J’ai
pour habitude de mettre une pointe d’humour ou de dérision dans
chacun de mes billets, mais là, je n’essaierai pas, tout du moins
pas trop. Quoique, pourquoi pas ? Je vais aborder un sujet
grave, dramatique, qui met en émoi la population dès qu’un fait
divers est traité par les médias, avec cette même question qui
revient de façon plus ou moins sous-entendue et sous forme de procès
d’intention : « Mais que font les services sociaux ?! »
Mais
oui tiens, voilà qu’elle est bonne cette question, que font-ils ?
Qui sont-ils ? Où se trouvent-ils ? On y reviendra.
Il
y a quelques semaines, un reportage a été diffusé sur une grande
chaîne publique dans une célèbre émission, genre qui passe le
jeudi en prime time, abordant le sujet de la maltraitance à enfants.
Trois situations dramatiques ont été relatées, trois faits divers
atroces, trois enfants morts sous les coups ou la barbarie d’adultes.
A posteriori, les journalistes que l’on peut qualifier d’envoyés
spéciaux (si tu ne vois pas de quelle émission il s’agit, tu vis
probablement sur une autre planète) mènent l’enquête et
retracent le parcours de ces enfants jusqu’à leur dernier jour de
vie. Si tu as vu ce reportage sans avoir ressenti le moindre émoi,
ton cas est désespéré et désespérant. Tout est détricoté,
passé en revue, la vieille voisine qui n’a rien vu, rien entendu,
le pédiatre consulté peu de temps avant le drame, interrogé et
filmé en caméra cachée, l’assistante maternelle, et ces satanés
services sociaux… Mais que font-ils bordel de merde ?!
Paradoxalement,
l’autre phrase qui revient régulièrement avant le stade
dramatique, dans le contexte où l’on se questionne lorsqu’on est
préoccupé par un enfant que l’on soupçonne d’être en danger
est : « Roh ben non quand même, je ne vais pas alerter
les services sociaux, des fois qu’ils retirent l’enfant de sa
famille, hein, quand même, c’est pas la peine d’aggraver la
situation »…………..
Voilà
en gros, en résumant et caricaturant ce qui se passe souvent dans la
tête des gens, le grand paradoxe : « Le pauvre, si
j’alerte et qu’on le place, roh ben quand même », puis une
fois le drame arrivé et médiatisé « Putain de services
sociaux de mes deux ! »
Alors
si on avançait un peu ?
Les
services sociaux : Où ? Qui ? Quoi ? Comment ?
Des
services sociaux, y en a plein, y a un service social dans les
hôpitaux, dans les communes, à la sécurité sociale, etc… Donc
quand on parle des services sociaux, c’est vague. La DDASS ?
Non perdu, ça n’existe plus et même quand ça existait encore,
c’était plus ça. Tu entends pourtant régulièrement et peux même
lire dans certains journaux : « les enfants d’la
DDASS ». C’est faux.
Les
services sociaux en question sont (pour le moment encore mais ça
risque de changer : réforme territoriale oblige) les services
du Conseil Général. Le Président du Conseil Général est le pivot
de la protection de l’enfance. Par exemple et vraiment au hasard,
jusqu’en 2012 en Corrèze c’était M’sieur François Hollande.
Encore un autre exemple vraiment au hasard hein. Plouf plouf :
92. Dans le département des Hauts-de-Seine jusqu’en 2007, c’était
M’sieur Nicolas Sarkozy. C’est drôle le hasard ! Plouf
plouf.
Bon
en pratique, t’inquiète, c’est pas le Président du Conseil
Général en personne qui s’occupe de ça, il a un service dédié,
car vu qu’en plus d’être Président de CG il est souvent député
ou sénateur voire se prépare pour l’élection présidentielle
plus tout ce qu’on ne sait pas trop, il délègue. C’est bien
normal. Il y a donc au sein de chaque conseil général un service
dédié à la protection de l’enfance.
