mercredi 30 janvier 2019

SEX, DRUGS & ROCK N'ROLL ?



Malgré des critiques peu engageantes, Bohemian Rhapsody, film retraçant l’histoire du légendaire groupe Queen et de son charismatique chanteur Freddie Mercury est incontestablement un succès. Le public s’est déplacé en masse redécouvrir ou découvrir des tubes planétaires, une voix mythique, un guitariste légendaire, que de qualificatifs hors norme. Outre son impact commercial facilement évaluable, peut-on imaginer d’autres répercussions moins palpables de ce genre de film sur une population ?

Sex, drugs, rock’n roll et santé ?

Passer un bon moment au cinéma participe au bien-être individuel. A ce titre, exactement comme on peut l’entendre pour le sport ou le travail, la culture c’est la santé. Raccourci un peu bateau j’en conviens, et pas si évident à appréhender en fonction du regard de chacun. D’où l’idée de croiser mes propres regards sur ce film en particulier vu par des millions de personnes. Mes regards au pluriel car dès que l’on pose ses yeux et ses sens sur un livre, un film, une œuvre au sens large, ce qui naît de cette rencontre dépend en partie de ce qui nous a construit et de ce que nous sommes.

Au-delà du rock, du show, l’être, l’homme, le mari, le père, et, déformation professionnelle oblige, le médecin a ainsi vu de nombreux sujets abordés dans ce film : la sexualité, la drogue, l’alcool, les excès en tous genres, les conduites à risque, l’homosexualité, le questionnement sur son identité sexuelle, la solitude face à ce questionnement, la maladie, le sida, la vie, la mort. Bref, sur fond de We will rock you, Somebody to love, Bohemian Rhapsody, ces différents thèmes sont venus en permanence percutés l’être, l’homme, le mari, le père et le médecin que je suis. Cela peut-il avoir un impact sur mon comportement ? Au vu du nombre d’entrées, cela peut-il avoir un impact significatif sur une population ? La culture peut-elle contribuer même ponctuellement à actionner un des leviers de la prévention ? La culture est-elle accessible aux populations les plus fragiles, les plus à risque ? Participe-t-elle à diminuer ou accroître les inégalités de santé ? Que de questions auxquelles il est probablement difficile de répondre de façon simple et tranchée.

Et si l’on remplaçait le terme « culture » de ces interrogations par le mot « médecine » ? Voilà ce que cela donne : La médecine peut-elle contribuer même ponctuellement à actionner un des leviers de la prévention ? La médecine est-elle accessible aux populations les plus fragiles, les plus à risque ? Participe-t-elle à diminuer ou accroître les inégalités de santé ? Que de questions auxquelles il est également difficile de répondre de façon simple et tranchée, preuve que culture et médecine ont quelques points communs.

Le regard de l’homme, du mari, du père, du médecin, mais encore ?

Tignasse à la Kurt Cobain, questionnements sur la vie, sur l’avenir, besoin de s’affirmer, quête d’identité, jouer à faire comme les stars, c’est aussi le regard de l’ex ado qui peut venir enrichir la réflexion. Comment un ado, un être qui se questionne et se construit peut-il voir, comprendre ou traduire aujourd’hui les succès, les fragilités, les excès passés de Freddie ?

Ce film, Bohemian Rhapsody, constitue pour moi une sorte de piqûre de rappel dont la primo-vaccination remonte aux années quatre-vingt-dix. Il a fait revenir en boomerang des bribes de vie de la fin du siècle dernier. J’étais adolescent à la mort de Freddie Mercury, loin de moi l’idée à cette époque-là de devenir médecin un jour. Pour rafraîchir la mémoire des médecins et de tous aujourd’hui, l’homosexualité n’apparaissait plus comme « trouble de la sexualité » dans les manuels de psychiatrie que depuis une dizaine d’années seulement (1981). Pour contextualiser le propos, nous étions donc relativement loin du « mariage pour tous ». Et c’est déjà le cinéma qui a eu sur moi cet effet que j’aurais du mal à qualifier et qui a peut-être joué un rôle sur ce que j’allais devenir. Et c’est l’école qui m’a emmené ce jour-là au cinéma, au milieu des années quatre-vingt-dix.

Ecole, éducation, culture, prévention, santé ?

Je suis lycéen et notre professeure de Sciences de la Vie et de la Terre envers qui je suis extrêmement reconnaissant pour tout ce qu’elle a su me transmettre décide d’emmener sa classe voir Philadelphia.


L’enseignante avait sans doute trouvé avec ce film matière à aborder des thèmes de son programme. C’était aussi pour elle un moyen d’instaurer le débat entre ses élèves et de les inviter à la réflexion autour de l’homosexualité, la maladie, la transmission du VIH. La prof, ma prof contribuait tout bonnement à faire de la prévention. Je n’ai jamais revu ce film mais je serais curieux de le revoir avec mes yeux non plus d’ado mais d’homme, de mari, de père et de médecin. Je suis certain qu’il m’a laissé quelques traces mnésiques lorsque quelques années plus tard, devenu étudiant en médecine, je posais mes mains maladroites sur des corps meurtris au fond des lits d’hôpitaux. Ou encore lorsque devenu interne sur un territoire où cette foutue maladie sévit plus qu’en métropole, le souffrant qui se savait condamné cherchait à planter ses pupilles dans mon regard fuyant. Mes regards au pluriel. Dès que l’on pose ses yeux, ses mains et ses sens sur un corps, un visage, un être au sens large, ce qui naît de cette rencontre dépend en partie de ce qui nous a construit et de ce que nous sommes. Mon regard fuyant. Fuir la réalité de la vie, la proximité de la mort, s’évader dans les rues, dans les rues de Philadelphie. Dès que les premières notes retentissent, l’être, l’homme, le mari, le père, le médecin que je suis devenu se retrouve aussitôt dans la peau de l’ado qu’il était, s’enfonçant dans son siège, s’efforçant de retenir ses larmes, au milieu d’une salle de cinéma, à la fin de Philadelphia.

Streets of Philadelphia, Bruce Springsteen, Sex, Drugs, & Rock n’Roll.



Le mot « drug » peut se traduire de deux façons : drogue et médicament. Bien que nous soyons sur un blog de médecin, il a été pour le moment peu question de médicament. Patience, ça arrive. Mais plusieurs jalons devaient être posés et surtout, le principe ici est toujours d’inviter à la réflexion, de voyager vers le questionnement. Tout ce qui précède peut-être transposé à ce qui va suivre. Tout ce qui va suivre est sans doute à voir avec plusieurs regards. C’est le croisement des regards qui enrichit la pensée.

Aurions-nous pu sauver le soldat Freddie ?

Avec nos armes actuelles, nos outils de prévention, Queen remplirait-il toujours les stades du monde ? The show must go on




L’affiche ci-dessus invite à utiliser un des moyens de prévention à disposition, à savoir la prise d’un médicament antirétroviral (Truvada) contre l’infection par le virus VIH par des personnes non infectées mais exposées à un haut risque de contamination. Cette méthode s’appelle « PrEP » pour Pré (avant) – Exposition (contact avec le VIH) – Prophylaxie (prévention de l’infection). Il s’agit d’une prescription encadrée et ciblée dont la Haute Autorité de Santé donne des précisions : La prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH par TRUVADA.

Tous les outils de prévention contre cette terrible infection sont à considérer.

Celui-ci s’est confronté à nos questions précédentes sur la culture et la médecine : Cette méthode est-elle accessible aux populations les plus fragiles, les plus à risque ?

Il semblerait que non puisque peu connue de la population ciblée, une campagne nationale de promotion de la PrEP a été lancée durant l’été 2018. Il est ainsi possible d’en voir des affiches sur les panneaux publicitaires des arrêts de bus par exemple avec l’hypothèse que diffusée dans la population générale, l’information atteindra la population à risque. Si effectivement par ce biais des contaminations peuvent être évitées, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Malgré tout, comme dans toute démarche, que celle-ci soit curative ou préventive, je me pose la question de la balance bénéfices-risques de ce genre de campagne : quel impact peut-elle avoir sur la population générale ? Quel effet sur le comportement individuel du mari infidèle, de la quinqua divorcée à la recherche du prince charmant, du petit groupe d’ado en quête d’expériences nouvelles, et ainsi de suite ? Quels effets collatéraux sur toutes ces personnes qui attendent le bus sans forcément conscientiser les différents messages, la masse d’images et d’informations non filtrées, non accompagnées qui les traversent ? Il y a souvent un delta entre l’information communiquée et l’information reçue. On peut ici imaginer que l’affiche inscrive mentalement l’idée du médicament salvateur pour tous, avant comme après un rapport sexuel, et que bien que certains soient remboursés depuis peu, les préservatifs qui protègent contre le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles passent à la trappe. Autrement dit, la rencontre d’un message aussi louable soit-il et de l’esprit ne peut-il pas renforcer le comportement bénéfique pour un individu tout en précipitant un autre moins averti, peu disposé, dans une conduite à risque ?

Dans une société dans laquelle la marchandisation des corps est en marche à vive allure, où la médicalisation des moindres recoins de l’intimité de la vie s’étend chaque jour un peu plus, où la frontière entre campagne préventive et campagne publicitaire n’est pas toujours très nette, où l’on observe fréquemment que la surpuissante industrie pharmaceutique aux manettes a la fâcheuse tendance à médicamenter toujours plus pour gagner encore plus, où il suffit d’un click pour commander des pilules en ligne, où malgré le célèbre message « les antibiotiques c’est pas automatique », nous sommes toujours confrontés à des résistances bactériennes inquiétantes, que les virus s’emparent également de cette capacité à résister, ce sont toutes ces questions et ces aspects qui viennent se percuter car les choses sont souvent beaucoup plus complexes qu’on ne veut le présenter.


Are we the champions, my friends ?

Sex, drugs & rock n’roll. 



2 commentaires:

  1. A part Sidaction et le 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le Sida, les actions de prévention ont quasiment disparues des écrans de nos vies. Si les affiches sur la PrEP existent c'est parce qu'il y a une info nouvelle mais aussi un marché pour le médicament d'un laboratoire. Vous remarquerez dans le texte de l'affiche que les caractères les plus grands sont: un comprimé par jour.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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