vendredi 22 janvier 2016

PARADE DOCS

 
 
Durant les fêtes de fin d’année, j’ai eu la visite de ma belle-sœur, son mari, mon neveu et mes trois nièces. Ils vivent près de Londres, mon beau-frère est Anglais. Mes visiteurs British ont investi les lieux pour quelques jours. Durant ce séjour, d’autres convives ont pu apercevoir, posé sur un meuble du séjour, un livre écrit en anglais.
 
Nous étions dix sous le même toit. Quatre Français et demi, cinq Anglais et demi, ma belle-sœur étant quasiment Franglaise. Il y avait donc statistiquement plus de chances que le livre soit lu du côté anglais. On pouvait d’ailleurs occulter les statistiques et en tirer dès ce stade de réflexion la conclusion suivante : Un livre écrit en anglais par une Ecossaise dans un lieu où sont rassemblés plusieurs Anglais ne peut qu’appartenir à un Anglais. C’était sans compter sur certains paradoxes.
 
« Experts can be a source of bias simply because they are experts »

Du côté des quatre Français, il y avait deux enfants trop jeunes pour lire ce type de livre et de toute façon trop jeunes pour lire un pavé de 300 pages en anglais. Ce qui faisait du 5 ½ / 2 ½ pour l’Angleterre.
 
Ajouté à cela que mon niveau d’anglais est largement moins bon que celui d’un ancien président énervé en visite à Jérusalem il y a une vingtaine d’années :
On tombe à Angleterre : 5 ½ / France : 1 ½

 
J’ai fait anglais première langue non-stop de la sixième à la terminale, soit sept ans.

 
J’ai validé l’épreuve d’anglais au bac.

 
J’ai fait de l’anglais médical en première année à la fac de médecine avec épreuve au concours.

 
J’ai queuté la première année, donc j’ai refait une première année avec de l’anglais médical et re-concours.

 
J’ai gagné.

 
J’ai continué l’anglais médical jusqu’en cinquième année de médecine, soit sept ans + six ans = treize ans d’anglais dont six d’anglais médical pour arriver au constat implacable que je suis une brelle en anglais. Toutes ces années (plus que mes études de médecine) pour un tel résultat, c’est con hein. D’autant que pour se tenir informé dans de nombreux domaines mais notamment en médecine, le fait de lire et comprendre aisément l’anglais facilite grandement la tâche.
 

« Some doctors had built their professionnal lives around PSA screening. They had everything to lose from denouncing –or even expressing doubts- about a test that was their bricks and mortar. »



Donc nous avons vu que le livre posé sur un meuble de mon séjour a statistiquement plus de chances d’être lu par un des cinq Anglais et demi. Nous avons compris que malgré le nombre d’années, je suis une buse in english même si je m’efforce de lire de temps à autre un ou deux articles de médecine dans cette langue.



« The only fertility test that really counts is having sex. »



Paradoxalement, c’est bel et bien moi qui lisais ce livre. Je crois même que je l’ai compris. Il faut dire que j’en étais probablement une victime idéale. Celui qui m’a conseillé de le lire ne s’est pas trompé et je l’en remercie publiquement. Peut-être même qu’en chinois ou en russe, j’aurais réussi à comprendre l’esprit de ce livre tellement il me parlait.



« I truly believe that without acting on the evidence it’s easy to harm, maim or kill patients, even when you think you are doing good. »



Avec mon beauf Anglais, entre deux cuisses de dinde de Noël et trois verres de vin, on a parlé. On a parlé politique, David Cameron / François Hollande, foot, Chelsea / PSG, rugby (dont les fabuleuses prestations de nos équipes respectives lors de la dernière coupe du monde), bière, des trucs de beaufs quoi. Mais on a aussi parlé médecine, système de santé, NHS (National Health Service), GP (General Practitioner : médecin généraliste en anglais), etc…
 
Lui, il n’est pas du tout dans le monde de la santé mais ça m’intéressait d’avoir sa vision de patient anglais. Moi, j’ai un petit orteil dans le monde de la santé et pour de rire, je le toisais en affirmant haut et fort qu’en France on a le meilleur système de santé au monde.

« Real life medicine is not a ‘point in time’, paper-based exercise. It is a relationship flowing over months and years. »
 
Pour lui prouver, je lui ai redemandé de me préciser son vécu de patient durant l’épisode de grippe H1N1 d’il y a quelques années.

