mardi 13 septembre 2016

LE SLALOM DES TOUBIBS ?




Il m’arrive régulièrement comme à tous médecins je pense, de ressasser certaines consultations.

Il y a bien sûr les doutes et les questions sur ce qu’on a fait, ou pas fait, dit ou pas dit, dû ou n’aurait pas dû dire.

Certains patients réussissent parfois à nous désarçonner avec des questions que l’on n’a pas anticipées et dont les réponses ne se trouvent pas forcément dans les bouquins de médecine. Alors le toubib qui s’abaissera rarement à répondre qu’il ne sait pas se met à broder, inventer, improviser une réponse. Il slalome entre ce qu’il a appris, entendu ici ou là, vécu personnellement, pour éviter la sortie de piste. Allez les toubibs, reconnaissons-le, cela nous est tous arrivé au moins une fois durant notre carrière non ? C’est ainsi que la réponse improvisée (et dans le meilleur des cas vérifiée ultérieurement) vient enrichir notre expérience professionnelle puis pourra éventuellement resservir face à une situation similaire.

Mais en y regardant de plus près, il y a tout le reste sur lequel on ne se pose aucune question, persuadés que nous sommes de faire ou répondre exactement ce qu’il faut. Un peu comme ces mauvais réflexes de conduite acquis à la longue sans en être conscient. C’est pourquoi j’avais envie de revenir à froid sur cette consultation.

C’est un bébé né prématurément que je reçois ce jour-là. Il s’agit d’une consultation de pédiatrie et de vaccinations. L’enfant est né très exactement à 32 semaines d’aménorrhée (SA) et 5 jours (normalement et théoriquement une naissance à terme a lieu à 41 semaines d’aménorrhée à quelques brouettes près).

J’avais reçu depuis un moment le compte-rendu du service de réanimation pédiatrique dans lequel le bambin avait été hospitalisé à sa naissance. Ce sont en général des courriers bien détaillés de plusieurs pages. Je l’avais lu en diagonale puis rangé avant de le relire plus sérieusement au moment de la consultation en slalomant assez furtivement entre le résultat du pH artériel ombilical à la naissance et autres données bien trop compliquées pour moi. Je me suis en revanche arrêté un temps sur le schéma vaccinal préconisé par cette lettre du confrère que je rapporte ici :

« Prévoir un schéma vaccinal hexavalent et Prévenar à 2, 3 et 4 mois (<33 SA) »

Le vaccin hexavalent est le vaccin tout en un contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, le germe haemophilus influenzae b, et l’hépatite B.

Le vaccin Prévenar est celui destiné à lutter contre les types de pneumocoques les plus méchants.

Chez un bébé né à terme, depuis 2013 il est préconisé de débuter ces vaccinations par une injection à 2 puis 4 mois alors qu’auparavant on réalisait également une injection à 3 mois, soit 2, 3 et 4 mois.

Depuis 2013, je savais que pour le vaccin Prévenar, il était préconisé de réaliser une injection à 2, 3 et 4 mois chez les enfants nés prématurément (avant 37 SA). Soit de réaliser le schéma qui concernait tous les bébés indépendamment de leur terme comme cela se pratiquait avant 2013. Vous me suivez ? Vous faites le lien avec le titre du billet ? Le slalom, la sortie de piste, c’est plus clair ?

Eh bien moi, en lisant la préconisation hospitalière, je me rendais compte que j’étais sorti de piste depuis plusieurs années car je ne savais pas que pour les enfants nés avant 33 SA il était nécessaire de réaliser également une injection d’hexavalent à 3 mois (ou de pentavalent si on informe et qu’on laisse le choix aux parents de ne pas vacciner leur enfant contre l’hépatite B et que ce vaccin est disponible).




