vendredi 8 novembre 2013

Toubib or not toubib ?

 
 
Voici donc une jolie courbe qui malheureusement ne représente pas l’évolution du chômage dans notre pays de 1900 à nos jours, non pas du tout. Mais ne perdons pas espoir… Cette courbe m’a beaucoup intéressé, j’espère qu’elle aura cet effet sur toi également. Perso, je trouve que pour avancer, il faut savoir jeter des petits coups d’œil dans le rétroviseur de temps en temps, ça permet de se remettre dans la bonne trajectoire.
 
Donc cette courbe ?
 
Il s’agit en fait de l’évolution de la mortalité infantile en France depuis 1900. Ainsi, en 1900, sur 1000 naissances, environ 160 enfants mouraient durant leur première année. De nos jours, ils ne sont plus que 3,8 environ. Pas mal non ? Ah, je sais qu’en France on est des râleurs donc juste pour discuter, ce taux est de 136 pour 1000 naissances en Afghanistan. Alors je sais pas toi, mais moi, je trouve que c’est une sacrée chance de naître en France. Et dès que j’ai vu cette courbe, moi, toubib, je me suis dit : « Putain, quand même, nous les toubibs on est trop forts ! ». Oui je l’avoue, face à cette baisse permanente de la mortalité infantile, j’ai voulu mettre du toubib, du médoc, de l’antibio, du vaccin partout pour l’expliquer. Alors jetons un petit coup d’œil dans le rétro, histoire de prendre conscience de notre place, de relativiser un peu en fait, voire si cela est possible de tirer un peu d'humilité de cette courbe.

On va commencer par la diviser cette courbe en 2 périodes, avant et après 1950.

De 1900 à 1950 :
 
On voit une descente de 160 à 50 décès pour 1000 naissances, soit un taux de mortalité infantile divisé par 3. L’histoire est belle, sauf que… sauf que cette descente a connu 2 remontées qui correspondent aux 2 guerres mondiales. Tu vois, naître en France, ou dans un pays en paix, c’est bien hein.
 
Alors, où mettre les médocs, les antibio, les toubibs là au milieu ? Parce qu’en fait, c’est à partir de 1950 que sont apparus les progrès médicaux décisifs. Alors avant, que s’est-il passé ? Comment a-t-on fait ?
 
Avant 1950, on a connu l’amélioration de l’hygiène corporelle et alimentaire (comme la pasteurisation), l’alphabétisation et la scolarisation des futurs parents (lois Jules Ferry 1880), l’augmentation des revenus et de la richesse nationale. C’est donc tout cela qui aurait contribué à faire diminuer la mortalité infantile avant 1950. Comme quoi, sauver des vies, ça n’est pas qu’une histoire de toubibs hein. Allez, un peu de provoc pour les extrémistes de l’allaitement maternel. A partir des années 1880-1890, date de la pasteurisation du lait, les mères ont été de moins en moins nombreuses à allaiter. Quand tu regardes la courbe de la mortalité infantile, les enfants ont été de moins en moins nombreux à mourir. Les courbes sont donc superposables. Non, mais c’est comme ça, c’est pas de ma faute. Mais tu vois comment on peut conclure à une relation de cause à effet à la con. On peut leur en faire dire des conneries aux courbes, méfie-toi. Donc, bien sûr que non, la baisse de l’allaitement maternel n’a pas entraîné une baisse de la mortalité infantile, mais c’est juste pour dire que, ben oui, allaiter c’est bien, c’est recommandé, mais c’est avant tout un choix. Le rôle des soignants est de conseiller, proposer, pas d’imposer ni faire culpabiliser. Bref, tu vois qu’un coup d’œil dans le rétro, ça te fait relativiser et te remet un peu à ta juste place. Moi, ça m’énerve un peu, parce que mon ego en prend un coup derrière les oreilles, alors on va passer à la deuxième partie de la courbe.
 
Après 1950 :
 
Ah enfin, les toubibs, les vaccins, les antibio, on peut les placer, ouf ! Tu vas me dire que je raconte n’importe quoi parce que les antibio, c’est Fleming en 1928 et les vaccins, c’est encore plus tôt avec Edward Jenner et la variole en 1796. Oui mais ça, ce sont les prémices, les découvertes, la mise au point et la généralisation de tout ça, c’est après 1950. Et ça a plutôt bien fonctionné.
 
Après les années 60-70 baba cool, sur la courbe, ça semble moins impressionnant, on dirait qu’on s’est essoufflés. On est pourtant passé d’un taux de mortalité infantile de grosso modo 30 à 3,8 pour mille en 2010, soit un taux divisé par 8 ! Ah les courbes, je te jure. Toujours se méfier de la présentation des courbes. La preuve, si on y regarde de plus près, voici ce que ça donne entre 1968 et 2010 avec une autre échelle.





Finalement, ça change bien la donne. Dans les années 75, les services de néonatalogie fleurissent, boum, ça baisse. Puis regarde la belle petite chute entre les années 1992 et 1995, j’adore cette histoire. Quel médicament miraculeux, quel vaccin génial, quel fabuleux geste technique est apparu pour provoquer cette baisse ? Rien de tout cela en fait. Juste un conseil, quelques mots, quelques gouttes de salive pour dire « Euh, en fait, malgré ce qu’on vous a raconté jusqu’à maintenant, ça serait mieux de coucher votre bébé sur le dos que sur le ventre ». Ces quelques mots (associés à d’autres petits conseils) ont tout de même permis de passer d’environ 1500 morts inattendues du nourrisson par an à 400. Peut-être que ça te laisse de marbre, moi je trouve ça génial. Surtout quand tu regardes un peu plus longtemps dans le rétro et que tu tombes sur ce genre d'article écrit à cette époque. Il paraît que lorsque certains toubibs commençaient dès les années 80 à dire chiffres à l’appui que le couchage sur le dos serait une bonne idée, ils se faisaient huer. Mais maintenant, c’est bon, tout le monde a compris. Quoi, tout le monde, presque… Ces quelques photos prouvent qu’il faut encore en remettre une couche ! (ami publicitaire, si tu me lis...)





 

Que l’on regarde plus ou moins loin dans le rétro, c’est toujours un peu le même mécanisme :

-Semmelweis et le lavage des mains pour lutter contre la fièvre puerpérale : « Mais il est fou ce type ! ».

-Irène Frachon qui dénonce les effets du Médiator : « Mais qu’est-ce qu’elle nous raconte celle-là ! »

-« Dosage annuel du taux de PSA à tous les types à partir de 50 ans, allez, hop en voiture ! »
« Euh en fait, apparemment, c’est pas si simple, Mr le Professeur »
« Quoi ? Vous refusez de dépister un éventuel cancer de la prostate à vos patients, mais vous êtes inconscient ! »…

On pourrait en trouver d’autres. Au final, l’histoire se répète et se répètera encore mais n’oublions pas que les plus nombreux et/ou les plus influents n’ont pas toujours raison.

Ce qui est un peu con en médecine, c’est que ce qui est financièrement rentable, c’est la multiplication des actes, surtout si ces actes sont des actes techniques. Expliquer, rassurer, conseiller, c’est chronophage et peu reconnu. Avec le couchage de bébé, on vient d’observer un formidable exemple démontrant qu’il serait bon de rééquilibrer un peu les choses.

Bon, revenons à cette courbe qui nous montre un petit rebond de mortalité après les années 2000. C’est quoi donc ça ? Les bobos qui ne vaccinent plus leurs enfants ? La canicule qui n’a pas emporté que des vieux ? Non ça c’était en 2003. En fait, c’est encore une histoire de mots. En 2001 est défini le statut de mort-né. Ben, quand on change les règles et les définitions, ça modifie les chiffres, voilà tout. Ah ces fichues courbes, méfions-nous en comme de la peste (surtout celles des labos, tu sais, les courbes des belles déléguées…).

On arrive donc ainsi à un taux de mortalité infantile d’environ 3,8, ce qui n’est pas le meilleur, mais pas mal quand même. Par exemple, les plus beaux, les plus forts, les plus intelligents, les plus exemplaires du monde ont un taux de 6 pour mille. Eh oui, sur ce coup-là, on bat les « Yes we can ! ». Et le truc qui casse la « Barack », c’est qu’aux USA, ce taux est deux fois plus élevé chez les noirs que chez les blancs. La population dite « black » a de mauvais indicateurs de santé. Alors ? On n’est pas si mal en France, pour l’instant… Même si on nous fait peur en nous répétant depuis 10 ans qu’on va bientôt manquer de toubibs. Bien sûr que des toubibs, il en faut, mais la santé, c’est pas qu’eux. On vient de le voir. A ce sujet, et totalement en rapport avec le titre de ce billet, et comme j’en ai un peu marre d’écrire, et que je sens que toi, tu en as encore plus marre de lire, alors je vais juste te montrer deux images. Elles vont nous permettre de nous éloigner de la mortalité infantile pour penser à la santé de façon plus globale, d’enfoncer un peu plus le clou, de répondre un peu à la question : « Toubib or not toubib ? », qui aurait aussi pu être : « Qui suis-je ? Où vais-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? ». Ces images vont peut-être aussi permettre de remettre en place les très rares médecins qui se prennent pour Dieu tout puissant (même si en vrai pour eux, je crois qu’il n’y a plus rien à faire et qu’en plus ils ne me lisent pas), d’émettre une nouvelle petite critique sur le modèle américain (même si en vrai, je crois que c’est un peu pareil chez nous), de faire méditer ceux qui méditent déjà. Bref, ça va me servir de conclusion.

Voilà ce qui détermine la santé :



 
Voilà comment se répartirait la contribution potentielle de chaque déterminant à la réduction de la mortalité (donc à la santé) et les sousous affectés à chaque poste :
 
 
 
 
Si t’as pas trop compris, on peut voir par exemple qu’aux USA, 90 % des dépenses de santé sont affectées au système de soins qui ne contribuerait que pour 11% de la réduction de la mortalité alors qu’on ne dépense que 1,5 % de cet argent dans le style de vie qui lui contribuerait à 43 % dans la réduction de la mortalité.

Bonne méditation. Mais ne médite pas trop et méfie-toi, comme je l’ai indiqué dans l’entête de ce blog, je ne suis qu’un modeste toubib sans compétence ni légitimité particulière. Ces courbes, ces chiffres, mes mots, ne sont peut-être que du flan. Alors bon appétit et digère bien.