lundi 16 décembre 2013

La papamobile, à son âge OK, mais la mammobile, à cet âge ?


Ne t'inquiète pas, je n'ai pas prévu ici de parler "religion". Quoique, en fonction de notre paroisse, tu vas voir qu'on n'est pas tous logés à la même enseigne, et que certains sont "mieux protégés" que d'autres... Et même qu'ils peuvent bénéficier de trucs gratos plus tôt que les autres, les chanceux ! En fait, tu verras qu'il s'agit de chanceuses... N'oublie pas qu'ici, j'utilise très souvent la dérision. Ne l'oublie surtout pas.
 
Alors donc.
Ce matin même, j'arrive au boulot, je gare ma caisse et que vois-je ?
Un semi-remorque tout de rose vêtu qui attire mon attention.
 
Car ce matin dans la commune où je bosse, les femmes pourront bénéficier du dépistage du cancer du sein, au sein de la jolie mammobile* rose qui sillonne le département un peu comme le truck de Jamy et Fred dans "C'est pas sorcier". La mammobile roule ainsi de communes en communes dont les maires ont eu la bonté de payer ce dépistage à leurs administrées. Ah oui, les salauds de maires qui ne payent pas la dîme ne verront pas le joli camion rose sur le parking de leur mairie. En gros, on pourrait penser qu'ils se foutent complètement  que leurs administrées se tapent un cancer du sein. Ben quoi ? Si on veut aller au bout de cette logique, c'est un peu ça non ? Tu sais moi, je suis un peu con, je réfléchis pas beaucoup, excuse vieux.
 
Bon, soyons sérieux 30  secondes.
Officiellement en France, le dépistage du cancer du sein c'est une mammographie tous les 2 ans entre l'âge de 50 et 74 ans, chez la femme... (les 3 derniers mots, c'est soit pour te faire sourire, soit pour si tu suis pas)
 
Donc ça, c'est la règle. Alors on pourrait vraiment penser que les maires qui ne font pas venir la mammobile dans leur commune, y sont vraiment pas gentils.
Eh les maires pas gentils ! Faites gaffe c'est bientôt les élections. Gniark Gniark !!!

Mais en fait, c'est plus compliqué que ça parce qu'à côté du message officiel, on entend de plus en plus un autre son de cloche (pape, religion, tu piges toujours) au sujet de ce dépistage. Bon, je ne vais pas en rajouter une couche mais des choses très intéressantes peuvent être lues ici :
 
-chez Doc du 16
-chez Rachel Campergue (qui a écrit le livre "No mammo ?")
-chez La Crabahuteuse (A quién hago un besito)
-chez Hippocrate et Pindare (un blog que j'aime beaucoup)
-chez Kalee (vraiment un billet qui vaut le détour)

Et il y en a bien d'autres, la liste serait longue mais voici ceux que j'apprécie et que je voulais partager.

Donc aucun intérêt que j'ajoute ma sauce.
Non moi, c'est un autre truc qui m'a interpellé.

Voici la photo de cette fameuse mammobile :

 
Bon, ça t'interpelle toi aussi ? Rassure-moi.
Lis bien ce qui est écrit sur le camion rose, oui, oui, c'est pas un photo montage, y a aucun trucage.
Donc tu vois, en France il y a des recommandations discutables mais officielles. Puis en fonction de ta paroisse, il y a des pratiques qui font que tu peux "bénéficier" "gratuitement" du dépistage du cancer du sein dès 40 ans.
Alors moi, je sais plus si je te l'ai déjà dit mais au cas où, je te le répète : je suis un peu con, je réfléchis pas beaucoup. Excuse vieux.
Mais je suis volontiers preneur de tout ce qui peut justifier, argumenter, prouver l'intérêt de cette chose.
Et si tu me crois pas que c'est vrai cette histoire, alors il te suffit d'aller jeter un œil sur le site de l'association en question : ici

 
Et si t'es le responsable de cette association, ne t'énerve pas, je ne fais que poser une question et demander des justifications, scientifiques si possible.
 
Joyeux Noël !
 
*Pour les coincés du c.. de la langue française qui préfèrent parler de la forme pour mieux esquiver le fond de ce post, je sais qu'il est d'usage de dire "UN mammobile", comme on dit UN playmobil haha ! Mais là j'ai intentionnellement écrit  UNE mammobile parce que ça sonne mieux à mes oreilles, parce que c'est rose, parce que c'est pour les femmes, et tout et tout, alors je persiste : LA papamobile versus LA mammobile voire mamamobile pour la Crabahuteuse. (ajouté le 20/12/2013)




 

jeudi 12 décembre 2013

Étrangitude


Je te préviens, ce qui suit va peut-être faire un peu trop dans le « guimauves et violons » à ton goût.

Voilà, t’es au courant.

Mais ça se terminera aussi avec un petit point/g rageur.


Avant avant-hier :

Je suis un bébé-médecin, mieux connu sous le nom de carabin. Je fais mes premiers pas maladroits, blouse ouverte, stétho en or qui brille. Je ne suis pas le seul, on est plutôt nombreux comme ça, à relever le col de notre blouse que l’on garderait 24/24 histoire de bien montrer qu’on sera un jour médecin, même qu’on l’est déjà un peu-beaucoup-passionnément-àlafolie. Et à se la tchatcher dans les couloirs de l’hosto alors qu’on sait très grossièrement sur le bout des doigts à peine trois fois rien. Moi carabin, enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné un jour d’un diplôme de médecine FRANçais, trop la classe mec !

Allez, c’est parti. En plus, premier stage au bloc op’ mon pote ! Alors, ça calme hein ! Et attends, bloc de chirurgie cardiaque ! S’il vous plaît ! Pas le petit bloc de mes deux pour les ongles incarnés. Donc de quoi relever encore bien plus haut le col de ma blouse ouverte et faire briller de mille feux mon stétho (que je ne sais pas utiliser) en disant à voix très très très HAUTE (surtout au moment où passe une minette de 2 ou 3ème année ou une jolie élève infirmière), chewing-gum à la bouche, clope éteinte à la main, l’autre main fixée sur la boucle de ma ceinture : « Ouais today au bloc on a fait une mitrale et un triple pontage, NOUS ! ». (En vrai, moi, j’ai rien fait. J’étais habillé comme un schtroumpf et simplement planqué dans un coin derrière le champ opératoire à regarder tout en priant Dieu, Allah, Asclépios, Athos, Porthos et tous les autres, nom de Zeus, pour qu’on ne me pose aucune question d’anatomie ou de physiologie cardiaque mais chut, préservons le mythe.) Et voilà ce que j’ai vu.

J’ai vu tes mains de géant gantées de latex plonger dans une cage thoracique pour réparer ce petit truc plutôt utile et même indispensable qu’est le cœur. J’ai vu tes longs doigts jouer minutieusement avec les fils comme ceux d’un virtuose dansent sur les cordes de sa guitare pour obtenir la note parfaite, le meilleur son. Tu parlais peu, tu semblais concentré mais détendu, une douce musique sortait d’un vieux radiocassette. Sous cet accoutrement stérile de bloc te camouflant de la tête aux pieds en passant par le bout des doigts, il y avait bel et bien un artiste dont je n’avais pas encore réussi à croiser le regard. Un grand artiste qui œuvrait là devant moi planqué derrière mon champ.

Opération terminée, tu jettes tes gants de latex, et là je vois…

Tu quittes le bloc en blaguant, je perçois mieux ta voix et ton accent, et là j’entends…

Je sors à mon tour et je te suis. Derrière cette impressionnante armoire à glace, je suis transparent, insignifiant. Mais j’observe ce qui émane de ce corps de géant, la bonté de ton regard, la douceur de tes paroles. Tu as le cœur sur la main, pour un chirurgien cardiaque ça tombe bien. On sent que tu es passionné par ton métier. On voit que tu aimes les patients, que tu aimes les gens. Pourtant, certains ne te le rendent pas forcément, et refusent formellement que tu les opères, que tu les touches, au cas où tu les salisses. Tu en rigoles… J’imagine qu’au plus profond de ta carapace, quelques larmes s’échappent discrètement.

Il me suffit de t’écouter parler en fermant les yeux pour aussitôt t’imaginer au milieu des tiens là-bas si loin où il fait si chaud. Tout à l’heure en revanche sous tes gants de latex blanc, je n’imaginais pas cette peau noire, si noire…

Bel Africain.

Le lendemain, c’est un autre artiste qui entre en piste. Il est beaucoup plus fin, plus petit, plus discret, tout aussi calme, passionné et doué. Sa peau est beaucoup plus claire que la tienne, quasiment aussi claire que la mienne. Normal, lui il est du Nord…

Du Nord de l’Afrique.

Le vieux lion qui règne en maître incontesté sur le service rôde ici jour et nuit. Probablement à l’affût de son futur successeur puisque les rumeurs en provenance des quatre coins de l’hospice le disent sur le point de tirer sa révérence.

Vous auriez l’un comme l’autre, toi le grand Noir Africain, toi le petit Maghrébin, les épaules et les compétences pour assumer la fonction, mais… Tu m’as compris. Pas besoin de dessin…


***

Avant-hier :

J’ai grandi. Mes pas sont légèrement plus assurés, ma blouse s’est raccourcie, mon col est moins relevé, mon stétho est au chaud dans ma poche, à côté de mes nombreux pense-bêtes... Je suis un ado-médecin mieux connu sous le nom d’interne. Je n’en mène pas large parce que j’entame mon premier semestre et le chef de service que je viens de rencontrer en tête à tête dans son bureau n’a pas l’air commode. Je ne tchatche plus dans les couloirs de l’hosto alors que j’en sais un tout petit peu plus que trois fois rien. Car franchement, je flippe. Tout se passe finalement plus que bien. Trois personnes formidables me prennent la main, m’accompagnent, me soutiennent. Elles reprennent mes conneries à temps, sans moquerie ni humiliation, avec douceur et respect. Parmi elles, trois femmes. Parmi ces trois femmes, deux médecins assistantes, l’une portant les couleurs d’Haïti, l’autre un fabuleux mélange des couleurs de la France et du Sénégal. Et enfin la troisième, ma collègue interne (AFS*) depuis plusieurs années dans le service, un pilier arrivé du Cameroun. Le chef leur fait toute confiance, pourtant c’est un dur à cuire. Ce sont elles qui assurent une grande partie de ma formation. Un jour, je me rends compte que de nous quatre, alors que deux d’entre elles sont déjà médecins, c’est quasiment moi le mieux payé…

Les semestres s’enchaînent. Je grandis encore, avec mes compagnons de galère. Je rigole avec ce joyeux groupe d’internes (AFS*) haïtiens dont un membre est toujours prêt à te reprendre une garde parce que toi ça te fait chier tandis que lui ça lui permet d’arrondir grandement sa fin de mois. Cuba a aussi son représentant, tout comme le Mali, et le Maroc.