Même s’il n’y a pas mort d’homme (quoique imaginons que l’enfant fasse une coqueluche cognée au point de se retrouver en réanimation alors que je n’ai pas suivi la préconisation hospitalière), c’est assez déstabilisant de se rendre compte en pleine consultation que l’on est sorti de piste depuis un long moment. Oui car mon premier réflexe a été de me dire :

 « Oh ben merde alors ! Je ne connaissais pas cette recommandation et même si je ne vois pas des bébés prématurés de moins de 33 SA tous les jours, il n’est pas impossible que certains soient passés à l’as de cette injection à 3 mois. Je suis un nul, s’ils s’en rendent compte, les parents vont me prendre pour un nul, et si les enfants en question sont revus par un pédiatre hospitalier, ce dernier va me prendre en toute confraternité pour un nul. »

Et puis cela renvoie également à tout le reste, tous ces domaines de la pratique médicale que nous pensons maîtriser alors qu’il n’est pas impossible que nous ne soyons pas dans les clous.

Sorti de la piste du slalom, turlupiné mais pas encore totalement découragé je me suis mis à surfer.

Je suis vite allé surfer sur le net histoire de voir de quand datait cette fichue recommandation vaccinale.

Je suis tombé d’emblée sur le site de ce que l’on appelle en médecine une société savante : la Société Française de Pédiatrie. A la lecture de l’article spécifiquement dédié à la vaccination des enfants prématurés ici, plus précisément à la lecture de cette partie


je me suis un peu plus enfoncé de honte dans mon fauteuil.

Avec un courrier de grands spécialistes d’un grand hôpital universitaire où l’on apprend la médecine aux bébés médecins, qui préconise ce schéma vaccinal, conforté d’un article publié sur le site d’une société de « savants », j’aurais pu stopper les frais à ce stade de ma descente et plier les gaules aussi sec.

Mais l’article me semblant trop peu étayé de références, j’ai repris le surf.

J’ai alors trouvé une autre recommandation émanant du Haut Conseil de la Santé Publique mise en ligne en juin 2015 et intitulée : "Recommandations vaccinales pour les enfants nés prématurés" consultable ici .

Voici sa conclusion :

« Le HCSP estime qu’il n’existe pas à ce jour de données épidémiologiques justifiant de recommander un schéma vaccinal renforcé pour l’immunisation des nourrissons nés prématurés contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche et les infections à Haemophilus influenzae b.
La priorité est de débuter la vaccination de ces nourrissons à l’âge de 8 semaines de vie. »

Comme quoi ça vaut le coup de surfer et slalomer entre différents articles puisque ce dernier venait de pointer que je n’étais finalement par chance pas tant à la ramasse que ça.

Mais alors qui croire et surtout que faire ? Appliquer la règle du « ni-ni » ? Ne pas choisir d’injecter la dose de vaccin penta ou hexavalent à 3 mois sans pour autant l’injecter nous mènerait alors à administrer une demi-dose dudit vaccin. On voit bien là les limites de la règle du ni-ni…

Et imaginons un instant que nous décidions d’impliquer les principaux intéressés dans cette histoire que sont les parents de l’enfant et ainsi il faut bien l’admettre se défiler en douceur.

« Alors les parents, voilà, concernant ce vaccin, les pédiatres de l’hôpital ainsi que les savants disent cela, les experts des autorités officielles disent l’inverse, moi au milieu je peux choisir de vous laisser choisir en sachant qu’il ne me paraît pas sérieux de ne pas choisir puisque faire une demi-dose de vaccin n’a à mes yeux ni queue ni tête (le ni-ni) ».

Questions :

Faut-il donner tous ces détails au patient ou aux parents ?

Faut-il toujours chercher ce fameux consentement pour tous nos actes ? N’y aurait-il pas un juste milieu entre « le jamais pour rien » et « le toujours pour tout » ?

Toujours est-il que je tairai ce que j’ai fait car je suis loin d’être exemplaire et je n’ai absolument pas envie de me faire tailler un costard.

Pour conclure :

-l’exercice de la médecine est grosso modo une histoire de slalom entre les connaissances et les expériences du médecin, entre les connaissances, expériences et choix des patients, entre les articles, les études, les comptes-rendus et avis de spécialistes. C’est donc bel et bien le slalom des toubibs qui même si ça ne se voit pas passent finalement pas mal de temps à tordre du cul.

-même si c’est difficile, peu valorisant, absolument pas valorisé, il semble utile d’envisager avoir tort là où on est persuadé d’avoir raison tellement on croit maîtriser le sujet finger in the nose.

