lundi 21 octobre 2013

Prescrire ? Les coulisses...

Billet présenté le 21 octobre 2013 par bibi en vue d’obtenir le grade de blo(a)gueur en médecine

Composition du jury :
 
Toi

Remerciements :

Si tu crois que je vais remercier quelqu’un tu peux toujours courir !

 
Serment d’Hippocrate :


Je l’ai déjà prêté le serment, ça, c’est déjà fait, et on me l’a jamais rendu d’ailleurs. Comme je n’arrivais pas à me souvenir quelle main lever pour le prêter le serment, alors j’ai levé les deux, comme ça j’étais sûr de pas m’tromper. En médecine quand tu sais pas, mieux vaut ouvrir le parapluie, comme ça t’es couvert… Oh l’tableau du mec les mains en l’air pour prêter l’serment devant ces types en robe comme au tribunal ! Imagine. Au final, ça s’est plutôt bien passé, j’étais relaxé et on est tous allés boire une flûte ensemble à la cafet’ de la fac. Même avec les types du tribunal, mais sans leur robe.


Introduction :
 
Connais-tu ce type ?


Tu ne risques pas de le croiser puisqu'il est né en 1694 et mort en 1778.
Tu ne vois toujours pas ?
 
Alors voici un indice :
Près des barricades, Gavroche chantait :

"Je suis tombé par terre,
C'est la faute à ..."


Maintenant que tu as trouvé, voici une de ses citations:

"Un médecin, c'est quelqu'un qui verse des drogues qu'il connaît peu dans un corps qu'il connaît moins."

N'ayant pas le talent de Voltaire pour te dire clairement les choses en une seule phrase, et pour la confronter au goût du jour afin de vérifier si ce qui fut écrit il y a plus de 2 siècles et demi est toujours vrai, je t'invite avec moi derrière le rideau, dans les coulisses de certaines prescriptions. Viens, approche, n'aie pas peur, pas encore, après on verra...

***
Voilà, vas-y, installe-toi confortablement à ma place derrière le bureau, observe, touche, lis, n'hésite pas, personne nous voit, le rideau est fermé, tous ces petits trucs resteront entre nous.  
Ah ce gros bouquin rouge, la "bible" du médecin... J'étais sûr que ce serait ce qui t'intriguerait en priorité. Souvent j'ai entendu dire "Ben mon vieux, faut en avoir une tête pour savoir tout ce qu'il y a sur les pages de cet énorme bouquin".  Tu parles, ça c'est du bling bling. Laisse tomber. Allez, rends-moi ma place, je vais t'en dévoiler un peu plus sur les coulisses de la prescription.
 
Les textes officiels disent ceci à son sujet :

-Article R4127-8 du code de la santé publique
 
"Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.

Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.

Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles."
 
Parfois, tu peux lire ça : «les chiffres les plus couramment avancés font état de 140 000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et 13 000 décès avérés, sans compter les accidents bénins qui ne font pas l´objet d´une déclaration systématique».

13 000 décès par an liés à des accidents médicamenteux ! En 2012, la route a tué 3645 fois. Tu vois, apparemment, il serait moins dangereux de prendre le volant que de prendre des médicaments. Et si tu prends à la fois le volant et certains médicaments, ben je te laisse imaginer.

Les membres de l’académie de médecine se sont penchés sur le sujet des prescriptions de façon globale et en ont pondu un rapport : Améliorer la pertinence des stratégies médicales .
 
Concernant la représentativité de nos Stars Académiciens de la médecine, l’ami Borée en a fait un billet très instructif, voire Académique, mais là n’est pas le sujet. Même si quand même, ça vaut le détour.
 
Bon, après Voltaire, le code de la santé publique, les académiciens, pis tout ça, à mon tour de parler de la prescription médicale, à bibi.
 
 
Matériel et méthode :
 
Le matériel est très sommaire, juste un ordos, et quelques synapses plus ou moins bien connectées.