Puis me voilà aux urgences. Je suis un grand ado-médecin, pas super loin d’être un adulte-médecin. J’ai même quelques bébés-médecins avec moi : des externes. Parmi eux, un type qui a au moins deux fois mon âge, au moins. Il vient de Syrie. Là-bas dans son pays il était chirurgien. La seule chose que je peux lui apprendre moi, quelques notions de français. Tout ce qui est du domaine des urgences chirurgicales, c’est lui qui m’aura tout appris, tout montré. Une plaie carrément moche dont je ne sais que faire, je l’appelle au secours. Un type « sous mes ordres », au moins deux fois mon âge, au moins 10 000 fois plus compétent que moi dans son domaine, payé peut-être ¼ de mon salaire…
 


***

Hier :

Je suis un vrai docteur enorgueilli à vie de ne pas avoir été cisaillé par le numerus clausus FRANçais, formé dans une faculté de médecine FRANçaise, dans un CHU FRANçais, couronné d’un diplôme de médecine FRANçais. Après quelques années éloigné de l’hôpital, je me lance le défi de retourner y exercer. Malgré mes trois années d’internat et mes huit années d’exercice de la médecine derrière moi, j’ai l’impression de revenir au stade de mon premier semestre d’interne. Je n’en mène pas large pour ne pas dire que je flippe carrément. Première garde hospitalière en tant que vrai docteur, putain, je suis trop con, pourquoi je me suis lancé ce défi ? Mama Mia ! Le pédiatre d’astreinte ce soir, je le connais. C’est un de ces internes haïtiens avec qui je rigolais à l’époque, il y a 10 ans. Putain 10 ans déjà. Il est toujours là, fidèle au poste, après avoir gravi quelques échelons. On parle de nos souvenirs, de nos connaissances communes. On plaisante. Lui, il a passé tous les examens, toutes les équivalences, il a tout réussi, même le concours de praticien hospitalier, il est brillant. Il a un contrat minable renouvelé tous les 6 mois. Un jour peut-être, il sera titularisé, peut-être… La majorité de ses compatriotes ont passé d’autres équivalences et exercent aux États-Unis, au Canada. Des types et des nanas brillants, y a pas d’autres mots.

J’enchaîne les gardes, je flippe un peu moins mais quand même, je flippe. Et il y a toi. Lorsque je suis arrivé dans le service, je n’ai pas compris de suite qui tu étais, d’où tu venais. Discrète, très polie, ton arrivée dans le service précédait la mienne de quelques semaines seulement. Nous nous sommes retrouvés de garde ensemble. Nous avons fait plus ample connaissance la journée dans le service. Au fil du temps, de simples confrères nous sommes devenus de bons collègues, puis rapidement de très bons amis. Alors j’ai prié pour tomber le plus souvent possible de garde avec toi. Ta disponibilité et tes compétences lorsque je doutais. Les blagues et nos fous rires durant les moments de calme. Nos discussions plus profondes sur la médecine, les rapports humains et la vie en général. Oui, de vrais amis. Mes yeux ébahis lorsque tu me racontais tes études médicales à Madagascar. Les incroyables histoires, les cas que tu as rencontrés, tout ce qui a probablement contribué à développer chez toi ce formidable sens clinique. Grâce à toi, j’ai continué à apprendre. Tu bossais autant que moi, tu étais plus compétente que moi dans ton domaine, c’est toi que l’on appelait lorsqu’un accouchement tournait mal et qu’il fallait réanimer le nouveau-né. Tu avais quasiment tous les diplômes requis, toutes les équivalences. Tu étais payée deux fois moins que moi…



***


Aujourd’hui :

Mon petit pays chéri d’amour, concernant ma petite gueule, je ne peux qu’être reconnaissant envers toi. Car c’est grâce à ton système scolaire public et égalitaire que des petits gars pas forcément issus du sérail ni du camp des fils à papa, montés de leur campagne ou descendus de leur HLM peuvent prétendre devenir toubib un jour. Alors pour ça, je m’incline pour te remercier. Et j’aimerais profondément que ça continue dans ce sens…

Voilà.

Maintenant que c'est dit, je me relève, une main sur le cœur, pour ajouter cela :

A vous tous médecins étrangers venus des quatre coins de la planète, j’ai envie de vous dire un grand MERCI. Je n’ai aucun chiffre, aucune donnée, aucune étude, mais parfois j’en ai marre de ces chiffres et de ces études, et sur ce thème-là, je m’en tape. Alors ce que je vais dire ici n’est que supposition et subjectivité. Mais mon « MERCI » est sincère. Merci d’avoir contribué à la formation d’un médecin FRANçais. Sans vous je ne serais sans doute pas le même médecin aujourd’hui. Merci de tenir les murs de nos hôpitaux FRANçais car je ne serais pas étonné que sans vous, ces murs s’effondreraient les uns après les autres alors qu’une grande partie d’entre vous est payée à coups de lance-pierre pour ne pas dire qu’elle est exploitée. MERCI encore.

Ma main toujours sur le cœur, je me permets de lever le poing serré en ayant la délicatesse de laisser mon majeur bien au chaud avec ses quatre petits copains pour terminer ainsi :

Je suis sincèrement désolé de l’hypocrisie de mon pays, qui dépeuple les vôtres de leurs médecins, tout en faisant des économies sur vos salaires et sur les étudiants qu’il n’a pas besoin de former.

Je ne nie pas qu’il y a ici ou là quelques difficultés avec certains médecins étrangers, mais je serais étonné qu’il n’y en ait jamais avec certains médecins FRANçais… Alors je voulais simplement rééquilibrer les choses en apportant ce regard-là sur les médecins étrangers que moi j’ai eu la chance de croiser.

Je conclurai par deux dates que chacun pourra interpréter à sa façon :

-1971 : mise en place du numerus clausus (on limite le nombre d’étudiants en médecine dans les facultés de France, ce qui peut s’entendre).

-à partir de 1972 : se succèdent les procédures d’autorisation d’exercice de la médecine pour les médecins titulaires d’un diplôme étranger hors Espace Économique Européen.

Probable pure coïncidence…

Encore une fois :

Misaotra, mèsi, nahom, chokrane, multumesc, jërëjëf, I ni ce, gracias, merci !
 
 

Le titre de ce billet :

Je ne sais pas si le mot « étrangitude » existe, ni ce qu’il signifie. J’ai simplement souhaité faire un clin d’œil (très certainement maladroit et alors ?) au concept de « négritude » d’Aimé Césaire. Césaire, tout récemment Jacquard puis Mandela il y a quelques jours, ces derniers temps, les rangs se sont bien dégarnis. Espérons que quelque part la relève se prépare, car il y a encore, toujours et malheureusement du taf pour ces Grands Hommes.
 
*Attestation de Formation Spécialisée
 
 
"Poul ka couvé zé ba kanan, mé yo pa ka alé an dlo ansamn"

mardi 3 décembre 2013

"J'ai la rate qui s'dilate..."



Flash-back.
 
Fin d’été, journée plutôt calme, esprit serein.

Je ne te connais pas, alors avant d’aller te chercher, j’ouvre ton dossier informatique pour en savoir plus. Histoire de voir en gros où je mets les pieds, de quoi il va en retourner. Non, M’sieur Gaston, je ne te connais pas. Pourtant j’essaie déjà de m’immiscer dans une partie de ta vie. T’inquiète pas M’sieur Gaston, c’est pas de la curiosité, juste de la bienveillance.

Apparemment, le médecin que je remplace ne te connaît guère plus. D’après le logiciel, une consultation cinq ans plus tôt pour trois fois rien.

Bon, très bien, ça me va. Les trucs compliqués avec plein d’antécédents partout dont des noms de maladie de TrucBiduleChoseInconnueAuBataillonACoucherDehors que je suis obligé d’aller fouiner sans trop le montrer pour savoir ce que c’est sans avoir l’air trop con déjà que je ne suis que généraliste, ça me donne mal à la tête. (Je sais qu’elle est longue cette phrase mais je l’aime bien comme ça, na !).

Donc un type de la cinquantaine passée, sans antécédent, qui ne va jamais chez le toubib, ça ne devrait pas être grand-chose. Je me lève, je sors du bureau, je me dirige vers la salle d’attente, comme d’habituuude (ceci n’est pas un clin d’œil à Cloclo mais à Matthieu Calafiore, un doc qui mouille la chemise pour l’enseignement de la médecine générale). J’ouvre la porte. Tu es là, debout, à observer les affiches murales, accompagné par le son de la pompe de l’aquarium dans lequel deux poissons rouges nagent en rond. Si tu attends là debout M’sieur Gaston, ça confirme ce que je pense, tu n’as pas bien grand-chose de méchant. Quand t’as un truc gravos, ça fait mal, ça saigne, ça arrive à peine à marcher les trucs gravos. Tu me regardes, je te tends la main en t’invitant à te diriger dans le bureau de consultation. On s’assoit.