Mais
ce service (on parle plus de mission que de service) du Conseil
Général n’est ni la police ni la justice. Il ne met personne sur
écoute téléphonique, il n’installe pas de caméras chez les gens
pour surveiller ce qui s’y passe. Cette mission s’appelle l’Aide
Sociale à l’Enfance, ASE dans le jargon, à prononcer «AZEU».
Personnellement,
en tant que médecin, je n’ai pas le sentiment d’avoir été
beaucoup sensibilisé ni correctement formé durant mes études sur
le sujet de la maltraitance à enfant. On peut en conclure que je
n’ai pas été très studieux ou que je n’ai pas bien compris le
cours si cours il y eut mais en discutant avec des confrères formés
ailleurs, le sentiment semble plutôt partagé. Pendant longtemps,
les quelques notions que j’avais étaient qu’en cas de
maltraitance, il fallait avertir le Procureur de la République sans
tarder, point barre. Donc pour déranger ce grand monsieur moi qui
suis un grand timide, je me disais qu’il fallait un dossier
costaud, donc que l’enfant soit relativement bien amoché. M'enfin,
je n’allais pas le déranger pour pas grand-chose le Proc, voyons.
D’ailleurs, je me suis souvent demandé comment le joindre ce type.
Parce que dans l’affolement d’une situation d’enfant maltraité,
je me suis toujours dit que ça serait mieux d’anticiper et d’avoir
son N° sous le coude. Dans les pages jaunes à : Procureur de
la République ? Bref, je me suis souvent posé des questions,
je n’y ai jamais vraiment répondu et j’ai eu la chance de ne
jamais rencontrer d’enfants suffisamment amochés pour appeler le
Proc. Ou alors je suis passé à côté…
En
pratique, un médecin qui n’a quasiment aucun doute qu’un enfant
soit maltraité peut
DOIT (1)
le signaler, c’est un cas de dérogation au secret médical (2),
c’est le signalement (3). Pour
joindre le Procureur, il suffit d’appeler le tribunal le plus
proche ou encore la police qui communiquera le N°. Finalement c’est
assez simple. Sauf que ça, c’est la situation extrême, et fort
heureusement pas la plus fréquente.
Il
y a toutes ces situations où « p’t’ête bien qu’oui mais
p’t’ête bien qu’non ». Ces situations où l’on se pose
la question, on connaît la famille, ses difficultés de tout type,
ces situations où le papa est lui-même toubib, la maman avocate,
alors quand même, pas eux, c’est pas possible, c’est que chez
les « cas sociaux » normalement... Toutes ces situations
où le môme n’est pas physiquement fracassé mais où on est tout
de même préoccupé. Pour tout ça, à partir du moment où on se
pose la question, on peut faire appel aux services des conseils
généraux pour communiquer une information préoccupante. Dans
chaque département, il y a une cellule de recueil, de traitement et
d’évaluation des informations préoccupantes. En fonction des
éléments transmis, les professionnels de l’Aide Sociale à
l’Enfance (principalement éducateurs spécialisés et assistants
sociaux) iront évaluer la situation. Si finalement aucun élément
inquiétant n’est relevé, il n’y aura aucune suite. En cas de
difficultés, ils proposeront différents types d’aides notamment
éducatives. En cas de difficultés avérées mais refus des aides
proposées, aucune adhésion de la famille, ou encore en cas de
danger avéré et plus important que ce que ne pouvait laisser
entendre l’information préoccupante initiale, la justice est
saisie. C’est à elle que revient l’éventuelle décision de
placement.
Le
signalement au Procureur comme la transmission d’une information
préoccupante au Président du Conseil Général ne débouche donc
pas systématiquement sur le placement de l’enfant mais plus
souvent sur des propositions d’aides. Il faut également savoir que
le professionnel à l’origine d’une de ces deux procédures
(transmission d’un signalement ou d’une information préoccupante)
doit en informer les détenteurs de l’autorité parentale sauf s’il
évalue que cela pourrait aggraver la situation.
