 
 
Sache cependant qu’une personne avec laquelle j’ai eu la chance de converser a écrit un livre très riche et très pertinent sur le sujet du dépistage du cancer du sein. Il s’agit du livre No mammo ?  de Rachel Campergue. Mon petit doigt m’a informé qu’un second ouvrage décoiffant sur ce thème sera disponible d’ici peu. Mais si tu n’as pas envie ou pas le temps de te plonger dans cette prose fournie, je t’invite au moins à lire ce billet sur le site "Voix médicales" qui détricote parfaitement bien le sujet. Juste histoire d’avoir une information claire, indépendante afin de choisir librement et en toute conscience de te faire dépister. Bonne lecture.


vendredi 19 septembre 2014

HIPPOCRATE, MERCI POUR CE MOMENT...

Hippocrate c’est pour moi ce médecin philosophe grec ayant vécu il y a très très longtemps. Tellement longtemps que c’était même avant Jésus-Christ, à ce qu’il paraît.
 
C’est aussi et avant tout le serment qui lui est attribué, dont j’ai lu une courte version le jour de ma thèse afin de passer du côté obscur des docteurs en médecine. Évidemment, ça, ça me parle beaucoup plus.
 
Mais depuis quelques jours, Hippocrate c’est aussi ce film du Dr Thomas Lilti que je suis allé voir en solitaire un soir de météo agitée dans un petit cinéma indépendant de province.
 
 
 
Confortablement installé au fond d’un fauteuil, à ma droite, le sac à main posé sur la veste d’une dame d’âge mûr qui n’avait manifestement pas envie qu’un inconnu s’assoie à ses côtés. A ma gauche, un type de la soixantaine qui avait toute la dégaine d’un toubib. Je me trompe plus que probablement, mais j’adore imaginer la vie des gens que je croise. J’adore me faire des films.
 
Ce film justement, ce sont les premiers pas d’un interne en médecine au sein d’un service hospitalier tenu par son père. Si tu préfères lire l’avis demandé à des docteurs dans de célèbres magazines, tu as celui de Martin Winckler dans Télérama ou celui du Dr Gérald Kierzek dans Paris Match.
 
 
Quand le premier semble avoir apprécié un film qui l’a replongé trente ans en arrière dans un système médical français qualifié de féodal, le second dit ne pas avoir aimé, ni ri, mais au contraire avoir souffert et ressenti de la colère. Comme quoi, demander un second avis médical peut parfois te perdre plus que t’éclairer non ?
 
Si tu veux l’avis d’un spectateur-médecin lambda à qui personne n’a rien demandé mais qui a tout de même eu envie de l’ouvrir, le voici.
 
Globalement, tout est dans le titre de ce billet : «Hippocrate, merci pour ce moment». Je reconnais l’avoir légèrement piqué à une nana qui va se faire pas mal de fric avec cette histoire mais honnêtement, j’ai passé un très bon moment en compagnie non pas du mais des deux personnages principaux que sont à mes yeux Benjamin et Abdel. Dès les premières minutes, j'ai plongé dans l’histoire et j’ai été saisi par la justesse des lieux, des expressions, des dialogues, des visages, des dégaines. Je me suis revu déambuler dans le labyrinthe des sous-sols de l’hôpital en me demandant si j’allais un jour réussir à trouver cette fichue lingerie. Je me suis revu enfiler cette blouse rarement à ma taille, souvent maculée de taches «propres», tout sauf hygiénique. Ce réalisme, je l’ai observé quasiment tout au long du film qui pourtant reste une fiction. C’est là il me semble que réside la prouesse du réalisateur qui a réussi à concocter une histoire réaliste sans tomber dans le documentaire. La réalité ? Quelle réalité ? Nous avons tous notre propre réalité, nos propres réalités. J’ai donc été parfois touché de voir certaines de mes réalités sur un écran de cinéma. La réalité des premiers jours d’un interne penaud les deux pieds dans le même sabot. La réalité des internes et médecins étrangers qui font tourner nos hôpitaux et à qui j’avais consacré un billet intitulé Etrangitude. Pour y être retourné exercer en tant que médecin relativement récemment, la réalité du manque de matériel, du matériel défectueux, des conditions de travail des soignants à l’hôpital, mais est-ce mieux ailleurs et dans d’autres domaines ?
 