Tu m’expliques ce qui t’amène. Tu poses tes mains sur ton bide légèrement bedonnant en m’informant que tu fais de la diverticulose. Tu grimaces un peu en appuyant sur la région épigastrique. C’est la première fois que je te vois, je ne sais pas comment tu es habituellement, mais j’ai l’impression que tu es fatigué même si tu souris. On échange quelques mots, le transit, la digestion, l’appétit, etc… Tu me reparles de ta diverticulose que tu sors de je ne sais trop où. Tu me sers ce diagnostic sur un plateau, alors moi, intérieurement, ne voulant pas te contredire, tout en chantonnant ces paroles célèbres « J’ai la rate qui s’dilate… », je prépare déjà l’ordonnance que je te ferai pour ce que j’appelle des douleurs abdominales d’allure banale, et qui ponctuera notre rencontre. Un problème, une solution…

 
Tu te déchausses. On se lève en même temps. Et avant de te diriger vers la table d’examen, tu ajoutes que ça te brûle dans la carlingue en tournoyant ton poing serré en regard de ton sternum. Tu te forces à toussoter histoire de me prouver ce que tu avances. Puis tu précises que c’est probablement ton fiston qui va retenter sa deuxième première année de médecine qui t’a refilé sa bronchite. Intérieurement, je réfléchis à ce que je vais ajouter sur ton ordonnance pour ta soi-disant bronchite. Deux problèmes, deux solutions…


Tu t’allonges et on échange sur ton fiston qui tousse depuis une semaine. Il t’attend patiemment dans la voiture garée sur le parking du cabinet. Il bosse ses cours, pour le concours chaque minute compte…

 
Comme tu viens principalement pour ton ventre, c’est par là que je débute mon examen. Je pose mes mains, je palpe chaque cadran, c’est souple, ça ne déclenche pas de douleur particulière. Pas de frisson, pas de fièvre, ça ne semble vraiment pas bien méchant. Les "pas de ceci, pas de cela" sont importants en médecine. C’est donc bien ce que je disais, des douleurs abdominales d’allure banale. Je le sais mieux que toi, je suis médecin tout de même. Un antispasmodique devrait faire l’affaire.


Bon M’sieur Gaston, tu m’as parlé de bronchite. « J’ai la rate qui s’dilate, j’ai le foie qu’est pas droit… ». Ce qui est certain, c’est que je ne t’ai pas entendu tousser une seule fois à part lorsque tu t’es forcé à le faire. Je n’y crois pas à ta bronchite, pas plus qu’à ta diverticulose d’ailleurs. Je pense vraiment que tu n’as pas grand-chose. D’un autre côté, consulter pour le moindre pet de travers, ça ne semble pas être ton genre. Alors que viens-tu réellement faire ici ? T’en as plein le dos au boulot et tu vas me réclamer un arrêt ? Ou alors c’est au pieu que ça ne va pas fort avec la mère du fiston ? Ben quoi ? Avant-hier on me l’a faite celle-là. Un type de ton âge s’est pointé avec des sensations bizarres dans le creux de sa main. J’ai tout regardé, devant, derrière, entre les doigts, les pouls, les réflexes, etc… sauf les lignes parce que je sais pas faire. Et rien. Rien de rien. Je séchais grave. La consultation allait se terminer comme ça, tous deux insatisfaits. Le type m’a finalement avoué ne pas avoir de problème avec sa main, puis très gêné, il m’a indiqué que son vrai souci se situait sous la ceinture. Pas toujours facile à introduire ce genre de truc faut dire. Donc toi, ça se trouve c’est pareil. Depuis le début tu m’embarques partout sauf là où tu devrais. On va finir par faire fausse route voire se foutre dans le fossé. Bon, puisque tu es là, et que tu ne viens jamais chez le médecin, on va écouter un peu dans ta carcasse des fois qu’elle ait des choses à dire, puis prendre ta tension, puis regarder un peu tout ça quoi.


Fin d’été, journée plutôt calme, pas un chat dans la salle d’attente, le téléphone ne sonne pas, esprit serein. « J’ai les hanches qui s’démanchent, l’épigastre qui s’encastre, l’abdomen qui s’démène, j’ai l’thorax qui s’désaxe, la poitrine qui s’débine… »
 

Je pose mon stéthoscope sur ta poitrine, ça bat. Tant que ça bat, ça va. Mais ça bat vite là-dedans M’sieur Gaston dis donc ! Le stress de la blouse blanche ? Vraiment ça bat vite ! Et surtout, ça souffle ! Pas le petit souffle sournois que tu te demandes si c’est le cœur ou ton imagination. Non, là, y a pas à chier, y a un souffle du tonnerre que même le fiston qui révise son concours P1 dans la bagnole entendrait. La diverticulose ? Qu’est-ce qu’elle vient foutre ici la diverticulose de mes deux ? C’est quoi ce bordel ? Bon, restons calme et serein. C’est un souffle ancien, et tu as oublié de m’en parler, voilà tout, on ne va pas en faire tout un fromage. « J’ai les reins bien trop fins, les boyaux bien trop gros, j’ai l’sternum qui s’dégomme, et l’sacrum c’est tout comme… »

Putain, non, on ne t’a jamais parlé de souffle, et t’as pas plus de bronchite que de diverticulose, ça te brûle vraiment dans le caisson depuis deux-trois jours, surtout quand tu fais des efforts. Putain, il est où l’électro ? Les fils, c’est dans quel sens déjà ? Le Rouge, Red, Right ! Yes ! Le vert au pied, ouais le vert c’est le gazon, c’est en bas. Le jaune, la couleur du soleil, en haut, à gauche puisqu’à droite c’est le Rouge-Red-Right. Y reste plus que le noir, fastoche. Oh pis les ventouses, elles tiennent pas les ventouses sur ton torse tout poilu ! Et y a des putains de nœuds dans les fils. Le temps que je perds à te faire cet électro, mais si je le fais pas, le toubib du SAMU, y va penser quoi ? Y va se foutre de ma gueule (quand j’suis stressé, j’dis beaucoup de gros mots, désolé).

Y a du papier là-dedans au moins pour imprimer l’électro ? C’est comme à la caisse du supermarché, quand t’es pressé, y a plus de papier ! (Aux chiottes aussi ça le fait des fois). Allez, arrête de déconner, c’est pas drôle là. Tout est branché, on peut y aller. Le tracé sort. Oh parbleu ! Oh pardee* ! « J’ai les cuisses qui s’raidissent, les guiboles qui flageolent… »

-Allô le 15, j’ai vraiment besoin de vous. Pardee* pour sûr j’vous jure que j’ai besoin de vous là tout de suite maintenant. J’avoue que je suis souvent très nul pour vendre mon patient, je l’ai même avoué il y a quelques mois : ici avec cette question ironique : Se former à la vente pour être un bon médecin ? , mais là s’vous plaît, vous pouvez venir en mettant le giro et le pimpon, magnez-vous le cul bordel !

 
Fin d’été, le calme précédait la tempête, esprit pas du tout serein, j’ai chaud dans la tête, je transpire, je flippe, mais faut pas le montrer, chut ! « Les rotules qui ondulent, les tibias raplapla… »

 
-Eh fiston ! Lève le nez de tes cours de médecine et viens par ici faut qu’on cause du padre. Tiens, prends mon stétho et écoute. C’est ce qu’on appelle un souffle cardiaque. Le padre ou le father si tu préfères, bref, M’sieur Gaston va devoir aller à l’hôpital, c’est sérieux. Le SAMU va bientôt arriver. Je vous préviens tous les deux, ça impressionne toujours quand les cow-boys en salopette blanche débarquent. Mais ça va aller, c’est sérieux, mais tout va bien se passer.

 
Le SAMU arrive. Ouf de chez ouf de soulagement. J'ai envie de les embrasser. Tous sans exception. Même l'ambulancier aux grosses paluches et aux longues moustaches tombantes. Un peu de retenue tout de même. Je tends la main à mon confrère chef des salopettes blanches. Je me prends un vent (c’est loin d’être tout le temps comme ça, amis urgentistes je vous aime, mais parfois ça arrive, et c’est comme ça que ça s’est passé ce jour-là). Je lui explique le pourquoi du comment de mon appel avec mon petit bout de papier ECG tout froissé à la main. Il ne me calcule pas. Il est concentré sur son patient qui n’est plus le mien. Je ne suis plus acteur, mais simple spectateur. Dépossédé de mon statut, de « mon » patient. La prochaine fois, je mettrai une salopette tiens ! Parce que même si on dit tout le temps le contraire, l'habit fait quand même un petit peu le moine, dans la vraie vie.


Enfin, il me regarde furtivement. Il est sur le point de m’adresser quelques mots (si, si, je le sens) :

-On l’embarque ton patient, il fait un infarct. (Ben je sais, c’est un petit peu pour ça que je vous ai appelé M’sieur l’chef des salopettes. Je me suis peut-être mal exprimé au téléphone, désolé). Allez, on y va, salut.

 
-Au revoir et merci. Bien confraternellement. (J’vous tends pas la main M’sieur parce que deux vents dans la journée, ça fait une tempête).

 
Le lendemain, comme je sais que personne ne m’en donnera, je pars à la pêche aux nouvelles M’sieur Gaston. Tu as été transféré au grand CHU pour te faire opérer en urgence par les grands docteurs. Tu as fait un gros infarctus avec une rupture septale (un trou dans la paroi du milieu du cœur) d’où le gros souffle. « Je fais de la diverticulose et mon fils m’a refilé sa bronchite » que tu me disais petit saligaud de cachotier…

 
Quelques semaines plus tard, me revoilà à remplacer dans le même cabinet et toi, te revoilà à consulter dans le même cabinet. Tu as mal au cœur… Ah, je vais peut-être tout de suite commencer par le bide alors… Je commence à te connaître M’sieur Gaston… Même pas besoin de regarder dans ton dossier informatique.

 
Parfois, ça ne tient vraiment qu’à un fil. Cette histoire aurait vraiment pu se terminer autrement. Parce que  parfois, on n’est pas connecté, ou seulement un peu moins, comme je l’avais relaté ici lorsque ce soir-là j'avais été le roi des losers.

 
Imagine le tableau si ça avait commencé comme ça :

 
Rude hiver, salle d’attente pleine à craquer de grippés, le téléphone sonne à tue-tête, moi-même je suis bien pris et j’en ai plein la tête, les yeux qui brûlent, le nez comme les oreilles bouchés, le cerveau embué. « J’ai le nez tout bouché, l’trou du cou qui s’découd, et du coup voyez-vous, j’suis gêné pour parler… ». Et ma femme qui vient de se casser. Pourquoi t’es partie ? Je t’aime. C’est pas fini. Non. J’suis sûr que tu vas revenir. Allez reviens, me laisse pas crever de chagrin là, tout seul comme un vaurien. Laisse-moi au moins voir les gamins. J'étais fort minable, nous étions formidables...