- ce qui est assez drôle c’est que je ne serais pas étonné d’apprendre que certains auteurs de l’article de la Société Française de Pédiatrie aient contribué à la rédaction de celui du Haut Conseil de la Santé Publique, donc que le sujet ne soit pas si clair que ça même chez les experts. Encore une histoire de slalom entre le oui, le peut-être, le en fait non, à moins que et c’est sans doute là l’essentiel : évoluer grâce aux doutes et aux questionnements en espérant qu’ils soient uniquement guidés par l’intérêt des patients mais ça c’est une autre histoire.

- enfin, rien ne sert de surfer, il faut surfer à point ! 



7 commentaires:

  1. Cher Sylvain, beau retour sur une consultation et tes réflexions qui ont suivi.

    Mais je trouve que tu es un peu "court" sur les "connaissances".

    D'où viennent-elles ces connaissances ?
    Qui les a "forgé" ?
    Avec quelles influences ?
    Tu cites une société savante et tu n'évoques pas les "partenaires", pourquoi ?
    Je viens de faire une recherche sur le site et cela n’apparaît pas de façon évidente.
    Je me suis donc concentré sur la présidente : Le Pr CHABROL Brigite de Marseille.
    Une recherche rapide sur : https://www.transparence.sante.gouv.fr/flow/main?execution=e3s1
    me fait découvrir qu'elle reçu entre 2012 et 2016 plus de 53 avantages en natures pour plusieurs milliers d'euros dont deux de 1600 euros et ce ne sont que les avantages en nature.
    Elle possède sur la même période 28 conventions avec de très nombreux "partenaires" dont on ne connaît pas les montants mais que l'on peut supposer sans réelle comparaison avec pourtant les quelques milliers d'euros des avantages.

    Donc difficile pour les médecins que nous sommes d'avoir une vision indépendante des recommandations et comme tu l'écris de savoir ce qui est uniquement dans l'intérêt du patient.

    Bien amicalement

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  2. « Oh ben merde alors ! Je ne connaissais pas cette recommandation et même si je ne vois pas des bébés prématurés de moins de 33 SA tous les jours, il n’est pas impossible que certains soient passés à l’as de cette injection à 3 mois. Je suis un nul, s’ils s’en rendent compte, les parents vont me prendre pour un nul, et si les enfants en question sont revus par un pédiatre hospitalier, ce dernier va me prendre en toute confraternité pour un nul. »

    Avertissement : je ne suis pas une régulière de ce blog, je ne vous connais pas, ma lecture est dont très "premier degré"
    J'avoue que j'ai été interpellée par le fait que votre préoccupation aille davantage vers votre réputation, la peur d'être pris pour un con, que vers le bien-être de vos petits patients non vaccinés alors que la recommandation était de le faire, ce que vous ignoriez. "Je vais être pris pour un con" versus "Et s'ils tombaient malades par ma faute ?" Mais comme je le disais, je ne vous connais pas, et il se peut que cela ait été tellement évident dans votre esprit et dans celui des lecteurs qui vous connaissent qu'il ait été totalement inutile de le préciser. Moi, cela m'a choquée. Voilà. Respectueusement.

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    1. Bonjour,
      Merci d’avoir commenté. Vous avez bien fait d’exprimer votre ressenti. Toute critique est bonne à prendre et je réfléchirai encore plus avant d’écrire. Je suis complètement d’accord avec vous, c’est l’intérêt du patient qui doit primer avant la réputation du médecin. Mais juste avant d’écrire « je suis un nul », j’ai commencé par « même si je ne vois pas des bébés prématurés de moins de 33 SA tous les jours, il n’est pas impossible que certains soient passés à l’as de cette injection à 3 mois ». Et encore avant cela, quelques lignes plus haut, vous pouvez lire : « imaginons que l’enfant fasse une coqueluche cognée au point de se retrouver en réanimation alors que je n’ai pas suivi la préconisation hospitalière ».
      Ne peut-on pas penser que j’ai bien exprimé ici ma préoccupation envers le patient avant ma réputation ?
      Par contre, je ne sais si vous êtes soignante ou maman, mais je suis très contrarié par le fait qu’au final vous ayez compris que cette vaccination à 3 mois devait être faite alors que selon les recommandations officielles du HCSP elle n’a pas à l’être. Pour en savoir plus sur la Société Française de Pédiatrie, je vous invite à lire le commentaire qui précède le vôtre. Et pour comprendre la critique sous-entendue dans mon propos, vous pouvez lire les 2 commentaires qui suivent le vôtre. Voilà ce qui me choque moi en tant que médecin qui essaie à son modeste niveau de résister et d’ouvrir les yeux sur ce que dénoncent ces médecins dans le seul intérêt du patient justement.
      L’idée de ce billet était d’embarquer le lecteur en slalomant entre les doutes, réflexions, questions, recommandations plus ou moins recommandables, ressentis du médecin durant une consultation. Je n’ai manifestement pas réussi à vous faire slalomer avec moi et mon second degré mais j’espère que les commentaires vous auront éclairée. N’hésitez surtout pas à émettre d’autres critiques, elles seront les bienvenues et toujours publiées.
      Cordialement.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. Salut.
    Cette histoire est celle, éternelle, de l'hyper spécialisation, de l'auto croyance des hyper spécialistes en leur propre infaillibilité, à leur perte des repères, à leur haine de l'EBM (puisqu'ils savent mieux que les essais contrôlés qu'eux-mêmes truquent), à l'influence des officines pharmaceutiques et à la perte du professionnalisme et du bon sens clinique (qui n'est bien entendu partagé que par les hyper spécialistes). Mon expérience de l'élevage des enfants et des recommandations médicales s'y référant depuis 37 ans m'a appris que les virages à 180 degrés sont légions (tu avais parlé ici du mortel couchage des nourrissons)et notamment en nutrition et en pédoallergollogie (sic). Pour ce qui est des doses de vaccin, personne n'en sait rien et les changements récents de recommandations ne l'ont pas été pour des raisons scientifiques mais pour des raisons d'agenda politique.
    te casse pas la tête. J'explique aux patients que tout change tout le temps et pas seulement en raison des données de la science, si les parents ont plusieurs enfants je leur demande de se rappeler les conseils contradictoires qu'on leur a donnés ou je leur rappelle quel fut leur propre élevage.
    Bonne journée.

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  5. Bonjour,
    Les avis des sociétés savantes diffèrent souvent des avis des autorités et des task force ou comités d’experts indépendants et cette différence va souvent, si ce n’est toujours, dans le sens de plus de médicalisation demandée par les sociétés savantes.
    Cela est apparu dans les récentes affaires du dépistage du cancer de la prostate et dans le scandale des opioïdes aux USA où les avis des task forces se sont opposés à ceux des sociétés savantes. Dans le cas des opioïdes il est clairement évoqué que les membres des sociétés savantes ont été payés pour diffuser des fausses informations encourageant la prescription indiscriminée. Cela se voit aussi avec le dépistage du cancer de la prostate en France, pour lequel l’avis de la HAS diverge de celui de la société française d’urologie.
    MG le dit, ce qui est en question sont les conflits d’intérêts financiers, notamment, personnels et aussi le financement de ces sociétés savantes. Mais aussi les conflits d’intérêts découlant d’une perte de chiffre d’affaires pour les spécialistes.
    Pour la question du timing des calendriers vaccinaux il apparaît que ce sont des décisions largement arbitraires avec un faible niveau de preuve voire une absence totale de preuve. Il y avait eu un débat dans le BMJ sur ce sujet avec Tom Jefferson, de la Cochrane face à quelqu’un qui pratiquait la langue de bois expertale http://www.bmj.com/content/352/bmj.i867 .
    Pour ce qui est de la « posture « du médecin sachant, je crois que j’ai enfin acquis assez de confiance en mon savoir et assez de certitudes sur mon ignorance pour ne pas me sentir obligée de dire que je sais aux parents qui me posent des questions.
    Ca m’arrive de leur dire, quand ils insistent trop : « je n’ai pas de boule de Crystal ».
    Quelle libération ! Quel gain de temps et d’énergie, que je peux enfin employer à dialoguer et puis à apprendre des choses qu’il est utile d’apprendre.

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  6. Le calendrier vaccinal varie beaucoup, même d'un pays d'Europe à un autre. Il y a par exemple ici http://www.eurosurveillance.org/images/dynamic/EM/v03n10/v03n10.pdf un comparatif intéressant pour la diphtérie.

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