Pour
faire le parallèle avec un truc bien concret, nous les toubibs on
aime le concret, c’est un peu comme l’infarctus du myocarde. Tu
es sûr et certain qu’un patient présente un infarctus, ou tu le
suspectes fortement, tu ne chipotes pas pendant des plombes, tu
appelles le 15 et roulez bolides ! Si en revanche, tu n’as pas
d’éléments objectifs et nets, tu es certain qu’il ne fait pas
un infarct mais que quand même, il a des risques, tu ne le sens pas,
ben oui parfois en médecine c’est un peu ça, y a des trucs que tu
sens et des trucs que tu ne sens pas, « c’est p’t’ête pas
pour tout de suite mais y a des petits signaux d’alarme et si ça
continue ça pourrait bien lui tomber derrière les oreilles »,
tu évalues ces risques, tu peux l’envoyer chez le cardio pour
affiner le problème, confirmer ou infirmer tes préoccupations, et
mets tout en place pour éviter qu’il n’en présente un un jour
en cas de risques avérés. Parfois, le mec pour lequel tu as appelé
le 15 tellement tu étais sûr de toi ne va pas si mal, il ne se
retrouve pas forcément en soins intensifs de cardio. Au contraire,
il arrive que le type adressé sans urgence chez le cardio qui n’a
rien trouvé soit rassuré mais fasse son infarct sur le paillasson
en sortant du cabinet de cardiologie. Voilà un très grossier
parallèle histoire de simplifier ou sentir le truc afin de
comprendre la différence entre le signalement et l’information
préoccupante.
Pour
le commun des mortels et afin de ne pas s’embrouiller l’esprit
avec ces différentes procédures qui sont plutôt destinées aux
médecins ainsi qu’à tous les professionnels de l’enfance, on ne
compose pas le 15 lorsque l’on est inquiet ou que l’on est témoin
qu’un enfant est en danger, le seul N° à retenir est le 119 (4).
Voilà
de façon simplifiée comment ça se passe :
Pour
les professionnels de l’enfance en fonction de leur organisation
propre et de leur hiérarchie et pour les médecins :
-Enfant
en danger (y a pas à chier, il faut le protéger) = signalement au
Procureur (justice)
-Enfant
possiblement en danger (oui mais non enfin peut-être) = information
préoccupante (Conseil Général)
Pour
tous les autres citoyens et toutes les situations = 119
Et
si malgré tout tu te mélanges les pédales, c’est pas bien grave
car Procureur/Conseil Général/119 communiquent entre eux et peuvent
rectifier le tir.
Évidemment,
en pratique, l’histoire n’est pas si simple et dès qu’un drame
survient les «services sociaux» sont régulièrement
pointés du doigt. Premièrement, il ne faut pas oublier que la
protection de l’enfance est l’affaire de tous, professionnels et
citoyens. Ne pas signaler par crainte de placement semble être un
écueil fréquent. Il peut donc être utile d’avoir en tête que le
placement est loin d’être systématique, et si c’est le seul
moyen pour protéger un enfant, eh ben voilà, c’est comme ça. Un
placement n’est pas figé dans le marbre, il n’est pas forcément
permanent encore moins définitif même si parfois il peut l’être
ou le devenir. Il peut être proposé par l’Aide Sociale à
l’Enfance mais est ordonné par la justice. Ensuite, comme dans
tous les autres domaines, tout cela nécessite de l’argent et des
moyens… Quand l’évaluation de la situation débouche sur une
proposition d’aide éducative acceptée par la famille mais que les
délais de mise en place de cette aide sont de 6 mois, ça craint.
Quand un placement est ordonné mais que faute de place, le bout d’
chou se retrouve bringuebalé d’abord dans un foyer d’accueil,
puis chez une assistante familiale de secours en attendant de trouver
la famille d’accueil définitive, c’est archi nul pour
ne pas dire maltraitant.
On peut aussi avoir l’esprit mal placé comme je l’ai pour faire
la réflexion de la guéguerre des financeurs de toute cette
histoire. La justice c’est le budget de l’Etat, l’ASE c’est
le budget du Conseil Général, les deux services doivent bosser main
dans la main avec une des mains sur le cœur pour protéger au mieux
les enfants, mais quand même, quand c’est l’autre qui paye,
c’est mieux. Je sais, c’est nul d’avoir l‘esprit mal placé,
mais ceci n’est qu’une simple réflexion très probablement bien
éloignée de la réalité. Alors occultons l’aspect financier de
cette histoire…
Une
fois de plus on peut faire le parallèle entre ces dysfonctionnements
et certains délais de prise en charge médicale ou le manque de
places dans certains services hospitaliers sans parler ô grand dieu
de l’aspect financier de la santé puisque nous venons de dire que
mieux valait l’occulter pour la protection de l’enfance donc
occultons. On pourrait hurler : « Mais que font les
soignants de ces services hospitaliers bordel ! ». Ben
dans la majorité des cas ils bossent et font ce qu’ils peuvent
non ? Donc à l’ASE (AZEU !) c’est pareil. Les agents
bossent et font leur possible pour éviter le pire avec les moyens et
les délais dont ils disposent, et les informations qu’on leur
donne, quand on leur donne…
Quelques
liens et références sur ce sujet pas très marrant mais tellement important :
- (1)
Obligation déontologique pour le médecin de signaler un enfant en
danger :
article 44 du code de déontologie médicale
- (2)
dérogation au secret médical : article 226-14 du code pénal
- (3) modèle de signalement établi par le Conseil National de l'Ordre des Médecins
- (4)
le 119 : allo 119
- loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance complétée par la loi de mars 2016
-
Observatoire
National de l’Enfance en Danger : ONED
Merci à Agathe Lemoine, psychologue de l'association L'enfant bleu qui m'a permis de découvrir d'autres liens intéressants ici et de rappeler que la Haute Autorité en Santé a planché sur le cas particulier du repérage et signalement de l'inceste par les médecins.
Ajouté le 18/11/2014 : Recommandation HAS : Maltraitance des enfants y penser pour repérer, savoir réagir pour protéger
Merci à Agathe Lemoine, psychologue de l'association L'enfant bleu qui m'a permis de découvrir d'autres liens intéressants ici et de rappeler que la Haute Autorité en Santé a planché sur le cas particulier du repérage et signalement de l'inceste par les médecins.
Ajouté le 18/11/2014 : Recommandation HAS : Maltraitance des enfants y penser pour repérer, savoir réagir pour protéger
Et les services sociaux sont complètement débordés, leur agents sont en burn-out, et un ado s'est suicidé dans la région, faute de dossier correctement et rapidement géré. Ils croulent sous la paperasse et tous les nouveaux dossiers, suite à la crise. ils sont en situation de survie. Les directeurs envoient même des circulaires "la situation est préoccupante". Alors on fait tous ce qu'on peut.
RépondreSupprimerJe conseille à chaque médecin un rapprochement ( informel, car l'aide sociale à l'enfance cultive le secret vis-à-vis du médecin traitant) avec les services sociaux.
Personnellement, après de nombreux essais pour appeler le 119 après avoir vu une petite fille clairement maltraitée par sa maman (au point qu'elle a failli se faire tuer devant mes yeux en faisant une chute de plusieurs mètres si un ouvrier n'avait pas été à côté pour la retenir in extremis), il m'a été IMPOSSIBLE de joindre le service. La standardiste qui filtre les appels à fini par me dire que je perdais mon temps car de toute façon ils n'avaient pas assez de monde pour ne serait-ce que prendre note des appels. Voilà voilà. (mais je précise que je ne suis pas du corps médical, juste une passante témoin de souffrance)
RépondreSupprimerBonjour, en effet, si c'est ce qu'on vous a répondu, c'est assez flippant. Il est vrai que mon billet n'est pas exhaustif, j'imagine que la situation que vous décrivez méritait d'alerter la police plutôt que le 119 ?
SupprimerC'est alarmant vraiment ça me fait froid dans le dos. La maltraitance n'est pas un phénomène pris au sérieux par les services responsables. Je pense que la première chose à faire est d'interpeller le parent violent. Sans agressivité dans menaces. Tenter de voir s'il est possible de le ramener à la raison et en tous cas, faire comprendre qu'on 'sait' et qu on est prêt à en parler bref, que c'est fini l'impunité dans laquelle l'enfant est maltraité...
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