Bon je noircis vraiment le tableau, mais imagine ce patient-là dans ce contexte-là avec un médecin préoccupé par dix mille autres trucs… Et le patient qui lui présente les choses ainsi : « J’ai la rate qui s’dilate…»


Certains pensent que les médecins généralistes ne sont là en gros que pour s'occuper des #NezQuiCoulent et faire des #Certifalacon. Soit. Très mauvaise caricature non ? Moi je n'oserais jamais dire par exemple que les banquiers ne sont là que pour faire du fric et encore moins que les assureurs sont tous des voleurs. Ben non, quand même, voyons... Sans trop se monter le bourrichon, moi je trouve que cette histoire illustre à la fois la difficulté et la beauté de l'exercice de la médecine générale. Savoir entrer en connexion, ne pas partir bille en tête sur ta première hypothèse, glaner un mot, un signe, une attitude qui fait que tu changes ton fusil d'épaule, que tu rattrapes le tir. Avoir cette petite veilleuse dans un coin de la tête qui te dit "Eh mon gaillard, au milieu de ces #NezQuiCoulent et ces #Certifalacon, peut se cacher un vrai malade qu'il serait préférable de ne pas louper dacodac ?". Trouver le juste milieu entre cette discrète petite veilleuse et la terrible angoisse que tu communiques maladroitement au patient, et que tu apaises en dégainant la mitrailleuse à examens complémentaires inutiles voire dangereux.


Honnêtement, M'sieur Gaston, j'étais à deux doigts de te laisser repartir paisiblement avec un antispasmodique à la noix, faussement rassuré. Le fiston t'aurait alors retrouvé dans un triste état. Il aurait peut-être raté une nouvelle fois son concours d'entrée en médecine et ne serait  sans doute jamais devenu cardiologue (ça c'est pour le côté romanesque, c'est carrément du pipeau en fait mais ça le fait hein !). Pourtant M'sieur Gaston, celui qui t'a marqué, c'est le Doc à la salopette blanche avec ses gestes sûrs, son équipe sous ses ordres, sa parole ferme. Et celui qui t'a complètement scotché, c'est le grand chirurgien du grand CHU qui t'a brillamment opéré, avec son armée silencieuse de 15 blouses blanches à sa botte lorsqu'il te rendait visite chaque matin après ton intervention. Je te comprends M'sieur Gaston. Parce que ben ouais en fait, je l'avoue, j'avais un peu l'air con moi avec mes fils emmêlés, mes poires qui ne tenaient pas, et cet ECG que j'ai regardé comme si j'en n'avais jamais vu. Ben ouais M'sieur Gaston, des infarctus, y en n'a pas tous les quatre matins dans un cabinet de médecine gé, surtout des comme les tiens qui ne se présentent pas comme dans les bouquins. Ouais M'sieur Gaston, j'étais pas trop à l'aise quand j'ai appelé le 15, je n'ai sûrement pas dit d'une voix assurée tous les mots-clés comme y faut qui te rapportent un max de point à l'internat. Et quand les types du SAMU sont arrivés, je suis vite passé du statut de Docteur à celui de petit stagiaire qui sait rien faire à part regarder sans broncher. Ouais, c'est vrai M'sieur Gaston. J'aurais peut-être dû faire ci, ou faire ça, dû dire ci et pas ça. Ben ouais, et si et si et si. Mais quand même M'sieur Gaston, aujourd'hui, t'es bel et bien vivant et si t'as pu voir briller ce grand chirurgien, j'y suis un tout petit peu pour quelque chose non ?


L'exercice de la médecine générale est beau, difficile, et rend humble.


*Je sais que pardi ça s'écrit : pardi, mais là j'ai écrit Pardee parce que c'est le nom d'un tracé qu'on peut voir à l'électrocardiogramme et qui signe un infarctus du myocarde (j'la fais courte et simple pour que tu comprennes si t'es pas toubib)



vendredi 8 novembre 2013

Toubib or not toubib ?

 
 
Voici donc une jolie courbe qui malheureusement ne représente pas l’évolution du chômage dans notre pays de 1900 à nos jours, non pas du tout. Mais ne perdons pas espoir… Cette courbe m’a beaucoup intéressé, j’espère qu’elle aura cet effet sur toi également. Perso, je trouve que pour avancer, il faut savoir jeter des petits coups d’œil dans le rétroviseur de temps en temps, ça permet de se remettre dans la bonne trajectoire.
 
Donc cette courbe ?
 
Il s’agit en fait de l’évolution de la mortalité infantile en France depuis 1900. Ainsi, en 1900, sur 1000 naissances, environ 160 enfants mouraient durant leur première année. De nos jours, ils ne sont plus que 3,8 environ. Pas mal non ? Ah, je sais qu’en France on est des râleurs donc juste pour discuter, ce taux est de 136 pour 1000 naissances en Afghanistan. Alors je sais pas toi, mais moi, je trouve que c’est une sacrée chance de naître en France. Et dès que j’ai vu cette courbe, moi, toubib, je me suis dit : « Putain, quand même, nous les toubibs on est trop forts ! ». Oui je l’avoue, face à cette baisse permanente de la mortalité infantile, j’ai voulu mettre du toubib, du médoc, de l’antibio, du vaccin partout pour l’expliquer. Alors jetons un petit coup d’œil dans le rétro, histoire de prendre conscience de notre place, de relativiser un peu en fait, voire si cela est possible de tirer un peu d'humilité de cette courbe.

On va commencer par la diviser cette courbe en 2 périodes, avant et après 1950.

De 1900 à 1950 :
 
On voit une descente de 160 à 50 décès pour 1000 naissances, soit un taux de mortalité infantile divisé par 3. L’histoire est belle, sauf que… sauf que cette descente a connu 2 remontées qui correspondent aux 2 guerres mondiales. Tu vois, naître en France, ou dans un pays en paix, c’est bien hein.
 
Alors, où mettre les médocs, les antibio, les toubibs là au milieu ? Parce qu’en fait, c’est à partir de 1950 que sont apparus les progrès médicaux décisifs. Alors avant, que s’est-il passé ? Comment a-t-on fait ?
 
Avant 1950, on a connu l’amélioration de l’hygiène corporelle et alimentaire (comme la pasteurisation), l’alphabétisation et la scolarisation des futurs parents (lois Jules Ferry 1880), l’augmentation des revenus et de la richesse nationale. C’est donc tout cela qui aurait contribué à faire diminuer la mortalité infantile avant 1950. Comme quoi, sauver des vies, ça n’est pas qu’une histoire de toubibs hein. Allez, un peu de provoc pour les extrémistes de l’allaitement maternel. A partir des années 1880-1890, date de la pasteurisation du lait, les mères ont été de moins en moins nombreuses à allaiter. Quand tu regardes la courbe de la mortalité infantile, les enfants ont été de moins en moins nombreux à mourir. Les courbes sont donc superposables. Non, mais c’est comme ça, c’est pas de ma faute. Mais tu vois comment on peut conclure à une relation de cause à effet à la con. On peut leur en faire dire des conneries aux courbes, méfie-toi. Donc, bien sûr que non, la baisse de l’allaitement maternel n’a pas entraîné une baisse de la mortalité infantile, mais c’est juste pour dire que, ben oui, allaiter c’est bien, c’est recommandé, mais c’est avant tout un choix. Le rôle des soignants est de conseiller, proposer, pas d’imposer ni faire culpabiliser. Bref, tu vois qu’un coup d’œil dans le rétro, ça te fait relativiser et te remet un peu à ta juste place. Moi, ça m’énerve un peu, parce que mon ego en prend un coup derrière les oreilles, alors on va passer à la deuxième partie de la courbe.
 
Après 1950 :
 
Ah enfin, les toubibs, les vaccins, les antibio, on peut les placer, ouf ! Tu vas me dire que je raconte n’importe quoi parce que les antibio, c’est Fleming en 1928 et les vaccins, c’est encore plus tôt avec Edward Jenner et la variole en 1796. Oui mais ça, ce sont les prémices, les découvertes, la mise au point et la généralisation de tout ça, c’est après 1950. Et ça a plutôt bien fonctionné.
 
Après les années 60-70 baba cool, sur la courbe, ça semble moins impressionnant, on dirait qu’on s’est essoufflés. On est pourtant passé d’un taux de mortalité infantile de grosso modo 30 à 3,8 pour mille en 2010, soit un taux divisé par 8 ! Ah les courbes, je te jure. Toujours se méfier de la présentation des courbes. La preuve, si on y regarde de plus près, voici ce que ça donne entre 1968 et 2010 avec une autre échelle.





Finalement, ça change bien la donne. Dans les années 75, les services de néonatalogie fleurissent, boum, ça baisse. Puis regarde la belle petite chute entre les années 1992 et 1995, j’adore cette histoire. Quel médicament miraculeux, quel vaccin génial, quel fabuleux geste technique est apparu pour provoquer cette baisse ? Rien de tout cela en fait. Juste un conseil, quelques mots, quelques gouttes de salive pour dire « Euh, en fait, malgré ce qu’on vous a raconté jusqu’à maintenant, ça serait mieux de coucher votre bébé sur le dos que sur le ventre ». Ces quelques mots (associés à d’autres petits conseils) ont tout de même permis de passer d’environ 1500 morts inattendues du nourrisson par an à 400. Peut-être que ça te laisse de marbre, moi je trouve ça génial. Surtout quand tu regardes un peu plus longtemps dans le rétro et que tu tombes sur ce genre d'article écrit à cette époque. Il paraît que lorsque certains toubibs commençaient dès les années 80 à dire chiffres à l’appui que le couchage sur le dos serait une bonne idée, ils se faisaient huer. Mais maintenant, c’est bon, tout le monde a compris. Quoi, tout le monde, presque… Ces quelques photos prouvent qu’il faut encore en remettre une couche ! (ami publicitaire, si tu me lis...)





 

Que l’on regarde plus ou moins loin dans le rétro, c’est toujours un peu le même mécanisme :

-Semmelweis et le lavage des mains pour lutter contre la fièvre puerpérale : « Mais il est fou ce type ! ».

-Irène Frachon qui dénonce les effets du Médiator : « Mais qu’est-ce qu’elle nous raconte celle-là ! »

-« Dosage annuel du taux de PSA à tous les types à partir de 50 ans, allez, hop en voiture ! »
« Euh en fait, apparemment, c’est pas si simple, Mr le Professeur »
« Quoi ? Vous refusez de dépister un éventuel cancer de la prostate à vos patients, mais vous êtes inconscient ! »…

On pourrait en trouver d’autres. Au final, l’histoire se répète et se répètera encore mais n’oublions pas que les plus nombreux et/ou les plus influents n’ont pas toujours raison.