« Who decides what doctors do : pharma, politicians or patients ? »

Alors en Angleterre, d’après un patient anglais, mon beauf, lorsque tu présentais des symptômes de grippe pendant la fameuse pandémie de 2009, tu devais téléphoner à un numéro précis pour répondre à un questionnaire. En fonction des réponses, à la fin de l’interrogatoire, sans aucun examen clinique, tout se faisant à distance, sans médecin et par téléphone, on te disait si tu devais ou non prendre du Tamiflu. Si oui, on te donnait un code un peu comme quand tu dois changer ta box, ce code permettant d’aller te faire délivrer ta dose de Tamiflu.

« As a medical student and then junior doctor, I had a happily innocent view on healthcare charities. »

Évidemment moi, médecin français, je me suis ré-offusqué en entendant qu’une prescription de Tamiflu puisse se faire par simple appel téléphonique sans interrogatoire ni examen clinique réalisés par un médecin. C’était peut-être le moyen qu’ils avaient trouvé là-bas outre-Manche pour limiter la consommation de Tamiflu à tout-va. Mais moi, médecin mesquin, je me suis demandé si tu ne gagnais pas le gros lot à chaque appel et que quelles que soient les réponses, on te délivrait le code magique pour vendre un max de doses de Tamiflu.

« Money. Where it comes from is important…… We are not good at telling when we are influenced. »

Pour illustrer notre meilleur système de santé au monde, j’ai re-raconté l’œuvre bachelorette de notre Roselyne alors ministre de la santé qui commandait pendant ce temps-là des cargos de vaccins à disperser dans les vaccinodromes alors qu’il était déconseillé de regrouper de nombreuses personnes en un même lieu. Le meilleur système de santé au monde !... Tout dépend de quoi, de qui et de quand on parle en fait.



« Medicine likes to think of itself as a useful and powerful force for good. But you have to know that you really are good. »



Pour nous remettre de nos émotions et faciliter notre digestion, mon beauf et moi on s’est enfilé un trou normand.



« It is easier to do things than not do – harder to sit on hands than it is to write a prescription. »



Ensuite, mon beauf a tenté de me réexpliquer l’organisation de la médecine générale en Angleterre, le National Health Service (NHS), l’hôpital. Le tout enrichi des réflexions de ma belle-sœur qui sait comment ça fonctionne en France tout en étant maman de quatre enfants en Angleterre donc susceptible d’avoir eu recours de temps en temps à la médecine. Premier point et non des moindres, d’après ce que j’ai compris (je rappelle qu’il s’agissait d’un repas familial arrosé), en Angleterre, pays me semblant plus libéral que la France, les médecins généralistes ne sont pas payés à l’acte. Ils sont souvent regroupés au sein de structures avec des « nurses », certains médecins pouvant avoir des parts de la structure, d’autres pouvant en être salariés. Je ne sais pas si c’est bien, mieux, ou pire qu’en France, mais apparemment ça marche ainsi. Pour faire simple alors que c’est compliqué, les médecins sont rémunérés non pas à l’acte mais en fonction du nombre de patients inscrits auprès du cabinet et d’un certain nombre de critères comme les vaccinations effectuées, les frottis de dépistage réalisés etc… Plus grand est le nombre de critères atteints, plus importante est la somme d’argent versée au cabinet de GPs.



« The autority of medicine enjoys displays of instruction and activity, it is so much harder to question and doubt it. »



Mais le patient anglais n’honore pas le GP par le versement de quelques livres en fin de consultation comme le fait le patient français avec ses euros même si la transaction ne devrait presque plus se voir d’ici quelque temps lorsque le tiers-payant imposé entrera en fonction, ce qui selon certains fonctionnarisera les médecins libéraux français, peut-être les mêmes qui disent que les GPs sont des fonctionnaires. La réalité me semble plus complexe, ces raccourcis devant sans doute être allongés de quelques nuances.