Concernant la méthode, si tu penses trouver ici des ingrédients de l’Evidence-Based Medicine (médecine fondée sur les preuves), alors passe vite ton chemin l’ami. Oui parce que comme d’hab, je vais traiter ce sujet de la prescription médicale à ma façon, c’est-à-dire avec une dose poids de caricatures, un comprimé de dérision matin midi et soir, et une perfusion continue de 2 litres de sérum ironique dans lequel j’ai ajouté 3 grammes de mauvaise foi par litre maintenus approximativement à une température ambiante avoisinant le deuxième degré. Tout cela à partir de quelques cas cliniques vécus ou pas, entendus ou pas, observés ou pas, bref, un peu d’à peu près, beaucoup de presque, quasiment rien tiré de la littérature, tout de mon inexpérience et de mes défaillances. Mais c’est ça aussi la vraie vie basée sur l’évidence…

Et désolé pour la longueur du propos, prescrire c’est rapide, un problème = une solution, mais tenter de l’expliquer c’est plus long, c’est ça le problème.
 
 
Discussion :
 
Les propos en italique, c’est la discussion en off avec moi-même, ce qui se dit dans ma tête en gros.
 
-Madame, votre thyroïde, on va la vérifier. Je vais de ce pas vous prescrire une petite prise de sang.
 
Petite ? en vrai de vrai, y a pas de petite ni de grande prise de sang, y a une piquouse et voilà mais quand je dis «petit», c’est pour adoucir le truc histoire que ça passe mieux, c’est comme quand on dit à un type «pour ta prostate, je vais te faire un petit toucher rectal» style tu lui fais croire que tu vas juste le chatouiller du bout de la phalange, tu parles… Bon, la thyroïde, allons-y donc, on dose la T3, euh, non, la T4, merde c’est laquelle déjà ? La T4, ouais ça le fait mieux la T4, c’est un chiffre pair en plus, j’aime pas trop les chiffres impairs, c’est rugueux les chiffres impairs, ça transperce les tympans, on dirait presque de l’allemand les chiffres impairs, c’est pas rond, ça se divise mal. Bon c’est con, c’est pas des arguments scientifiques ça, j’vais quand même pas jouer à pile ou face ! Quoique, si je lance discrètement une pièce en l’air sous le bureau, elle va p’t’être pas le voir la Madame. A moins que ça soit la TSH en fait qu’il faut doser en premier ? Je peux plus faire à pile ou face par contre là. Fait chier, déjà l’autre jour ça m’a fait ça avec le dosage de la lipase et l’amylase, je ne savais plus lequel des deux il fallait mettre. Et le coup d’encore d’avant, c’était le fer, la ferritine, et tout le tintouin. Oh pis merde hein, assez de temps perdu à réfléchir, j’m’en rappelle plus et pis ça va rien lui changer à elle, allez, comme d’hab je lui prescris la totale comme ça on n’en parle plus : TSH, T3, T4 et roulez bolides !
 
-Tenez Madame, voilà votre ordonnance pour faire cette petite prise de sang, je vous ai tout mis, on ne sait jamais.

 
Suivant !
 
Un mioche qu’a mal à l’oreille. Fastoche, mal à l’oreille = otite = Orelox, un bon goût de banane, une dose poids matin et soir, simple comme bonjour, la crèche ou la nounou ou l’école ne me fera pas chier pour avoir un papier pour lui donner le médoc, affaire pliée. Ah non, attends, faut quand même que je regarde son tympan au mioche. Oh y va encore hurler, et c’est moi qui vais avoir mal aux oreilles après, allez vas-y manman tiens le bien le gamin, voilà comme ça c’est bien, ça y est, je vais pouvoir introduire mon otoscope, bouton On/Off, ben… c’est bien noir là-dedans, ah oui mince, les piles, sont mortes les piles, ça fait trois jours et pas pensé de les changer. Eh, entre nous, j’ai jamais vraiment appris à examiner un tympan, l’autre Pignouf de prof d’ORL à la fac, je suis même pas sûr qu’il nous ait fait un cours sur l’otite et s’il l’avait fait, ça m’étonnerait qu’il aurait été le mieux placé pour le faire donc mal à l’oreille = otite = Orelox. Simple, rapide, efficace.

 
Suivant !
 