Ce qui est un peu con en médecine, c’est que ce qui est financièrement rentable, c’est la multiplication des actes, surtout si ces actes sont des actes techniques. Expliquer, rassurer, conseiller, c’est chronophage et peu reconnu. Avec le couchage de bébé, on vient d’observer un formidable exemple démontrant qu’il serait bon de rééquilibrer un peu les choses.

Bon, revenons à cette courbe qui nous montre un petit rebond de mortalité après les années 2000. C’est quoi donc ça ? Les bobos qui ne vaccinent plus leurs enfants ? La canicule qui n’a pas emporté que des vieux ? Non ça c’était en 2003. En fait, c’est encore une histoire de mots. En 2001 est défini le statut de mort-né. Ben, quand on change les règles et les définitions, ça modifie les chiffres, voilà tout. Ah ces fichues courbes, méfions-nous en comme de la peste (surtout celles des labos, tu sais, les courbes des belles déléguées…).

On arrive donc ainsi à un taux de mortalité infantile d’environ 3,8, ce qui n’est pas le meilleur, mais pas mal quand même. Par exemple, les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents, les plus exemplaires du monde ont un taux de 6 pour mille. Eh oui, sur ce coup-là, on bat les « Yes we can ! ». Et le truc qui casse la « Barack », c’est qu’aux USA, ce taux est deux fois plus élevé chez les noirs que chez les blancs. La population dite « black » a de mauvais indicateurs de santé. Alors ? On n’est pas si mal en France, pour l’instant… Même si on nous fait peur en nous répétant depuis 10 ans qu’on va bientôt manquer de toubibs. Bien sûr que des toubibs, il en faut, mais la santé, c’est pas qu’eux. On vient de le voir. A ce sujet, et totalement en rapport avec le titre de ce billet, et comme j’en ai un peu marre d’écrire, et que je sens que toi, tu en as encore plus marre de lire, alors je vais juste te montrer deux images. Elles vont nous permettre de nous éloigner de la mortalité infantile pour penser à la santé de façon plus globale, d’enfoncer un peu plus le clou, de répondre un peu à la question : « Toubib or not toubib ? », qui aurait aussi pu être : « Qui suis-je ? Où vais-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? ». Ces images vont peut-être aussi permettre de remettre en place les très rares médecins qui se prennent pour Dieu tout puissant (même si en vrai pour eux, je crois qu’il n’y a plus rien à faire et qu’en plus ils ne me lisent pas), d’émettre une nouvelle petite critique sur le modèle américain (même si en vrai, je crois que c’est un peu pareil chez nous), de faire méditer ceux qui méditent déjà. Bref, ça va me servir de conclusion.

Voilà ce qui détermine la santé :



 
Voilà comment se répartirait la contribution potentielle de chaque déterminant à la réduction de la mortalité (donc à la santé) et les sousous affectés à chaque poste :
 
 
 
 
Si t’as pas trop compris, on peut voir par exemple qu’aux USA, 90 % des dépenses de santé sont affectées au système de soins qui ne contribuerait que pour 11% de la réduction de la mortalité alors qu’on ne dépense que 1,5 % de cet argent dans le style de vie qui lui contribuerait à 43 % dans la réduction de la mortalité.

Bonne méditation. Mais ne médite pas trop et méfie-toi, comme je l’ai indiqué dans l’entête de ce blog, je ne suis qu’un modeste toubib sans compétence ni légitimité particulière. Ces courbes, ces chiffres, mes mots, ne sont peut-être que du flan. Alors bon appétit et digère bien.


jeudi 24 octobre 2013

Qui est-ce ?

Bientôt le mois de novembre. Que le temps passe vite. Demain c’est quasiment Noël. Déjà. C’est en jouant avec mon fils à un jeu de société découvert au pied du sapin lors d’un précédent Noël que m’est venue l’idée de la présentation de ce billet. J’avais le fond de cet écrit, mais pas la forme. C’est important de jouer avec ses enfants. Maman est contente de voir papa jouer avec fiston. Fiston est content que papa joue avec lui. Et papa, malgré le fait que des études très sérieuses prouveraient que les hommes sont incapables de faire plusieurs choses à la fois, pendant qu’il joue avec fiston, il réfléchit à plein d’autres choses (oh le mauvais papa !). Je n’aurais en revanche pas imaginé que jouer à « Qui est-ce ? » avec fiston me donnerait l’idée de la forme de ce billet.
 
 
En cette presque fin d’année, comme à chaque presque fin d’année, on prépare probablement les traditionnelles émissions  à la con et les traditionnelles proclamations à la con qui fleuriront prochainement sur nos ondes :
 
-le meilleur bêtisier de l’année : j’verrais bien Hollande mais bon…
 
-l’homme politique de l’année : j’verrais bien Cahuzac mais bon…
 
-le joueur de foot de l’année : j’verrais bien Evra mais bon…
 
-le con de l’année : impossible de les départager mais bon…
 
-le canular de l’année : j’verrais bien le soutien de Jean Roucas et Delon au FN. Quoi ? Ah bon, c’est pas un canular, c’est vrai ? Bon ben faudra trouver autre chose alors mais bon…
 
-tiens, et pourquoi pas le billet de blog médical de l'année ? J'verrais bien celui-là mais bon... y en a d'autres très bien et je ne suis pas très objectif sur ce coup-là, mais bon...
 
Donc moi aussi j’ai envie de mettre quelqu’un à l’honneur cette année. Cette personne, quasiment personne ne la connaît. Beaucoup font semblant de ne plus la connaître ou disent l’avoir vaguement rencontrée par hasard, sans vraiment s’étendre, sans vraiment se souvenir… J’avoue que personnellement, avant cette année, je n’avais pas le moindre soupçon de l’existence de ce genre de personne qui a automatiquement influencé à un moment ou à un autre ma pratique médicale. Incroyable et surtout ça m’énerve. Souvent, les journalistes m’agacent, mais là, l’enquête m’ayant fait découvrir cette personne m’a beaucoup marqué au point que j’y repense très régulièrement. A l’époque de la sortie de cet article, mon blog venait de naître, et je crois que je n’étais pas encore sur Twitter, je n’avais donc pas tweeté, ni blogué ici sur le sujet. Alors, si tu as manqué ce formidable article et n’imagines pas une seconde l’existence et l’influence de ce genre de personne qui officie méticuleusement dans l’ombre des puissants, suis-moi pour une petite partie de « Qui est-ce ? ». Pour aller plus vite, comme la dernière fois j’ai été un peu long et que je t’avais promis d’être plus concis, je vais faire à la fois les questions et les réponses, comme ça en plus je suis sûr de gagner et de te faire découvrir celui ou celle que j’ai envie de mettre à l’honneur…
 
-Est-ce une femme ?
 
-Non, ça va pas la tête !
 
-Donc, c’est un homme ?
 
-Bravo !
 
-Un homme à lunettes ?
 
-Affirmatif.
 
-Moustache ?
 
-Non. Bon, on va passer à des questions plus précises parce que là, je suis certain que tu ne vois pas du tout de qui je parle et c’est bien normal, mais attends, ça va devenir beaucoup plus croustillant.
 
-Ses parents étaient-ils agriculteurs ?
 
-Il paraît, pourquoi cette question ?
 
-C’est un type bien alors, c’est pas un fils à papa ça, c’est forcément un type bien…
 
-On verra, mais méfie-toi des généralités. Question suivante.
 
-A-t-il une formation d’attaché de presse ?
 
-Oui, mais on s’en fout de ça, abrège !
 
-OK, j’entre dans le vif du sujet. Il habiterait ou aurait habité à côté du ministère de la santé où il se rendait régulièrement ?
 
-Yes
 
-S’offusque-t-il lorsqu’on dit du mal des laboratoires pharmaceutiques ?
 
-Exact.
 
-Aurait-il fait ses armes au journal « Le Quotidien du médecin » ?
 
-Il paraît en effet, il serait même un vieil ami de son directeur, Gérard Kouchner, le frère de Bernard, qui lui-même, lui a remis la Légion d’honneur…
 
-On compterait parmi ses nombreux amis, toute une tripotée d’anciens ministres de la santé frappés d’une violente épidémie de maladie d’Alzheimer à son sujet ?
 
-Comment t’as deviné ? Oui en effet, Michèle Barzach, Philippe Douste-Blazy, Roselyne Bachelot… Donc oui et plein d’autres copains et copines il a le monsieur : Jack Lang, Isabelle Adjani, Rachida Dati, Claire Chazal, François Sarkozy (pédiatre et surtout le frère de qui tu sais), Cahuzac (chirurgien et l’ex-ministre de qui tu sais aussi), bref, une ribambelle de petits copains du show-biz, du monde politique et journalistique. Il aurait même eu la ligne directe du président de la République et du ministre de la santé. Un type important quoi. Pas mal pour un fils de culto hein ! Ah c’était bien avant quand l’ascenseur social fonctionnait encore. C’est con de l’avoir remplacé par le descendeur social hein ! Allez, question suivante.
 
-Est-il devenu le conseiller spécial du directeur général du géant pharmaceutique Sanofi ?
 
-Oui, mais quand ça a commencé à sentir mauvais au printemps 2013, Sanofi s’est séparé de lui.
 
-Oh le pauvre. Bon, il rebondira ailleurs, et des types comme lui, il doit bien en avoir d’autres. Mais je n’ai toujours pas trouvé. Malgré ce beau CV et ce carnet d’adresse formidable, je ne vois toujours pas.
 
-Ouais, c’est fou de ne pas savoir qui est ce bonhomme. Il a pourtant fait la pluie et le beau temps sur la planète médicament de notre pays ce type. Tu donnes ta langue au chat ? Allez, je te donne son prénom. Il est inscrit sur l'illustration de ce billet. A mes yeux, l’enquête journalistique de l’année 2013 sur le fabuleux monde de l’industrie du médicament est ici. Merci aux deux journalistes pour cet article qui ouvrira les yeux à certains pendant que les autres continueront de ronfler.
 
Bonne lecture, je file, fiston m’appelle pour une partie de « Qui est-ce ? ».

lundi 21 octobre 2013

Prescrire ? Les coulisses...

Billet présenté le 21 octobre 2013 par bibi en vue d’obtenir le grade de blo(a)gueur en médecine

Composition du jury :
 
Toi

Remerciements :

Si tu crois que je vais remercier quelqu’un tu peux toujours courir !