Quelques points n’ont tout de même pas forcément été conformes à ma réalité, je dis bien à MA réalité. Par exemple, les gardes semblent relativement calmes dans le film. «Dans mon temps» (oh le vieux con !), nous étions à la fois de garde aux urgences et pour les différents services d’hospitalisation. C’était pratiquement toujours le bordel total avec des délais d’attente insoutenables pour les patients et donc peu d’occasions d’aller admirer les fresques murales de la chambre de garde… Dans ma réalité, il est également fréquent que la seule porte d’entrée à l’hôpital soit le service des urgences, au plus grand détriment de certains patients comme je l’avais relaté ici avec Madame Michu et son fichu sur la tête.
 
Certains diront que les thèmes abordés dans le film tels les soins palliatifs, l’acharnement thérapeutique, la confrontation à la mort d’un patient, l’alcoolisme et bien d’autres sont seulement survolés. Oui et alors ? Il s’agit de l’histoire des premiers pas d’un interne dans l’apprentissage de son métier de médecin. Rien d’étonnant donc qu’il survole ces sujets qui seront approfondis ou pas par ses formations et ses propres expériences tout au long de sa vie professionnelle.
On peut comprendre que certains médecins réanimateurs se sentent caricaturés voire insultés dans ce film. Mais au-delà des interminables guéguerres entre différentes spécialités médicales j’ai plutôt vu le message de toujours faire primer la chaleur humaine et l’intérêt du patient loin devant l’action thérapeutique systématique et la froideur de la technicité. Un peu comme je l’ai vécu avec cette histoire : Ten years later.
Les réa en ont donc pris pour leur grade mais ça aurait très bien pu viser une autre paroisse, de la gynéco à la cancéro en passant par la médecine générale, oui, je ne vois pas pourquoi la médecine générale serait épargnée. Le message est à mon avis adressé au monde médical dans son ensemble. Je suis persuadé que le spectateur non médecin saura faire la part des choses et ne généralisera pas à l’ensemble des réanimateurs hospitaliers ce qui est décrit dans ce film.
 
Souvent, on dit que la réalité peut dépasser la fiction. Mais la fiction permet parfois de dévoiler voire dénoncer certaines réalités. Je ne vois pas pourquoi cela ne vaudrait pas pour ce film.
 
Avant de terminer, je vais te raconter une courte histoire :
 
Elle se déroule il n’y a pas si longtemps que ça dans un centre hospitalier. Un médecin sénior fait sa visite au lit des malades accompagné de sa troupe d’internes, étudiants, stagiaires, infirmières etc… Un patient en fin de vie a envie de discuter avec le Docteur. Il lui confie qu’il est heureux car avant de partir pour l’éternité, il s’est fait creuser une piscine au milieu du terrain de sa propriété. C’était son rêve, il semble apaisé de l’avoir réalisé. Il sait qu’il n’en profitera pas, mais c’est un cadeau offert aux siens, «un souvenir de papy lorsque mes petits enfants s’y baigneront gaiement ». Une fois la discussion expédiée en moins de temps qu’il ne faut pour la raconter et sorti de la chambre, le médecin sénior s’adresse à son auditoire. Attention, ouvre bien les oreilles, les deux, pour une grande séance de formation médicale non pas au lit du malade mais dans le couloir devant la porte de sa chambre : « Plutôt que de se faire creuser une piscine, il aurait mieux fait de se faire creuser une tombe ». Froid silence crispé puis sourires gênés de l’assemblée, car quand le grand Maître fait une blague, il faut sourire, c’est la règle et il faut se blinder comme on dit... Bien entendu, alors que ça en démange plus d’un, personne n’ose aller lui foutre son poing dans la gueule.
 
Fin de la scène que tu ne verras pas dans le film Hippocrate. Mais alors cette scène ? Fiction ou réalité ? Ta fiction ou ma réalité ? La réalité peut-elle vraiment dépasser la fiction ?
 
Pour finir, je pense très sincèrement que ce film peut permettre de mieux connaître certains aspects du parcours des médecins et contribuer à rapprocher les soignants des soignés.
 
C’est pourquoi au-delà de mon avis personnel dont tout le monde se contrefiche et c’est plus que parfaitement normal, j’ai tout de même eu envie de dire : «Hippocrate, merci pour ce moment».

mardi 9 septembre 2014

LA LOI, LE MEDECIN ET LE PATIENT


Étant expert en rien, râleur sur tout, l’objet de ce billet n’est nullement de discuter de la pertinence ou de l’efficacité de certains vaccins. Il sera seulement question ici de détricoter la façon dont le législateur peut perdre médecins et patients au milieu de ses articles de loi. On pourrait imaginer que l’art de l’exercice de la médecine serait facilité s’il était régi par des textes législatifs (bouh, moi ça me fait froid dans le dos et la médecine ne serait plus un art). Qu’en est-il justement lorsque des textes existent ?

En France, dans la population générale, trois vaccins sont obligatoires, tous les autres sont recommandés. Puisqu’ils sont obligatoires, c’est la loi donc le législateur (le bon) qui les impose. Il s’agit des vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, bien connus sous le nom de DTP. On trouve cette obligation vaccinale dans le code de la santé publique (CSP) :

-Article L3111-2 : « Les vaccinations antidiphtérique et antitétanique par l'anatoxine sont obligatoires, sauf contre-indication médicale reconnue ; elles doivent être pratiquées simultanément. Les personnes titulaires de l'autorité parentale ou qui ont la charge de la tutelle des mineurs sont tenues personnellement responsables de l'exécution de cette mesure, dont la justification doit être fournie lors de l'admission dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants. »

-Article L3111-3 : « La vaccination antipoliomyélitique est obligatoire, sauf contre-indication médicale reconnue, à l'âge et dans les conditions déterminées par décret en Conseil d’État, pris après avis de l'Académie nationale de médecine et du Haut Conseil de la santé publique. Les personnes titulaires de l'autorité parentale ou qui ont la charge de la tutelle des mineurs sont tenues personnellement de l'exécution de cette obligation. »

Même si elle apparaît encore comme telle sur de nombreux formulaires d’inscription en collectivités ou en établissements scolaires, la vaccination contre la tuberculose n’est quant à elle plus obligatoire depuis 2007 (ça fait 7 ans, et les imprimés n’ont toujours pas été modifiés…).

Pour le médecin, ces textes sont simples et devraient donc faciliter son exercice :

« Bonjour Madame, pour votre petit, c’est facile, il faut faire le DTP, y a pas à chipoter, c’est la loi article L 31… tatatitatata ! ».

Fastoche, fingers in the nose ! Évidemment en pratique, je ne dis pas ça comme ça. Et en pratique, malgré la loi, ça n’est pas si simple que ça, car si je ne me trompe pas (si je me trompe, merci de me le faire savoir), le vaccin DTP seul n’existe pas pour une primo-vaccination et n’existe pas tout court pour les enfants de moins de 6 ans. D’après le calendrier vaccinal, il est recommandé de débuter les vaccinations à partir du deuxième mois de l’enfant avec un vaccin DTP contenant obligatoirement les vaccins recommandés contre la Coqueluche, l’Haemophilus Influenzae b, et plus ou moins l’Hépatite B soit 5 à 6 vaccins en une injection. Je répète que mon propos ne vise pas à remettre en cause ces vaccinations mais de mettre en perspective l’ambiguïté de la loi au regard de la pratique médicale.

