mercredi 26 octobre 2016

RETOURNER LE RÉTROVISEUR ?

Peu le temps ni le goût d’écrire en ce moment mais l’envie de proposer dans un premier temps un peu de relativisme dans ce monde de brutes multicolores.

Je n’ai pas cherché ce qui va suivre. Parfois les plus belles perles se présentent spontanément sur notre chemin, alors on les ramasse, on les observe, on médite et on peut aller jusqu’à les partager. Ces perles sont des affiches qui datent, des pages qui sentent le temps. N’en demandez pas plus, je ne saurai répondre avec précision. Faufilez-vous entre les lignes écrites par des médecins de l’époque, posez vos yeux sur les images anciennes, passez mes quelques commentaires si vous les trouvez futiles. Regardons ensemble dans le rétroviseur de ce drôle de monde qu’est le monde médical en conservant à l’esprit qu’il s’agit là d’éléments passés voire dépassés. Ensuite nous retournerons le rétroviseur.



Saviez-vous pourquoi la femme possède deux seins ?


Dame nature ayant prévu (elle est très prévoyante Dame nature) une paire de « mamelles » par enfant, l’expulsion de jumeaux est anormale.

Mais même si Dame nature a prévu une paire de « mamelles » et du lait maternel, l’homme a toujours eu la prétention de se hisser au moins à son niveau. 


Le médecin a cependant l’humilité d’être approximatif concernant la durée de la grossesse d’autant que la nature semble brouiller les pistes en fonction du lieu de vie de la femme enceinte. Quid de la femme qui déménagerait de France en Allemagne en cours de grossesse ? Quant à l’homme en partance, à qui faire certifier la date de séparation ? L’huissier ou le médecin ? 





Sans attendre le seuil des 300 jours, en grand seigneur le prince charmant pourra toujours conduire son ex « à toute époque de la grossesse » dans une maison d’accouchement confortable.



Et prier pour qu’elle ne développe pas une folie furieuse puerpérale ! 



Si votre douce se plaint de « goûts bizarres », vous savez ce qui vous attend.


Si vous ne savez pas, vous pouvez toujours aller faire un tour aux couveuses avec des bébés vivants à l’intérieur s’il vous plaît. Cela peut être utile, intéressant et instructif.



Quelques conseils pour coucher bébé, une histoire tourneboulante à dormir debout ! (Je rappelle pour les zappeurs du net qu’il s’agit là de regarder dans le rétroviseur ce qui s’écrivait jadis sur ce sujet donc à ne pas prendre pour des conseils actuels, merci)



Et les vaccins au fait ? Celui contre la tuberculose, vous en pensez quoi docteur ?



Valeur thérapeutique incertaine mais innocuité absolue à condition que...


Des docteurs connus et réputés conseillent même…

Pas obligatoire mais le mieux est de demander conseil à son médecin pour se dégager de toute responsabilité.

J’adore les passages de ce gros bouquin désarticulé aux pages jaunies qui sentent tellement le temps. Le temps présent ?

Le temps d’avant : Robert, ça y est, ils arrivent, les biberons Robert !



Les campagnes d’affichage de maintenant du Robert de Béziers… Le pire. Épuisant les grands et les mi grands.


Aïe ! Pas de politique (si cela s’appelle de la politique) ! On a dit surtout pas de politique ! Encore moins pendant les repas conseillaient les docteurs pour une bonne hygiène alimentaire. Il faut toujours écouter les docteurs, ils savent eux ce qui est bon ou pas : 




D’autant que la politique, ça fait monter la tension mais heureusement :




Tout est bon dans cette affiche, le nom du laboratoire dans le nom du médicament, l’action douce et prolongée sans dépression secondaire, l’image du patient hypertendu mais qui a l’air si serein malgré ses 21 de tension. On flippe pour moins que ça de nos jours non ?


A en croire l’image suivante d’un autre laboratoire, on devait se refiler le même dessinateur à l’époque. Regardez le patient, c’est le même non ? Ou alors s'agissait-il des prémices d’une future OPA ? 



Le syndrome de la cinquantaine n’est donc pas un mythe, et mieux que ça, il se traite et c’est remboursé !

Enfin le meilleur pour la fin. Quelques conseils pour rester bien portantes mesdames : 



Allez les filles lustrez-moi ça, il faut que ça brille.

Quant aux jeunes hommes ces branleurs ! La branlette cette déformation sexuelle ! Ce fléau qui perturbe le système nerveux de façon définitive !





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Regarder dans le rétroviseur peut faire sourire.


J’ai souri à la lecture de ces passages, à la vue de ces images. Un sourire retenu, non moqueur. Car regarder dans le rétroviseur permet de relativiser tout en prenant conscience que l’on sourira sur nous, nos dogmes, nos certitudes et nos questionnements actuels d’ici quelques décennies.

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Puis j’ai retourné le rétroviseur.


Alors j’ai souri d’un sourire un peu triste, grimaçant et désabusé face à ces dogmes, certitudes, (im)postures dans certains domaines de la médecine que l’on sait urgent et utile à revoir ou réinterroger dès aujourd’hui.

L’actualité toute fraîche sur le dépistage organisé du cancer du sein (voir ce texte ici) ou encore la décision du ministère de la santé de ne pas dérembourser les médicaments anti-Alzheimer (malgré ce communiqué de la Haute Autorité de Santé) ne semblent pas à même d’effacer mon rictus.

De mes yeux de minuscule médecin de bas terrain vague, voilà ce que représente de nos jours la principale brutalité infligée aux patients sans pour autant en nier les autres formes auxquelles je participe probablement, un peu, parfois, beaucoup, passionnément, à la folie. Quand on sait mais que l’on tait ou que l’on décide de s’asseoir sur ce qui est prouvé, c’est scandaleux.

*

Retourner le rétroviseur, ce n’est pas regarder dans une boule de cristal mais bel et bien s’attendre à de futurs scandales.

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Voltaire disait de la médecine : «L’art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit.»

Je me demande si on ne peut s’autoriser à penser que l’art de la politique ne consiste pas à distraire le peuple pendant que la finance le spolie.


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En savoir plus sur :

-la médiocrité de la ministre de la santé : il suffit de la voir à l’œuvre dans les média chaque jour, cette fin de règne est un festival. La levée de fonds pour une éventuelle campagne de son mentor primerait-elle sur la santé publique ?

-le Rapport du comité d’orientation sur le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie (09/2016) :


-l’Avis de la commission de transparence sur les médicaments de la maladie d’Alzheimer : publication prochaine ici


Les pages qui sentent le temps sont issues d’un ouvrage dont la publication daterait des années 1935-1940, intitulé La nouvelle médecine familiale, Éditions Musy Frères, écrit par les Drs Brillault, Petit, Baumel, Bercovici, Doubosarski de la faculté de médecine de Paris et la Dr Strary de la faculté de médecine de Genève. 


lundi 3 octobre 2016

CHASSE AUX POKEMON ET AUTRES HISTOIRES DE CHASSE ?



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« Y a pas à payer et c’est bon pour la santé parce que ça nous oblige à marcher »

Voici une bribe de discussion estivale avec mon fils.

Comment avoir réussi à échapper à l’hystérie liée à l’ouverture de la chasse aux Pokémon ?

Je me souviens lui dire alors que je terminais de cuire quelques saucisses sur le barbecue :

« J’espère que tu ne téléchargeras pas ce jeu » (un vrai bon père testostéroné aurait dit « Tu ne téléchargeras pas ce jeu mon fils »)

Sa réponse m’en a fait griller mes saucisses :

« Trop tard je l’ai déjà ».

C’est là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Gratuit ? Oui jusqu’à un certain point et si l’on ne parle qu’en terme financier car on peut aussi parler du temps de cerveau consacré à ce jeu à défaut d’autres activités comme lire, faire du vélo, se balader, flâner sans but. Flâner, s’ennuyer, on a tellement oublié que ce sont dans ces moments que l’on prend le temps de se construire. Quant aux millions de données collectées sur les comportements de consommateurs que nous sommes, elles ne seront évidemment pas gratuites pour tout le monde.

Bon à la santé ? En général et depuis que je suis médecin, c’est assez drôle, je me méfie de cet argument comme de la peste.

Bref l’été a été l’occasion d’ouvrir cette drôle de chasse.


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Autre bribe de discussion estivale avec ma femme et autre histoire de chasse.

« Tu ne devineras jamais ce que m’a raconté Sofia ».

« Qui ça ? »

« Mais tu sais Sofia, c’est nananinananerre, etc…eh ben, tu te rends compte, à 43 ans, se prendre une chasse comme ça et pour ça, l’autre lui dit oui mais c’est fou ça, on vous prescrit des examens, vous ne les faites pas, pourtant c’est gratuit, et après faut pas venir pleurer, franchement, c’est de l’inconscience, il s’agit de votre santé et tatati et tataterre, bref, c’est nul hein ? »

« Oui assez je trouve »

Sofia ne s’appelle pas ainsi mais existe vraiment contrairement à ma copine coiffeuse présentée l’année dernière en ce lieu. 

Sofia s’est rendue comme chaque année chez son gynécologue. Ce dernier n’a rien trouvé de mieux que de l’engueuler car voyez-vous, la mécréante n’a pas réalisé la mammographie de dépistage prescrite l’année passée alors qu’un tel examen n’est pas justifié dans sa situation et à son âge. Si les propos rapportés sont véridiques, le médecin a cherché à terroriser Sofia.

Sofia s’est pris une chasse par un médecin chasseur ou plutôt un médecin braconnier. Oui un médecin qui traque en dehors des recommandations et de la date officielle peut être considéré comme un braconnier, un braconnier qui ne se fera jamais prendre. Il a prescrit un examen « gratuit » et ne vise que la « bonne santé » de sa patiente…

Gratuit et bon à la santé… Pokémon et autres histoires de chasses. C’est gratuit mais comment se fait-il que quelques-uns se rincent au passage ? C’est là qu’il aurait fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Dès qu’on joue sur les peurs, méfiance, il n’y a pas toujours un loup mais la méfiance est de mise.

Tout ça pour en arriver à la chasse officielle du mois de septembre et là ça devient compliqué. Entre la chasse à la bécasse, au canard, au sanglier, etc sachant que la chasse aux Pokémon n’est pas pour autant fermée, je ne vous explique pas le bordel.

Et le mois d’octobre ne devrait pas voir les choses se simplifier puisque toutes les chasses vont se croiser. Le chasseur de Pokémon sera reconnaissable tête baissée et vissée à son téléphone portable. Méfiez-vous, il ne vous voit pas forcément. Le chasseur traditionnel souvent de vert vêtu a le fusil à l’épaule. Méfiez-vous également, lui non plus ne vous voit pas forcément et peut vous confondre au point de vous décharger ses plombs initialement destinés à un sanglier dans le popotin. Enfin depuis plusieurs années désormais au mois d’octobre, toute une foule se drape de rose pour courir, nager, communiquer sur la chasse au cancer du sein.

Là, il s’agit de la chasse officielle et recommandée à partir de cinquante ans, pas du braconnage subi par Sofia dont le cas n’est malheureusement pas isolé.

Mais les choses peuvent se complexifier un peu plus car, notre ami gynéco de Sofia qui chasse avant l’heure de cinquante ans, ce qui fait de lui un braconnier, n’en est pas un tant que ça. Parce que voyez-vous, dans certaines zones, le braconnage avant cinquante ans est autorisé et même institué. C’est une sorte de coutume, quelque chose de quasi sacré. Les habitués du blog comprendront, pour les autres, le feuilleton de ce qui est dénoncé ici depuis quelques années désormais au sujet du dépistage du cancer du $ein dès quarante ans est consultable via les liens suivants :






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Autre bribe de conversation :

« Alors Doc, tu t’inscris ? Tu viens avec nous ? »

« Non. »

« Comment ça non ? Tu es médecin quand même. Tu es contre ce genre d’événement ? Tu es pour le cancer ? »

C’est là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Cet échange m’a agacé mais il m’a semblé très instructif. Tout est dit ou presque en quelques mots.
Il y a quelques jours, je suis sollicité pour participer à une manifestation à venir dans le cadre d’Octobre Rose. Je refuse. Conclusion : je suis pour le cancer…
Nous voilà au cœur même du principe de l’affaire, culpabiliser les non participants à la Pink Party exactement comme on joue avec les peurs et culpabilités des femmes refusant de se soumettre à ce dépistage de plus en plus discuté (même la ministre de la santé serait prête à revoir la copie), exactement comme l’aurait fait le gynéco de Sofia alors qu’elle n’a que la quarantaine. A la question « tu es pour le cancer ? » j’ai préféré répondre sur le ton de l’humour un truc à la con du style « ben oui tu vois bien, s’il n’y a plus de malades il n’y a plus besoin de médecins donc comment allons-nous faire pour gagner notre vie ? ». Puis, j’ai invité cette personne à aller s’informer sur le site http://cancer-rose.fr/ en lui expliquant que la question n’était pas de savoir si moi médecin j’étais pour ou contre ce dépistage mais que l’essentiel à mes yeux était de donner les outils nécessaires aux citoyens pour qu’ils puissent décider par eux-mêmes ce que ne permet pas à mon sens le magma médiatique autour d’Octobre Rose.

J’invite d’ailleurs tous ceux qui se posent des questions sur le sujet, femmes, hommes, maris, conjoints, amants, aimants, bref tout le monde à aller piocher des arguments d’aide à la décision sur ce site. Allez lire la brochure éditée l’année dernière ou visionner la vidéo montée cette année sur leur page action : http://cancer-rose.fr/actions.html . C’est gratuit, mais vraiment gratis hein !

Au-delà du sujet de ce dépistage et d’Octobre Rose, j’ai l’impression que nous sommes de plus en plus dans une société abrutissante alors qu’il me semble tellement important de développer le sens critique et cela dès le plus jeune âge. Qu’il est devenu difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe ! D’autant que tout est fait ou presque pour appuyer sur la tête de ceux qui tentent encore de le faire. Encore une histoire de chasse. La chasse aux empêcheurs de tourner en rond.

Pourtant chasseurs chasseuses, n’oubliez pas l’expression « qui va à la chasse perd sa place ». La preuve. Dans le domaine de la santé, nos décideurs de tout poil ont passé une grande partie de leur temps à chasser. On a voulu chasser le nomadisme médical, les fraudeurs, les fraudeurs patients comme les fraudeurs médecins, les déficits, les gaspillages, etc… Alors on a réformé, réforme du médecin traitant, mise en place de franchises médicales, libéralisation de l’hôpital public, pseudo-étatisation de la médecine générale libérale etc, etc… On peut remarquer que les politiques qui se préparent pour 2017 donc à la chasse aux électeurs voudraient des médecins généralistes partout dans nos campagnes tandis que la médecine ne fait quasiment jamais partie de leurs campagnes. Pendant qu’on chasse de tous les côtés, notre « meilleur système de santé » au monde a dégringolé de la première à la vingt-quatrième place en quinze ans. Ceci est un constat, je n’oserais établir un lien de causalité aussi simpliste. Mais ça fait réfléchir. « Qui part à la chasse perd sa place ? »

Nous voilà enfin à la fin de ce billet fourre-tout. Nous sommes partis de la chasse aux Pokémon pour arriver à un constat sur le classement de notre système de santé en passant par la chasse orchestrée dans le cadre d’Octobre Rose, un sujet en a chassé un autre avec en apparence aucun lien entre eux et pourtant… Prenons le temps de tisser des liens et de développer notre esprit critique. Laissons-nous emporter paisiblement par les flots sans oublier qu’il est nécessaire de donner un coup de nage à contre-courant de temps à autres.
Bonne chasse et n’hésitez pas à la tirer cette chasse quand vraiment vous ne le sentez pas le truc « gratuit et bon à la santé ».