 
Serment d’Hippocrate :


Je l’ai déjà prêté le serment, ça, c’est déjà fait, et on me l’a jamais rendu d’ailleurs. Comme je n’arrivais pas à me souvenir quelle main lever pour le prêter le serment, alors j’ai levé les deux, comme ça j’étais sûr de pas m’tromper. En médecine quand tu sais pas, mieux vaut ouvrir le parapluie, comme ça t’es couvert… Oh l’tableau du mec les mains en l’air pour prêter l’serment devant ces types en robe comme au tribunal ! Imagine. Au final, ça s’est plutôt bien passé, j’étais relaxé et on est tous allés boire une flûte ensemble à la cafet’ de la fac. Même avec les types du tribunal, mais sans leur robe.


Introduction :
 
Connais-tu ce type ?


Tu ne risques pas de le croiser puisqu'il est né en 1694 et mort en 1778.
Tu ne vois toujours pas ?
 
Alors voici un indice :
Près des barricades, Gavroche chantait :

"Je suis tombé par terre,
C'est la faute à ..."


Maintenant que tu as trouvé, voici une de ses citations:

"Un médecin, c'est quelqu'un qui verse des drogues qu'il connaît peu dans un corps qu'il connaît moins."

N'ayant pas le talent de Voltaire pour te dire clairement les choses en une seule phrase, et pour la confronter au goût du jour afin de vérifier si ce qui fut écrit il y a plus de 2 siècles et demi est toujours vrai, je t'invite avec moi derrière le rideau, dans les coulisses de certaines prescriptions. Viens, approche, n'aie pas peur, pas encore, après on verra...

***
Voilà, vas-y, installe-toi confortablement à ma place derrière le bureau, observe, touche, lis, n'hésite pas, personne nous voit, le rideau est fermé, tous ces petits trucs resteront entre nous.  
Ah ce gros bouquin rouge, la "bible" du médecin... J'étais sûr que ce serait ce qui t'intriguerait en priorité. Souvent j'ai entendu dire "Ben mon vieux, faut en avoir une tête pour savoir tout ce qu'il y a sur les pages de cet énorme bouquin".  Tu parles, ça c'est du bling bling. Laisse tomber. Allez, rends-moi ma place, je vais t'en dévoiler un peu plus sur les coulisses de la prescription.
 
Les textes officiels disent ceci à son sujet :

-Article R4127-8 du code de la santé publique
 
"Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.

Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.

Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles."
 
Parfois, tu peux lire ça : «les chiffres les plus couramment avancés font état de 140 000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et 13 000 décès avérés, sans compter les accidents bénins qui ne font pas l´objet d´une déclaration systématique».

13 000 décès par an liés à des accidents médicamenteux ! En 2012, la route a tué 3645 fois. Tu vois, apparemment, il serait moins dangereux de prendre le volant que de prendre des médicaments. Et si tu prends à la fois le volant et certains médicaments, ben je te laisse imaginer.

Les membres de l’académie de médecine se sont penchés sur le sujet des prescriptions de façon globale et en ont pondu un rapport : Améliorer la pertinence des stratégies médicales .
 
Concernant la représentativité de nos Stars Académiciens de la médecine, l’ami Borée en a fait un billet très instructif, voire Académique, mais là n’est pas le sujet. Même si quand même, ça vaut le détour.
 
Bon, après Voltaire, le code de la santé publique, les académiciens, pis tout ça, à mon tour de parler de la prescription médicale, à bibi.
 
 
Matériel et méthode :
 
Le matériel est très sommaire, juste un ordos, et quelques synapses plus ou moins bien connectées.

Concernant la méthode, si tu penses trouver ici des ingrédients de l’Evidence-Based Medicine (médecine fondée sur les preuves), alors passe vite ton chemin l’ami. Oui parce que comme d’hab, je vais traiter ce sujet de la prescription médicale à ma façon, c’est-à-dire avec une dose poids de caricatures, un comprimé de dérision matin midi et soir, et une perfusion continue de 2 litres de sérum ironique dans lequel j’ai ajouté 3 grammes de mauvaise foi par litre maintenus approximativement à une température ambiante avoisinant le deuxième degré. Tout cela à partir de quelques cas cliniques vécus ou pas, entendus ou pas, observés ou pas, bref, un peu d’à peu près, beaucoup de presque, quasiment rien tiré de la littérature, tout de mon inexpérience et de mes défaillances. Mais c’est ça aussi la vraie vie basée sur l’évidence…

Et désolé pour la longueur du propos, prescrire c’est rapide, un problème = une solution, mais tenter de l’expliquer c’est plus long, c’est ça le problème.
 
 
Discussion :
 
Les propos en italique, c’est la discussion en off avec moi-même, ce qui se dit dans ma tête en gros.
 
-Madame, votre thyroïde, on va la vérifier. Je vais de ce pas vous prescrire une petite prise de sang.
 
Petite ? en vrai de vrai, y a pas de petite ni de grande prise de sang, y a une piquouse et voilà mais quand je dis «petit», c’est pour adoucir le truc histoire que ça passe mieux, c’est comme quand on dit à un type «pour ta prostate, je vais te faire un petit toucher rectal» style tu lui fais croire que tu vas juste le chatouiller du bout de la phalange, tu parles… Bon, la thyroïde, allons-y donc, on dose la T3, euh, non, la T4, merde c’est laquelle déjà ? La T4, ouais ça le fait mieux la T4, c’est un chiffre pair en plus, j’aime pas trop les chiffres impairs, c’est rugueux les chiffres impairs, ça transperce les tympans, on dirait presque de l’allemand les chiffres impairs, c’est pas rond, ça se divise mal. Bon c’est con, c’est pas des arguments scientifiques ça, j’vais quand même pas jouer à pile ou face ! Quoique, si je lance discrètement une pièce en l’air sous le bureau, elle va p’t’être pas le voir la Madame. A moins que ça soit la TSH en fait qu’il faut doser en premier ? Je peux plus faire à pile ou face par contre là. Fait chier, déjà l’autre jour ça m’a fait ça avec le dosage de la lipase et l’amylase, je ne savais plus lequel des deux il fallait mettre. Et le coup d’encore d’avant, c’était le fer, la ferritine, et tout le tintouin. Oh pis merde hein, assez de temps perdu à réfléchir, j’m’en rappelle plus et pis ça va rien lui changer à elle, allez, comme d’hab je lui prescris la totale comme ça on n’en parle plus : TSH, T3, T4 et roulez bolides !
 
-Tenez Madame, voilà votre ordonnance pour faire cette petite prise de sang, je vous ai tout mis, on ne sait jamais.

 
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Un mioche qu’a mal à l’oreille. Fastoche, mal à l’oreille = otite = Orelox, un bon goût de banane, une dose poids matin et soir, simple comme bonjour, la crèche ou la nounou ou l’école ne me fera pas chier pour avoir un papier pour lui donner le médoc, affaire pliée. Ah non, attends, faut quand même que je regarde son tympan au mioche. Oh y va encore hurler, et c’est moi qui vais avoir mal aux oreilles après, allez vas-y manman tiens le bien le gamin, voilà comme ça c’est bien, ça y est, je vais pouvoir introduire mon otoscope, bouton On/Off, ben… c’est bien noir là-dedans, ah oui mince, les piles, sont mortes les piles, ça fait trois jours et pas pensé de les changer. Eh, entre nous, j’ai jamais vraiment appris à examiner un tympan, l’autre Pignouf de prof d’ORL à la fac, je suis même pas sûr qu’il nous ait fait un cours sur l’otite et s’il l’avait fait, ça m’étonnerait qu’il aurait été le mieux placé pour le faire donc mal à l’oreille = otite = Orelox. Simple, rapide, efficace.

 
Suivant !
 
Mal à la gorge. Fastoche, mal à la gorge = angine = Gorgelox. Non j’déconne, Gorgelox ça n’existe pas, et je vais pas lui refourguer le même antibio que celui d’avant avec son otite, après on va croire que je n’en connais qu’un d’antibio, quand même, j’ai fait des études moi. Tellement d’études que je vais peut-être même pas lui mettre un antibio dis-donc. Je vais lui faire un test, un gratouillage dans le fond du gosier avec une espèce de long coton tige que je vais ensuite laisser mijoter dans un petit tube à essai contenant quelques gouttes de réactifs. Une petite bandelette sera alors plongée dans le mélange et abracadabra, attention, roulement de tambour, 1 trait rouge ? 2 traits rouges ? Encore quelques minutes. 1 trait = pas d’antibio, 2 traits = un antibio, parce que les antibiotiques, c’est pas automatique, tout le monde le sait ça maintenant, autant que certains refrains de chansons.

Bon, alors on en est où avec cette bandelette ? Combien de traits ? Oh putain c’est pas vrai ! Zéro trait ! La bandelette de mes deux, j’l’ai mise à l’envers. Bon, pas grave, et on va pas tout recommencer hein. Et y a pas mort d’homme. Allez, on avance un peu, les antibiotiques c’est pas automatique, sauf quand on a un test angine positif (ou alors qu’on a mis la bandelette à l’envers). Ben imagine qu’il ait une angine à streptocoque, que ça se termine en abcès, en septicémie, et pis y a le Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA), ça fout les boules ça, j’en ai jamais vu, c’est pour ça que ça m’fout les boules peut-être, un peu comme les fantômes. Et c’est pas tout, la Glomérulonéphrite Aigüe (GNA). Au fait, c’est vraiment une complication de l’angine à strepto la GNA ? Et si je lui colle un antibio, c’est prouvé que ça lui évitera cette complication ? Oh pis merde avec toutes ces questions à la fin. Bon il a quel âge ? Y pèse combien ? 5 ans, 17,5 kgs. Alors amoxicilline, 50 mg/kg en 2 prises OK, OK, OK, donc 17,5 fois 50 = 875 que je divise par 2 = 437,5 mg. Donc on a du sirop à 125 mg, 250 mg et, et pis merde de merde à la fin, allez Augmentin 1 dose poids matin et soir et en voiture Simone. Font chier les recommandations à la fin. Et en plus elles n’apparaissent plus sur le site de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, j’y comprends plus rien moi. C’est quoi cette arnaque ? C’est louche tout ça ! Et pis à l’hosto quand j’étais interne, on tirait sur tout ce qui bouge avec de l’Augmentin, ne perdons pas la main.


Suivant ! Oh non. Encore lui.