Le médecin vaccinateur (la brute) qui n’a ni envie de perdre son temps (le temps c’est de l’argent) ni envie de se poser trop de questions (encore moins que le patient lui en pose) peut choisir l’option de vacciner grâce au cocktail de 6 vaccins sans aucune explication. C’est une option. Une option qui pour certains évite de mettre un caillou dans la chaussure du bon législateur, pour d’autres remplit les caisses des laboratoires pharmaceutiques. Une option qui permet également aux statisticiens de conclure que la couverture vaccinale s’améliore. Mais l’exercice d’une médecine respectueuse du patient impose avant tout de lui délivrer une information loyale et claire, surtout à mon humble avis lorsqu’il s’agit de lui injecter un produit dans le corps.

Mais problème : que dire aux parents qui souhaiteraient faire uniquement à leur enfant les vaccins rendus obligatoires par la loi mais que la pratique ne peut leur offrir ? Leur conseiller d’écrire au législateur ?

Si ces trois vaccins sont obligatoires, la logique veut que le fait de ne pas respecter la loi rende le patient hors la loi (le truand), donc sanctionnable.

La sanction est en effet prévue dans les textes : Article L3116-4 du CSP : « Le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination prévues aux articles L. 3111-2, L. 3111-3 et L. 3112-1 ou la volonté d'en entraver l'exécution sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3 750 Euros d'amende. »

Six mois de prison, 3750 boules, ça calme hein ! Donc même si dans le cocktail de vaccins y en a qui sont seulement recommandés, le choix si on peut appeler ça un choix est vite fait.

En dehors de prévoir la punition, que sous-entend cet article ? Le médecin constatant qu’un enfant n’a pas été vacciné doit-il se positionner dans le cadre de la protection de l’enfance et aller jusqu’au signalement aux autorités compétentes ? Sachant que cet article du CSP précisant les sanctions fait également partie de la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance, même si cela peut paraître exagéré, il semble logique de se poser cette question.

Heureusement, la loi est là pour y répondre…

L’article R 3116-1 stipule que : « L'âge limite de l'enfant prévu à l'article L. 3116-2 pour l'exercice de l'action publique en vue de poursuivre des infractions aux dispositions des articles L. 3111-1 à L. 3111-3 est fixé :

- à dix ans pour les vaccinations antidiphtérique et antitétanique ;

- à quinze ans pour la vaccination antipoliomyélitique. »

Donc cool Raoul, on a largement le temps de laisser refroidir la patate chaude avant de la passer ni vu ni connu à quelqu’un d’autre.

Oui mais la loi est partout, tout le temps. Si tu souhaites inscrire ton bambin de quelques mois à la crèche, ou ton bout de chou de 3 ans à l’école maternelle, voilà ce que disent les textes : Article R3111-17 : « L'admission dans tout établissement d'enfants, à caractère sanitaire ou scolaire, est subordonnée à la présentation soit du carnet de santé, soit des documents en tenant lieu attestant de la situation de l'enfant au regard des vaccinations obligatoires. A défaut, les vaccinations obligatoires sont effectuées dans les trois mois de l'admission. »

Tu me diras, rien ne t’oblige à y inscrire ton enfant. Sauf qu’à partir de 6 ans, il y a l’obligation scolaire, donc l’obligation vaccinale et on revient à la case départ. Oui je sais, l’obligation scolaire est une obligation d’instruction et non une obligation d’inscription en établissement scolaire, ça chipote, ça chipote. OK.

Moi j’aime bien chipoter, alors je vais poursuivre avec une série de questions. Je répète, ce sont des questions, aucunement des affirmations ni le reflet de ce que je souhaiterais.

Rendre tous les vaccins recommandés obligatoires ?