« Our perceptions of what might harm or maim us become skewed instead by what is popular. »



Remettons-nous du côté du consommateur patient anglais, mon beauf. Lui et ma belle-sœur pouffèrent de rire lorsqu’on relata qu’en France on court encore trop souvent, non le verbe est faible, on sprinte chez le MG pour des pathologies bénignes comme des rhinopharyngites ou des gastroentérites. Voire on jaillit des starting block au premier gargouillis intestinal, à la moindre microgoutte au nez, au cas où des fois que parce que ça tombe toujours sur les bronches et y a le baptême de la nièce ou le week-end au ski (Quand j’écris ça, je n’incrimine pas les patients, nous médecins avons notre large part de responsabilité dans ce constat).



« I believe it’s important that doctors act as profesionnals who can put aside self-interest and vested interests in order to serve patients well. »



Le plateau de fromages qui puent est arrivé au milieu de notre discussion sur les vaccinations, l’otite, l’angine, la vitamine D chez l’enfant et les antibiotiques. Mon beauf a dit un truc du genre et avec l’accent British : « mes quatre enfants ont souvent été malades mais ont rarement pris des antibiotiques, je pense qu’en France ils en auraient eu beaucoup ». Moi j’ai fanfaronné « mais non puisque je te dis qu’on a le meilleur système au monde, we are the best of the world, we are the world, guy ! » même si dans ma tête je pensais à ces litres d’antibio déversés chaque jour dans les gorges des gamins pour trois fois rien sans parler des pelles à charbon de cortisone que nos petites trognes se mangent dès que ça tousse un peu.



« I have vague ambitions of opening, one day, an evidence-based pharmacy »

« Most pharmacies contain far, far, more. »

« Lots of stuff you see heaving on pharmacy shelves is not there because it has been evidence approved. »



Mon beauf ne comprenant pas que nous en France nous mangeons du fromage moisi comme le Roquefort, on est vite passé au dessert en faisant un petit détour par un trou bourguignon histoire d’accorder nos cornemuses avec la Normandie et fighter une ou deux éventuelles Listeria blotties dans un Epoisses (la prévention, y a que ça de vrai…). Lui et ma belle-sœur ont fini par lâcher qu’en Angleterre, quand on est vraiment malade, qu’on a vraiment besoin de médecins pour des trucs pas cool, c’est pas si rose que ça.



« The more likely you are to need help, or to benefit from medical care, the less easy it is to access it. »





CONCLUSION :

 
Voilà. J’aurai réussi à écrire tout un billet sans queue ni tête en survolant le cœur du sujet initial. J’aurai partagé quelques bribes de conversation et quelques plats de mon menu de fêtes lors de la visite de mon beauf anglais. J’aurai esquivé, brodé, théâtralisé.



« Medical ethics needs separation from tansient political will. »



En résumé, j’ai fait le doc, j’ai paradé, j’ai fait la parade du doc sans vraiment parler du fond de ce livre : The patient paradox de Margaret McCartney. Un livre fouillé, argumenté, éclairant, une sorte de No mammo de Rachel Campergue mais qui balaie plus largement de vastes domaines de la médecine générale. Je n’aurai pas parlé de ce qui m’a le plus estomaqué, ce que le docteur McCartney écrit sur le frottis cervico-vaginal, sur l’autopalpation mammaire, et sur bien d’autres thèmes.



« The patient paradox : the less ill you are, the more care you get. »



Beaucoup de choses ont déjà été très bien détaillées ici chez le doc du 16.



« Good choices need good information. »



L’objectif de ce billet n’est autre que d’encourager la lecture de cet ouvrage indispensable pour les curieux et ceux qui ont choisi de se poser des questions pour avancer, ceux qui tentent d’éviter peut-être la trop fréquente posture de l’imposture.



« More health screening may mean that we spend a good portion of our lives being tested for diseases we were never going to get, or enduring treatments that were never going to change when or how we died. »



Pour ceux qui sont réticents car frileux à l’idée de lire un bouquin en anglais, je promets que mon niveau est très modeste. J’ai volontairement repris sans les traduire des extraits que j’estime parlants. Faites le test de lire ces phrases en rouge. Si vous comprenez et que ça vous parle alors allez plus loin, lisez le livre.
 