-Bonjour Docteur, voilà, c’est remoi. Rien, mais alors là rien du tout, ça m’a rien fait du tout votre truc, surtout votre Rhinopschittpschitt, ça a fait pschitt. J’vous l’avais pourtant dit. Je tousse, je mouche, un bon rhume de cerveau par là-dessus. Vous savez bien que moi c’est pas comme les autres et qu’ y m’faut un r’mède de ch’val.

Oui ben j’suis pas véto !

-Après Docteur, vous savez mieux que moi que ça va r’tomber sur les bronches, comme la dernière fois où j’me suis tapé une double bronchite carabinée et qu’j’suis allé voir votre confrère d’à côté comme vous étiez pas là vous, ben oui lui il est toujours ouvert, LUI, même le dimanche. Mais vous inquiétez pas, c’était pas une infidélité, vous voyez, la preuve, j’reviens vers vous. Mais lui j’avoue qu’il m’a tout d’suite donné l’bon remède, ça a pas traîné avec lui mon vieux, j’m’étais à peine assis dans l’cabinet, j’avais à peine toussoté deux coups qu’son stylo griffait l’ordonnancier aussi agilement que Zorro dessine son Z de la pointe de son épée. Bon Docteur, j’vous ai ramené son ordonnance pour qu’vous m’remettiez pareil. Et pis, pendant qu’j’y suis, faudrait m’r’garder l’dos aussi. Nom de dieu que je dérouille, presque bloqué l’dos. Allez, r’gardez.
 
*
-Votre examen est rassurant, je comprends votre inconfort, mais ne vous inquiétez pas, ça va passer ce rhume, sans ce traitement de cheval comme vous dites. Pour le dos, rien de bien méchant non plus. Vous allez prendre 1 gramme de paracétamol toutes les 6 h 00.

-Quoi ? Mais c’est que j’ai point de balance chez moi pour peser ça Docteur ! Et c’est quoi l’paratamol ?

-Non, il n’y a pas à peser, ce sont des comprimés, ou des sachets etc… de 1 gramme, c’est le Doliprane, l’Efferalgan, le Dafalgan etc…

-Quoi ? C’est tout ce que vous avez trouvé à m’donner ! Tout ça pour ça ! 10 ans d’études, 23 euros la consultation pour me r’fourguer du Doliprane que vous appelez autrement juste pour faire votre grand Docteur ! Mais j’en prends déjà et tous les jours de ça, ça me fait plus rien. J’vous demande un r’mède de ch’val, un truc de vrai Docteur nom d’une pipe ! Y’m’faut un truc contre le mal.

Et là, je me mets en colère, mais seulement dans ma tête bien sûr. Je suis le seul à m'entendre, et toi tu es le seul à lire cette colère. Chut ! Putain, allez c’est bon, tiens, tu veux un truc contre le mal, voilà, Contramal, fastoche hein, contre le mal = Contramal. J’sais pas si c’est vraiment ce qu’il te faut mais ça se retient bien, surtout après la visite de la belle déléguée qui sentait si bon, avec ses yeux si doux, et sa jupe si courte… Ah les courbes de la déléguée ! Elles sont bien ses courbes à la déléguée, ce que je préfère c’est quand elle fait ses courbettes la déléguée. Mais non non non, elle ne m’influence pas la déléguée avec ses belles courbes. Non non non… Allez, tiens, le voilà ton Contramal.

-Ah merci Docteur, rien qu’avec ce nom, ça me fait déjà du bien. Mais attention, vous savez que je suis fragile de l’estomac . Faudrait pas que ça m’détraque l’estomac votre truc.

-Non, aucun risque, ce n’est pas un anti-inflammatoire, ne vous faites pas de bile.

-Oh si j’m’en fais vous savez, surtout quand on me donne un truc que j’connais pas Docteur. J’ai déjà quelques aigreurs, s’vous plaît Docteur, un p’tit truc pour mon estomac. L’Mopral c’est bon pour l'moral.

In my head : Non, pas l’Mopral ! J’en ai fait une overdose de prescriptions quand j’étais interne à l’hosto. Je ne connaissais que celui-là faut dire parce que c’est à l’hosto que tu commences et « apprends » à prescrire, alors tu prescris ce que tes chefs prescrivent, et surtout tu prescris ce qu’il y a à la pharmacie de l’hosto, en fonction du gros marché signé avec tel ou tel labo. Donc non, pas l’Mopral ! J’en connais d’autres moi M’sieur, j’ai fait des études moi M’sieur. Pis il est cher, pis t’en as pas besoin, pis, pis merde, tiens si t’as d’l’acide qui t’brûle l’estomac, j’vais t’l’inhiber ta pompe à protons, Inipomp, j’sais pas si t’en as besoin, j’sais pas si c’est le meilleur et l’moins cher, mais ça se retient bien, surtout après la visite de l’autre belle déléguée qui sentait tout aussi bon, avec des yeux un peu moins doux mais une jupe encore plus courte… Et ses courbes à elle aussi, j’t’en parle pas parce qu’on n’a pas l’temps, mais ses courbes, Mama ! Revenons tout de suite à l'art médical, aux oubliettes les courbettes de la déléguée ! Bon, ça lui fait donc son truc de cheval pour son rhume que je ne lui ai pas prescrit mais dont il a conservé précieusement les derniers comprimés dans sa table de nuit après sa consultation chez le confrère d'à côté ouvert même le dimanche LUI, plus un peu de Contramal, plus un peu d’Inipomp, plus ce qu’il prend d’habitude. Ah ouais c’est vrai, qu’est-ce qu’il prend quoi donc d’habitude lui encore ? Du Doliprane de son propre chef, un truc pour ses angoisses, un truc pour pioncer le soir, ah pis ça, pour les soirs où il veut faire autre chose que pioncer c’est vrai. Tiens ça, on n’a pas choisi un nom qui se retient bien, mais tout le monde l’a retenu celui-là, on n’a pas eu besoin de le baptiser Baizemieux le Viagra. Bon et son truc pour le cholestérol qu’il bouffe tous les jours entre deux rasades de lard. D’accord, d’accord. Donc là, en gros on a environ 7 ou 8 molécules, ça veut dire qu’en gros de gros, au jour d’aujourd’hui, de façon praticopratique, on ne maîtrise absolument plus la situation, on ne sait pas ce qu’on fait, pochette surprise ! J’suis une pine d’huître en pharmacologie parce qu’à la fac on fait un peu de pharmacologie quand on est apprenti docteur en 4 ou 5ème année d’études, un peu histoire de pas être trop à la rue normalement. Entre nous, le seul truc que j’ai retenu de ces cours de pharmaco, c’est quand le prof nous a dit qu’au-delà de 3 molécules, on ne sait plus ce qu’il se passe. Alors imagine le tableau avec 7 ou 8 voire plus.

Suivant !

Oh yes, yes, et re yes ! Là j’vais être bon. Une première demande de contraception. J’te l’dis là j’vais être bon. T’as bien fait d’venir gamine, ça va bien se passer. A peu de chose près, ça n’aurait pas été le cas mais là, t’as frappé à la bonne porte, au bon moment. Avant, t’aurais pas eu intérêt à passer entre mes griffes acérées pour ce motif, mais heureusement, y en a un qu’a rattrapé le coup, je vais te raconter ça. Sans lui, je ferais déjà, encore, toujours, passionnément, à la folie, partie de la célèbre dream team wincklérienne des médecins maltraitants. La raison à cela ? C’est quand j’étais petit, en 4ème année de médecine. C’est à ce stade que j’ai eu à valider mon module de gynéco. Alors un jour un vieux PUPH de gynéco nous a fait le cours sur la contraception. A la fac, on nous disait souvent qu’une grande partie de ce qu’on apprenait serait dépassée à la fin de nos études. Mais on nous disait jamais qu’une aussi grande majorité l’était déjà… Donc mon cours de gynéco, j’l’avais bien bossé car le vieux PUPH nous avait avertis que le sujet pourrait bien tomber à l’exam de fin d’année. Et il est tombé. Mais fastoche, j’l’avais bien bossé, même si je flippais un peu parce que le moindre oubli des étapes de sa prose au vieux PUPH était synonyme de rattrapage en septembre. Tu me diras, au moins comme ça, on la sait sur le bout des doigts la contraception, ah ah ah, sur le bout des doigts… Sauf que quand c’est des conneries cette prose, c’est con de l’apprendre deux fois hein ! Bref, pour résumer, la contraception dans mon cours de gynéco, c’est un interrogatoire digne des plus hauts gradés de la Gestapo + l’examen habituel : poids, TA, etc… + la palpation mammaire + le frottis frotta + le toucher vaginal en allant bien profond dans le cul de sac de Douglas sait-on jamais des fois qu'y ait un truc incroyable qui s'y cache + le toucher rectal (sur le bout des doigts j’te dis la contraception) = après tout ça, c’est bon, tu peux lui filer la pilule. Voilà, oh yeah baby, emballé c’est pesé. Cours du Professeur Belovaire mémorisé, examen de fin d’année validé, passage en 5ème puis 6ème année, puis l’internat etc… En toute fin d’internat, v’là t’y pas que je suis en autonomie dans un cabinet de médecine générale, presqu’un vrai docteur s’il vous plaît. Et là, je suis seul avec elle. Elle, c’est un peu comme un oisillon tout juste tombé de son nid, fragile, encore un peu ado, pas vraiment adulte, mais qui aimerait voler de ses propres ailes, elle. Elle vient pour une demande de contraception. Cinq ans après, les étapes de mon cours de gynéco défilent dans mon cerveau. Aïe, je crois qu’en fait, ça va pas trop le faire là hein. J’l’avais eu les doigts dans le nez mon module de gynéco, mais je me vois pas trop lui mettre mon doigt dans le c.. là tout de suite à elle. Et pis j’y étais passé en tant qu’interne dans le service de gynéco d’un grand CHU où tu sors hyper compétent vu que c’est là que tout se passe, que tout s’apprend… Malgré tout, je me suis plutôt senti mal à l’aise devant la demande de cet oisillon tout mignon. Non mais ça va pas la tête, je vais pas lui infliger ça la pauvre !!! Elle est repartie sans que je lui fasse rien, sans contraception mais avec un rendez-vous pour le lendemain avec le vrai docteur du cabinet. Et hop, je me suis défilé comme un grand. Ensuite, le vrai docteur du cabinet, un généraliste enseignant, a rattrapé le coup : «mais y a pas que la pilule» ah bon ! «mais t’as pas besoin de faire tout ça» ah bon ! «il faut expliquer» ah bon ! Mais à la fac, le professeur Belovaire, il a dit que... «tu penses vraiment qu’il s’y connaît mieux que nous Belovaire ?» Ben il est Professeur de gynéco quand même !
Voilà comment un généraliste enseignant a rattrapé le coup d’un vieux PUPH de gynéco. Pas facile à digérer et à comprendre hein qu’un petit généraliste de merde sache mieux que le référent régional de gynéco. Et dans d’autres domaines, ça peut être pareil. Dommage qu’ils n’interviennent pas plus tôt dans l’enseignement de la médecine ces petits généralistes de merde hein ! On éviterait quelques conneries.