Pour clarifier, simplifier, et conserver une certaine crédibilité, étant donné qu’il semble aujourd’hui plus risqué en France de mourir par exemple d’une complication de la rougeole ou de la coqueluche que de la diphtérie, alors pourquoi le législateur ne décide-t-il pas de rendre ces vaccins obligatoires ? Voire tous les vaccins obligatoires ?
S'il venait à se diriger dans cette voie, on imagine aisément qu'il prendrait d'abord la précaution d'abroger des textes comme l'article L3111-9  prévoyant les réparations des préjudices en cas d'accidents post-vaccinaux.

Au contraire, supprimer toutes les obligations vaccinales ?

Il paraît impossible d’appliquer la loi sur l’obligation vaccinale stricto sensu sans prendre les parents en otages avec d’autres vaccins recommandés. Par ailleurs, on peut imaginer que le fait d’avoir des vaccins obligatoires et d’autres simplement recommandés instille dans l’esprit des patients une hiérarchie entre ces vaccins : des injections obligatoires qui seraient donc plus importantes que les autres.

Ne rien changer ?

Laissons les médecins assis le cul entre deux chaises et se démerder avec la loi et les patients, la loi étant le bon, le médecin-vaccinateur la brute évitant au patient de devenir le truand.

Chipotons encore un peu plus.

La lutte contre les maladies infectieuses concernées par l’obligation vaccinale (DTP) comme d’autres passe par la vaccination mais pas que. Les mesures d’hygiène ont une place importante. L’obligation vaccinale ne crée-t-elle pas l’illusion qu’il s’agit là de l’unique moyen de prévenir les infections concernées tout en laissant supposer que l’impact de l’hygiène est négligeable ?

Enfin, les mesures d’hygiène et les conditions de vie s’avérant importantes dans cette lutte, une petite question quelque peu provocatrice : puisque le législateur impose la vaccination au couple médecin-patient, ne devrait-il pas en contrepartie s’imposer de garantir l’accès à des conditions de vie et d’hygiène convenables pour tous ? Soyons logiques non ?

Nous avons pu voir dans ce rapide billet non exhaustif que le seul domaine de la vaccination obligatoire amène à faire référence  à six articles de loi. Tellement occupé à rédiger des textes dans tous les domaines de notre  vie, il est aisé de comprendre que le législateur puisse parfois oublier de remplir sa déclaration fiscale une, puis deux, puis trois années de suite... On ne peut avoir la tête partout voyons. Mais attention, les mots ont un sens, petite leçon : le législateur est négligeant,  les membres du petit peuple sont quant à eux des truands, les chômeurs sont des fraudeurs, les SDF  sont SDF parce qu'ils le veulent bien (D pour Domicile et non pour Dents hein...), etc... Ces petits coups de canif offerts par l'actualité de ces derniers jours n'ont d'autre but que de dire qu'historiquement, au-delà du seul domaine vaccinal et médical, les décisions politiques ont eu une importance majeure dans l'amélioration de l'espérance de vie. Le triste spectacle de ces dernières années doit-il nous faire craindre le pire ?

Pour conclure sur le billet du jour, il me semble qu’un des piliers nécessaire à l’art de la médecine est l’instauration d’une relation de confiance entre le soignant et le patient. Je ne suis pas certain que ces articles de loi confrontés à la pratique quotidienne aident beaucoup dans ce sens.



Les articles de loi sont consultables sur le site Legifrance.

Ajouté le 11/09/2014 :
 
La question de l'obligation vaccinale a récemment été posée par le Dr Luc Perino sur son blog : Faut-il abandonner les obligations vaccinales ?
 
Et le sujet va même jusqu'à titiller les neurones des experts du Haut Conseil de la Santé Publique puisque par le plus grand des hasards, un avis y a été mis en ligne pas plus tard que le 10/09 : Politique vaccinale et obligation vaccinale en population générale