« Good science starts with the acceptance that we don’t know the answer to a problem. »



Si vous comprenez mais que ça ne vous parle pas alors un petit effort, allez encore plus loin et lisez-le quand même. Pour ceux qui ne comprennent absolument rien, mais qui pensent que ça peut leur parler, ne vous mettez pas à l’anglais, ça serait trop long. Il est dommage qu’aucune traduction n’existe et ne soit à l’ordre du jour. Le monde de l’édition étant ni mieux ni pire que le reste des mondes, à savoir que l’objectif d’un livre est qu’il se vende pour faire du fric, on peut aisément imaginer que la traduction française de The Patient Paradox ferait un bide à côté de grandes œuvres littéraires comme les frasques trierweileresques ou les saillies zemmouriennes. Mais si on met en priorité la santé, l’amélioration des connaissances, l’intérêt et le choix éclairé des patients avant le fric, si on imagine que le livre traduit pourrait être commandé par un grand nombre de bibliothèques universitaires médicales, tous les départements de médecine générale, une flopée d’enseignants en médecine générale, de professeurs universitaires, de médecins généralistes, d’étudiants en médecine et bien sûr de patients car c’est au grand public que ce livre est avant tout destiné, et que comme par miracle une large brochette de médecins se partageant l’espace médiatique hexagonal en assure la gracieuse promotion, alors le bide ne serait peut-être pas si gros que ça. La brochette est fournie. Là tout de suite en quelques secondes me viennent déjà des noms : Dr M. Cymes, Dr A. Karembeu, Dr G. Kierzek, Dr JD. Flaysakier, Dr P. Pelloux, Dr JF. Lemoine, Dr A. Ducardonnet, bref, ils sont en nombre aux antennes et au passage la féminisation de la médecine ne semble pas encore avoir atteint la médecine médiatique. Non je déconne, ne croyons pas au père Noël. Soyons lucides. On ne peut compter que sur le bouche à oreille, alors lisez et passez ou traduisez à votre voisin.



« When patients become customers, they lose the protection that proper medical professionalism should provide. »



À votre santé !



5 commentaires:

  1. Mieux vaut que je ne le lise pas ( de toute façon, mon anglais doit être pire que le tient) car il va encore me déprimer un peu plus sur notre système de santé

    RépondreSupprimer
  2. Tu as aimé The Patient Paradox, tu adoreras Ending Medical Reversal de VInayak et Adam. Aussi facile à lire.

    RépondreSupprimer
  3. Ce type d'ouvrage devrait être lu par ceux qui gouvernent et donc par notre ministre.
    Il est peu probable qu'elle le fasse surtout quand on lit le compte rendu de son dernier discours :
    http://jeanyvesnau.com/2016/01/23/marisol-touraine-evoque-un-horizon-des-possibles-qui-ne-cesse-detre-repousse-et-revient-sur-lhepatite-c/

    Les 65 millions de français deviennent petit à petit 65 millions de patients, patients malades ( un petit nombre) patients non malade mais qui sont susceptibles de l'être ( tout le reste).

    Quand on sait l’efficacité de la majorité des dépistages , on peut être très inquiet de lire que bientôt on détectera les cellules cancéreuses dans notre sang. Car bien évidemment en s'extasiant sur ce futur proche, on admet comme une évidence que chaque cellule cancéreuse détectée est un cancer mortel en puissance. Aujourd'hui par exemple ce raisonnement dans le dépistage du cancer du sein conduit à des surdiagnostics et des surtraitements dramatiques pour les femmes.
    Donc demain une détection de cellules cancéreuses dans le sang ?

    Un autre "progrès" numérique m'a fait froid dans le dos : le verre connecté.
    Loin de m'extasier comme notre ministre, j'y vois une personne âgée que l'on délaissera humainement de plus en plus ( plus de contact humain d'un soignant avec elle)où le soignant sera devant son ordinateur et surveillera son hydratation à distance. On peut imaginer la suite: incitation à boire par SMS voire avec un bracelet connecté qui enverra un signal ( audio ou physique) pour l'inciter à boire et tout cela à distance.

    Aujourd'hui l'humain est devenu un produit. Il faut le maintenir en vie coûte que coûte car sa vie est génératrice de chiffre d'affaire. L'importance c'est la quantité de vie et non sa qualité comme en témoigne le fait que l'espérance de vie en bonne santé diminue depuis maintenant de nombreuses années sans que cela n'interpelle personne. Tant que l’humain est en vie, il est source de profit.
    C'est ce que j'ai compris dans ce dernier discours de notre ministre.

    Aurais je mal interprété ?

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour cet article
    http://www.rdvunmedecin.fr

    RépondreSupprimer