Bon donc là maintenant tout de suite, je suis chaud, c’est bon, je me suis désintoxiqué de mon cours de gynéco de 4ème année, j’ai revu un peu la question, j’ai même lu d’autres horizons, les horizons wincklériennes un peu zaffranées, les horizons boréennes, etc… Alors là ma gamine, on peut y aller sur la contraception, je vais te donner une info libre loyale et éclairée et tu choisiras en fonction, je ne choisirai pas à ta place. Yes yes et re yes. J’suis content là parce que j’ai l’impression que je vais être utile et presque compétent, tout du moins pas trop maltraitant.

-Alors jeune fille, ça vous convient ?

-Non mais vous fatiguez pas Docteur avec vos explications, je viens juste pour avoir une lettre pour aller chez le vrai spécialiste de la question, je veux juste que vous m’adressiez à Gygy c’est tout.

-Mais y a pas besoin de lettre, et moi je peux…

-Ah ben désolée pour le dérangement Docteur. Je pensais qu’il fallait une lettre. Au revoir.

Voilà, tout ça pour ça, quelle connerie !

A propos de conneries, le ménage est régulièrement fait dans toutes les conneries qu’on peut prescrire. Chaque génération a son scandale, le Distilbène, le Médiator, mais ça c’est ce qui fait causer, les stars, car y a aussi des trucs moins connus. D’abord les trucs déremboursés, non pas qu’ils soient (trop) dangereux mais parce qu’ils ne servent à rien alors qu’ils ont été prescrits pendant des années. C’est plutôt bien ça moi je trouve, sauf que c’est pas toujours sans effet secondaire encore cette histoire. Ben oui, comme on fait croire et on a appris que quasiment tout se règle par la prescription d’un médoc, alors quand certains médocs passent à la trappe du remboursement, d’autres prennent leur place et à défaut d’être utiles, ils sont plus dangereux. T’es pas obligé de me croire mais quand tu vois une nana d’une vingtaine d’année qui souffrirait d’hypotension sans que ce soit vraiment avéré mais qui prend tout de même pour ça de l’Hept-a-myl, et qui du jour au lendemain, faute de remboursement, passe sous Seglor, un antimigraineux de fond, c’est un peu con moi je trouve. Comme tous ces mucolytiques que les enfants ont avalé lorsqu’ils toussotaient, maintenant quand ils toussotent un tout petit peu trop longtemps au goût des mamans, cocktail corticoïdes inhalés ou à manger avec un petit antibio, et hop là ! La place des mucolytiques est prise. La nature a horreur du vide qu'il paraît.

Pourtant, on fait le ménage dans les médocs dangereux. Le petit choux qui vient d’arriver sans aucun mode d'emploi et qui inquiète maman tellement il régurgite. Ben oui, il régurgite en si grande quantité, c’est énOOrme ! Y en a partout sur le bavOUUU ! Lui le petit choux, il a l’air plutôt en forme, a un très bon appétit, il prend bien du poids, mais maman est inquiète parce qu’il régurgite partout et tout le temps, c’est énOOOOrme ! Y en a partout sur le bavouyOUUUU ! Mais le pyjama ça va, pas une seule trace. Ben faudrait juste prendre le temps de la rassurer et de lui expliquer à cette maman. Mais un coup de Prépulsid, ça va plus vite.

Arrête t’es ouf ou quoi ! C’est dangereux le Prépulsid, on peut plus le préscrire celui-là !

Bon ben le Primpéran alors.

Non plus t’es ouf, on peut plus.

Bon ben le petit cousin, le Motilium c’est bon ça le Motilium. En plus la maman en prend déjà pour stimuler sa production de lait…

Arrête tu m’énerves là, tu me provoques. Il a chaud aux fesses celui-là aussi tu sais !

Bon les labos, vous pouvez nous sortir un cousin au Motilium parce que les petits choux, y vont continuer de régurgiter et nous, faut qu’on ait un truc à prescrire sinon on va faire quoi ? Ben juste discuter et rassurer. Disquoi ? Rasquoi ? Non mais j'suis toubib moi, j'suis pas psychologue, j'suis pas là pour bavarder moi. Donc grouillez-vous les labos pour trouver un truc pour me remplacer ça, que j'aie quelque chose à prescrire aux petits choux qui régurgitent, pis qu'ont la colique, pis après, y aura la 1ère rhinopharyngite suivie de la bronchiolite. Vous voyez, y a pas à discuter, si vous avez des stocks de médocs, j'vais vous les écouler moi. De toute façon, y a rien à craindre, puisque les autorités font le ménage si les médocs sont trop dangereux. Le ménage ? Moi quand je fais le ménage, ça déménage, la place est nette, vide. Mais la nature a horreur du vide, on vient de le dire. Regarde comme on fait du ménage, du vide dans le Vidal avec ses cinquante douze mille antihypertenseurs. La partie «médicaments» (les pages blanches du Vidal), c’était 2304 pages en 2005, 2595 pages en 2011, 2651 en 2012 et va regarder toi-même en 2013, j’vais pas tout faire non plus. Ah c’est du bon ménage ça hein ! Non mais en fait, c’est parce que comme la moyenne d’âge des médecins augmente, alors c’est écrit plus gros dans le Vidal pour les vieux médecins. C’est pour ça qu’il y a plus de pages. MAIS OUI, PRENDS-MOI TOI AUSSI POUR UN CON J’AI L’HABITUDE !!!

Suivant !

-Bonjour Docteur, c'est reremoi, on s'est vus ce matin, vous vous rappelez j'espère. Vous ne vouliez pas me marquer le même remède que votre confrère d'à côté qu'est ouvert tout le temps, LUI, même le dimanche. Ben c'est allé plus vite que je le pensais et c'est déjà r'tombé dans les bronches, des 2 côtés, comme la dernière fois, une double bronchite Docteur. Faut écouter les patients Docteur, vous êtes jeune pour le comprendre, mais écoutez les patients. Vous n'avez pas voulu m'écouter tout à l'heure alors voilà, me revoilà. Vous auriez gagné du temps à me mettre tout de suite le bon r'mède de votre confrère. Et pendant que vous y êtes, j'irais bien voir le spécialiste des poumons, parce que deux doubles bronchites, ça fait quand même quatre bronchites. C'est pas normal ça.

Là ça clignote dans ma tête : prescris/prescris pas, prescris/prescris pas, prescris/prescris pas/… Ouais la prescription, c'est comme le permis de conduire, une fois que tu l'as le permis, tu chopes vite des automatismes, et tant que tes conneries ne sont pas remarquées, tout va bien, tout roule, alors tu continues ton petit bonhomme de chemin sur un long fleuve tranquille sans trop regarder dans le rétro. Mais là le clignotant, il me perturbe la carte grise, euh non, la matière grise. Le confrère d'à côté qu'est ouvert tout le temps LUI, même le dimanche, il a pas les mêmes automatismes que moi. Je lui prescris pas à Mr Me Revoilà, il va aller les chercher à côté ses médocs et je vais encore passer pour un con. Je lui prescris, c'est fait, bon débarras, mais demain soir j’ai «groupe de pairs» et je suis sûr que ça va tomber sur lui mon cas à présenter. Et je vais aussi passer pour un con. Et pis merde ! J’vais pas y aller au groupe de pairs. Me former le soir sur mon temps perso pour pas un rond et passer pour un con, merci ! Tiens, le voilà ton r’mède de ch’val !

-Au fait Docteur, votre Contramal, je l’ai pris au pharmacien mais je l’ai rangé dans ma table de nuit à côté de toutes mes autres petites boîtes de gélules pour quand j’aurai vraiment mal. J’ai lu la notice, c’est plein d’effets indésirables ce machin, et en sortant de chez vous, mon dos allait mieux. Mais quand ça ira mal, je l’aurai sans avoir besoin de vous déranger. J’ai tout un arsenal dans mon tiroir, un vrai trésor de guerre, j’pourrais ouvrir une pharmacie.

Voilà, j’me suis fait avoir comme un bleu, j’savais bien qu’il fallait pas lui prescrire. Mais trop tard, c’est fait. Son trésor de guerre dans son tiroir, c’est plutôt une bombe à retardement, un cocktail Molotov ! Un jour il va nous faire un mélange qui va l’envoyer direct à l’hosto, je le sens bien le coup venir.

-Bon, mon brave Docteur, je ne vous retiens pas plus longtemps, y a une jeune demoiselle dans la salle d’attente qui veut vous voir.
 
*
-Rebonjour Docteur. Je suis venue tout à l’heure, vous vous souvenez ? En fait, j’ai appelé le gynéco mais il n’a pas de place avant 6 mois. C’est long 6 mois vous savez. Alors j’ai quand même pris un rendez-vous mais en attendant, il m’a conseillé de venir vous voir pour que vous me prescriviez la pilule. Il m’a dit que ça ne posait pas de souci car il vous connaît, vous étiez dans la même promo à la fac, vous avez assisté aux mêmes cours de gynéco que lui donc tout va bien. Et au pire s’il y avait un problème, il me verra dans 6 mois.

-Ah oui en effet tout va bien…

Conclusion :

Ne t’inquiète pas, toutes ces prescriptions sont anciennes, c’est quand j’étais jeune, maintenant, je sais tout…, et il y a prescription.

Prescrire, proscrire, une seule lettre pour changer complètement la signification d’un mot. L’erreur est au bout de la plume ?

Pour plus de sérieux, je t’invite à lire ça au sujet des surpréscriptions sur le site du Formindep, ça vaut vraiment le jus.

Et la prochaine fois, je serai plus concis c’est promis.

Allez, viens Gavroche, on se casse d’ici : «Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire

Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau»