vendredi 3 avril 2015

L'HOMME QUI TOMBE À PIC

 
C’est l’histoire d’un bambino âgé de moins d’un an ayant présenté durant l’automne une toux fébrile avec rhinorrhée et gêne respiratoire. Le diagnostic de bronchiolite a été établi par un médecin généraliste A, médecin traitant de la famille. Il s’agissait du premier épisode, bien toléré. Le médecin A a conseillé des lavages de nez, prescrit du paracétamol et de la kiné.

 
 
En début d’hiver, Bambino a présenté une nouvelle fois une symptomatologie similaire. Le médecin A a été consulté. Le même diagnostic a été établi, bronchiolite, deuxième épisode. La même prise en charge en a découlé.

 
Et apparemment rebelote. Sans que j’en connaisse le délai par rapport au second épisode, Bambino a été vu pour le même motif mais cette fois-ci par un autre médecin généraliste, le médecin B.

 
Le médecin généraliste A n’était peut-être pas disponible. Ou pire, c’était sa demi-journée off dont il profitait à donf avant de l’utiliser dans les années à venir pour vérifier le bon versement de ses tiers-payants, ce nanti fainéant déserteur de campagne et de banlieue pas assez compétent pour être spécialiste bien qu’on le veuille partout, tout le temps et tout de suite et qu’à cause de lui les urgences comme le trou de la sécu explosent. Vermine ! Supprimez-les et tout ira mieux ! (Merci de ne pas lire ces lignes au premier degré).

 
Les parents ont peut-être souhaité prendre un autre avis. Voir son enfant tousser et respirer bruyamment, c’est angoissant, ça se comprend.

 
Face à l’impossibilité de faire garder leur enfant malade, à la pression du travail, et/ou des professionnels de la crèche accueillant Bambino, ou encore sur les conseils avisés de la voisine, d’un collègue, de la belle-mère, etc… ils ont peut-être trouvé que la prise en charge de leur médecin traitant A était un peu light, surtout que ça revient, ou que ça dure ? Question : ça revient ou ça dure ? C’est important car c’est peut-être le second épisode de bronchiolite qui dure un peu plus que prévu.

 
Mais c’est peut-être bel et bien un nouvel épisode de bronchiolite, donc le troisième.

 
Le médecin généraliste B a considéré qu’il s’agissait d’un troisième épisode de bronchiolite. Il a donc évoqué un asthme du nourrisson, prescrit un traitement dans ce sens, une radio pulmonaire, puis orienté chez un pneumo pédiatre.

 
Il ne s’agit surtout pas ici de critiquer l’attitude des parents de Bambino, ni de remettre en cause ce que médecins A et B ont fait ou n’ont pas fait. Ne pas faire étant à mes yeux parfois aussi important que faire.

 
Je ne suis ni le médecin A ni le médecin B, je ne les connais pas.

 
Je souhaite simplement évoquer ce phénomène de «L’homme qui tombe à pic» en médecine. (C’est moi qui nomme ça ainsi, en vrai on ne dit pas ça hein, c’est comme la puberté des médecins évoquée ici, y a sûrement des grands spécialistes qui appellent ça autrement ou qui en réfutent l’existence, tout cela n’est que ma petite tambouille.)

 
Donc Bambino présente peut-être un asthme du nourrisson. Dans l’esprit et le discours de ses parents, c’est le médecin B qui en a fait le diagnostic. C’est le médecin B qui a prescrit un vrai traitement, et pas simplement du paracétamol et des lavages de nez. C’est le médecin B qui a prescrit une radio, demandé un avis spécialisé. Il n’y a donc pas photo, le médecin B est vraiment un bon médecin, bien meilleur que le médecin traitant A, tombé en un rien de temps dans les bas-fonds de la nullitude. Pourtant, le médecin A, s’il avait été consulté, aurait peut-être agi sensiblement de la même façon que le médecin B. Mais ce jour-là, pour X raisons, le médecin A n’était pas «l’homme qui tombe à pic».

 
J’ai pris l’exemple de la bronchiolite, mais on peut observer le phénomène avec d’autres pathologies dans d’autres spécialités. Dans un monde du «tout-tout-de-suite-et-on-zappe-ou-on-jette», la médecine n’échappe pas à cette tendance. D’autant qu’on cultive cette idée de toute-puissance médicale où une consultation = un diagnostic = un traitement +/- des investigations et l’affaire est réglée.
 
 
Il faut parfois, voire fréquemment, collecter un faisceau d’arguments, de symptômes, observer l’évolution naturelle de la pathologie pour réussir à en faire le diagnostic. Tout du moins tendre vers un diagnostic. Cela peut prendre plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois et même plusieurs années en fonction des pathologies. Je ne pense pas que les neurologues et les internistes me contrediront sur ce point.

 
Confronter la temporalité de la médecine à l’impatience compréhensible du patient n’est pas chose aisée, sans doute encore moins aujourd’hui qu’hier. Imaginons ce qu’il en sera demain…

 
Dans notre histoire de bronchiolite, les médecins A et B sont tous deux généralistes. Mais le phénomène de «l’homme qui tombe à pic» peut s’observer avec un urgentiste. Imaginons que les parents plutôt que d’aller consulter un autre généraliste soient allés aux urgences. Le médecin urgentiste devient le médecin B : «Ils sont trop forts ces urgentistes ! On aurait bien dû y aller dès le début, on n’aurait pas perdu tout ce temps !»…

 
Le médecin A peut-être généraliste et B spécialiste. A et B peuvent tous deux être spécialistes, et ça marche dans tous les sens. A généraliste peut avoir suffisamment débroussaillé le terrain pour que ça devienne un jeu d’enfant pour B qui en récoltera les fruits à jamais.

 
Il m’est arrivé de me retrouver dans la position du médecin B, de l’homme qui tombe à pic. C’est génial ! Grisant ! On se sent pousser des ailes, on gonfle les pectoraux. On peut avoir envie d’entamer la démarche de séducteur d’Aldo Maccione en plein milieu de la consultation. Parfois on demanderait même à Dieu de nous lécher les orteils ! Je plaisante bien évidemment. Mais ce moment précis où l’on revêt ce costume de médecin providentiel est un instant particulier où l’on pourrait facilement prendre le pouvoir sur le patient tel un gourou. Un instant fatal où l’on peut pourrir à jamais son confrère A pour asseoir son aura et sa réputation par-delà les duchés alentours. De l’extérieur, on peut penser que j’écris n’importe quoi, car les médecins se respectent, la preuve, on retrouve du « Mon cher confrère », « Bien confraternellement », « Avec mes sentiments les plus confraternels » à ne plus savoir qu’en faire dans toutes leurs correspondances. De l’intérieur, c’est bel et bien parfois un vrai panier de crabes aux pinces acérées et ça bave pas mal. Heureusement, on peut avoir l’honnêteté de ne pas user de son pouvoir sur le patient, de lui expliquer la situation simplement en glissant que le médecin A aurait pu procéder exactement de la même façon s’il avait été consulté à cet instant précis.

 
Car le médecin A dans cette histoire, ne l’oublions surtout pas. Il a exercé son métier correctement, n’a commis aucune erreur, n’est pas passé à côté d’un diagnostic, n’a tué personne. Et pourtant la suspicion rôde, le jugement tombe.
 
 
Il m’est arrivé de me retrouver dans la position du médecin A. Parfois on ne le sait pas. Mais quand on le sait, ça peut faire mal. Deux consultations peuvent se succéder et faire passer le médecin de B à A, de Dieu vivant à une sous-merde ambulante en quelques minutes. L’Aldo Maccione dandinant du cul les pectoraux gonflés à bloc devient en un éclair une loque effondrée à ramasser à la petite cuillère sous son bureau. C’est sans doute une des difficultés du métier de médecin. Étant en première ligne, le généraliste est peut-être plus exposé que les autres médecins à se retrouver dans la position du médecin A, je souligne peut-être car je n’en sais rien. Certains médecins ne le supportent pas. On peut imaginer que ce phénomène répété participe au burn-out voire mène parfois au suicide (taux trois plus élevé chez les médecins que dans la population générale).

 
C’est pourquoi, passé le moment grisant lorsqu’on se retrouve par chance plus que par compétence dans le costume de «l’homme qui tombe à pic», ayons une pensée pour le médecin A, et tournons cinquante mille fois notre langue dans notre bouche avant de parler…

 
Bien confraternellement ;-)

6 commentaires:

  1. Cher Sylvain

    Ton texte décrit une situation réelle que chacun a pu vivre.
    C'est quelque chose d'essentiel de raconter cela et montrer ainsi à ceux qui ne sont pas médecin et donc patient la difficulté de notre métier.
    Tu le racontes de façon que je trouve très réaliste et "parlante".

    Pour donner de l'eau au moulin de ta "démonstration" je vous voudrais raconter une histoire personnelle.

    Je vois en période d'épidémie de grippe assez intense , une jeune fille d'une dizaine d'années .
    Elle présentait les signes typiques : fièvre à 39° et myalgies non spécifiques.
    Je lui prescris donc du paracétamol devant ce tableau de syndrome grippal typique dans une période épidémique.
    Je ne revois pas cette jeune fille mais apprend que quelque jours plus tard elle a consulté un autre médecin car elle avait toujours de la fièvre et se plaignait de douleurs. Ce médecin a diagnostiqué une ostéite de la jambe et l'a fait hospitaliser. Elle a été traitée et guérie sans séquelle.
    Par contre ce médecin ( je ne peux pas l'appeler confrère) s'est répandu auprès de la famille pour dire combien j'étais nul.
    Particulièrement interpellé et aussi vexé , j'ai repris le dossier dans lequel j'avais noté l'observation en me disant que j'avais du faire une "connerie".
    Il s'est avéré que je n'en avais commis aucune ( je tiens des dossiers assez complets) , il n'y avait quand j'ai vu cette gamine aucun signe qui aurait pu me faire évoquer une infection osseuse de la jambe car elle n'avait aucune plainte localisée.
    Je ne pouvais donc pas quand je l'ai vu diagnostiquer une ostéite de sa jambe.
    Il est probable que si les parents au lieu de voir ce médecin était venu me revoir, j'aurai moi aussi diagnostiqué une ostéite car les signes étaient surement très différents de ceux dont j'avais eu connaissance.

    Donc comme tu le dis c'est facile d'être le "médecin qui tombe à pic" quand les signes montrent un diagnostic évident.
    Il faut aussi se rappeler que ce qui est visible un jour ne l'est pas obligatoirement la veille ou plusieurs jours avant comme dans mon cas .
    Des signes peuvent aussi variés d'une heure à l'autre voire d'une minute à l'autre.

    J'en veux toujours à ce médecin de s'être comporté ainsi mais c'est sa façon d'exercer : il a un ego surdimensionné et j'ai pu jugé de ses compétences qui sont en dessous de la moyenne .
    Il a malgré tout une très grosse clientèle.

    Voilà un exemple vécu qui m'a appris qu'il ne faut jamais critiquer certaine décision de confrères car nous n'étions pas là quand ils ont examiné ou vu un patient(e) et nous aurions peut être agi de la même façon.
    Il est dommage que cette façon de penser ne soit pas la plus partagé dans la profession.

    Par contre il ne faut pas comprendre qu'il ne faut pas critiquer les prescriptions d'un confrère car des prescriptions et comportements n'ont aucun sens et sont même aberrants.
    Non cela montre à quel point le métier de médecin et en particulier généraliste est difficile car les vérités d'un moment précis ne sont pas celles d'un autre moment plus tard car les signes peuvent varier énormément dans le temps.

    Billet très instructif, merci Sylvain.

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    1. Oui tu as tout à fait raison, malgré ce que raconte ce billet, il ne faut pas pour autant s'interdire de discuter certaines prescriptions.
      Ton témoignage illustre parfaitement le sujet, j'imagine que certains médecins se retrouvent inquiétés par l'ordre ou la justice dans ce genre de situation.
      J'ai un jour été le médecin A (et bien d'autres fois), je suis passé à côté d'un syndrome néphrotique. Le médecin B était une consoeur que je connaissais très bien : ma femme ;-) J'avais relaté ça dans un billet.

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  2. Belle observation.
    Deux remarques.
    La première : la valeur prédictive des maladies augmente avec le nombre personnes qui consultent le "malade". Ce qui devrait amener le deuxième, voire le troisième intervenant, à plus de modestie.
    La deuxième : le risque de confier un enfant de cet âge à un pneumopédiatre (pas à tous, je le précise) est qu'il prescrive un traitement de fond (flixotide) sans réévaluation subséquente.
    Le sur diagnostic et le surtraitement, voire le diagnostic par excès, sont des dangers importants.
    Bonne journée.

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    1. Je suis convaincu par tes remarques. Et pour préciser un peu, le traitement de fond n'a pas attendu le neuropédiatre pour être prescrit.

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  3. Salut,
    C'est totalement inadmissible, et je suis gentil, de prescrire flixotide au troisième épisode de "bronchite sifflante". L'homme qui tombe à pic est un khonnard fini.
    J'ose espérer qu'il a montré à la famille comment se servir du baby haler et qu'il ne s'en est pas débarrassé sur le pharmacien.
    Bonne journée.

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    1. Globalement, j’ai l’impression (je dis bien j’ai l’impression et rien de plus) que de nombreux enfants sont rapidement et très jeunes mis sous corticoïdes inhalés ou voire ET ! per os sur de courtes ou de longues durées et pour moins que ça. La nature (médicale) ayant horreur du vide, je me demande si c’est pas plus flagrant encore depuis l’interdiction des mucolytiques, fluidifiants et autres chez l’enfant de moins de 2 ans.

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