Mal à la gorge. Fastoche, mal à la gorge = angine = Gorgelox. Non j’déconne, Gorgelox ça n’existe pas, et je vais pas lui refourguer le même antibio que celui d’avant avec son otite, après on va croire que je n’en connais qu’un d’antibio, quand même, j’ai fait des études moi. Tellement d’études que je vais peut-être même pas lui mettre un antibio dis-donc. Je vais lui faire un test, un gratouillage dans le fond du gosier avec une espèce de long coton tige que je vais ensuite laisser mijoter dans un petit tube à essai contenant quelques gouttes de réactifs. Une petite bandelette sera alors plongée dans le mélange et abracadabra, attention, roulement de tambour, 1 trait rouge ? 2 traits rouges ? Encore quelques minutes. 1 trait = pas d’antibio, 2 traits = un antibio, parce que les antibiotiques, c’est pas automatique, tout le monde le sait ça maintenant, autant que certains refrains de chansons.

Bon, alors on en est où avec cette bandelette ? Combien de traits ? Oh putain c’est pas vrai ! Zéro trait ! La bandelette de mes deux, j’l’ai mise à l’envers. Bon, pas grave, et on va pas tout recommencer hein. Et y a pas mort d’homme. Allez, on avance un peu, les antibiotiques c’est pas automatique, sauf quand on a un test angine positif (ou alors qu’on a mis la bandelette à l’envers). Ben imagine qu’il ait une angine à streptocoque, que ça se termine en abcès, en septicémie, et pis y a le Rhumatisme Articulaire Aigu (RAA), ça fout les boules ça, j’en ai jamais vu, c’est pour ça que ça m’fout les boules peut-être, un peu comme les fantômes. Et c’est pas tout, la Glomérulonéphrite Aigüe (GNA). Au fait, c’est vraiment une complication de l’angine à strepto la GNA ? Et si je lui colle un antibio, c’est prouvé que ça lui évitera cette complication ? Oh pis merde avec toutes ces questions à la fin. Bon il a quel âge ? Y pèse combien ? 5 ans, 17,5 kgs. Alors amoxicilline, 50 mg/kg en 2 prises OK, OK, OK, donc 17,5 fois 50 = 875 que je divise par 2 = 437,5 mg. Donc on a du sirop à 125 mg, 250 mg et, et pis merde de merde à la fin, allez Augmentin 1 dose poids matin et soir et en voiture Simone. Font chier les recommandations à la fin. Et en plus elles n’apparaissent plus sur le site de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, j’y comprends plus rien moi. C’est quoi cette arnaque ? C’est louche tout ça ! Et pis à l’hosto quand j’étais interne, on tirait sur tout ce qui bouge avec de l’Augmentin, ne perdons pas la main.


Suivant ! Oh non. Encore lui.

-Bonjour Docteur, voilà, c’est remoi. Rien, mais alors là rien du tout, ça m’a rien fait du tout votre truc, surtout votre Rhinopschittpschitt, ça a fait pschitt. J’vous l’avais pourtant dit. Je tousse, je mouche, un bon rhume de cerveau par là-dessus. Vous savez bien que moi c’est pas comme les autres et qu’ y m’faut un r’mède de ch’val.

Oui ben j’suis pas véto !

-Après Docteur, vous savez mieux que moi que ça va r’tomber sur les bronches, comme la dernière fois où j’me suis tapé une double bronchite carabinée et qu’j’suis allé voir votre confrère d’à côté comme vous étiez pas là vous, ben oui lui il est toujours ouvert, LUI, même le dimanche. Mais vous inquiétez pas, c’était pas une infidélité, vous voyez, la preuve, j’reviens vers vous. Mais lui j’avoue qu’il m’a tout d’suite donné l’bon remède, ça a pas traîné avec lui mon vieux, j’m’étais à peine assis dans l’cabinet, j’avais à peine toussoté deux coups qu’son stylo griffait l’ordonnancier aussi agilement que Zorro dessine son Z de la pointe de son épée. Bon Docteur, j’vous ai ramené son ordonnance pour qu’vous m’remettiez pareil. Et pis, pendant qu’j’y suis, faudrait m’r’garder l’dos aussi. Nom de dieu que je dérouille, presque bloqué l’dos. Allez, r’gardez.
 
*
-Votre examen est rassurant, je comprends votre inconfort, mais ne vous inquiétez pas, ça va passer ce rhume, sans ce traitement de cheval comme vous dites. Pour le dos, rien de bien méchant non plus. Vous allez prendre 1 gramme de paracétamol toutes les 6 h 00.

-Quoi ? Mais c’est que j’ai point de balance chez moi pour peser ça Docteur ! Et c’est quoi l’paratamol ?

-Non, il n’y a pas à peser, ce sont des comprimés, ou des sachets etc… de 1 gramme, c’est le Doliprane, l’Efferalgan, le Dafalgan etc…

-Quoi ? C’est tout ce que vous avez trouvé à m’donner ! Tout ça pour ça ! 10 ans d’études, 23 euros la consultation pour me r’fourguer du Doliprane que vous appelez autrement juste pour faire votre grand Docteur ! Mais j’en prends déjà et tous les jours de ça, ça me fait plus rien. J’vous demande un r’mède de ch’val, un truc de vrai Docteur nom d’une pipe ! Y’m’faut un truc contre le mal.

Et là, je me mets en colère, mais seulement dans ma tête bien sûr. Je suis le seul à m'entendre, et toi tu es le seul à lire cette colère. Chut ! Putain, allez c’est bon, tiens, tu veux un truc contre le mal, voilà, Contramal, fastoche hein, contre le mal = Contramal. J’sais pas si c’est vraiment ce qu’il te faut mais ça se retient bien, surtout après la visite de la belle déléguée qui sentait si bon, avec ses yeux si doux, et sa jupe si courte… Ah les courbes de la déléguée ! Elles sont bien ses courbes à la déléguée, ce que je préfère c’est quand elle fait ses courbettes la déléguée. Mais non non non, elle ne m’influence pas la déléguée avec ses belles courbes. Non non non… Allez, tiens, le voilà ton Contramal.

-Ah merci Docteur, rien qu’avec ce nom, ça me fait déjà du bien. Mais attention, vous savez que je suis fragile de l’estomac . Faudrait pas que ça m’détraque l’estomac votre truc.

-Non, aucun risque, ce n’est pas un anti-inflammatoire, ne vous faites pas de bile.

-Oh si j’m’en fais vous savez, surtout quand on me donne un truc que j’connais pas Docteur. J’ai déjà quelques aigreurs, s’vous plaît Docteur, un p’tit truc pour mon estomac. L’Mopral c’est bon pour l'moral.

In my head : Non, pas l’Mopral ! J’en ai fait une overdose de prescriptions quand j’étais interne à l’hosto. Je ne connaissais que celui-là faut dire parce que c’est à l’hosto que tu commences et « apprends » à prescrire, alors tu prescris ce que tes chefs prescrivent, et surtout tu prescris ce qu’il y a à la pharmacie de l’hosto, en fonction du gros marché signé avec tel ou tel labo. Donc non, pas l’Mopral ! J’en connais d’autres moi M’sieur, j’ai fait des études moi M’sieur. Pis il est cher, pis t’en as pas besoin, pis, pis merde, tiens si t’as d’l’acide qui t’brûle l’estomac, j’vais t’l’inhiber ta pompe à protons, Inipomp, j’sais pas si t’en as besoin, j’sais pas si c’est le meilleur et l’moins cher, mais ça se retient bien, surtout après la visite de l’autre belle déléguée qui sentait tout aussi bon, avec des yeux un peu moins doux mais une jupe encore plus courte… Et ses courbes à elle aussi, j’t’en parle pas parce qu’on n’a pas l’temps, mais ses courbes, Mama ! Revenons tout de suite à l'art médical, aux oubliettes les courbettes de la déléguée ! Bon, ça lui fait donc son truc de cheval pour son rhume que je ne lui ai pas prescrit mais dont il a conservé précieusement les derniers comprimés dans sa table de nuit après sa consultation chez le confrère d'à côté ouvert même le dimanche LUI, plus un peu de Contramal, plus un peu d’Inipomp, plus ce qu’il prend d’habitude. Ah ouais c’est vrai, qu’est-ce qu’il prend quoi donc d’habitude lui encore ? Du Doliprane de son propre chef, un truc pour ses angoisses, un truc pour pioncer le soir, ah pis ça, pour les soirs où il veut faire autre chose que pioncer c’est vrai. Tiens ça, on n’a pas choisi un nom qui se retient bien, mais tout le monde l’a retenu celui-là, on n’a pas eu besoin de le baptiser Baizemieux le Viagra. Bon et son truc pour le cholestérol qu’il bouffe tous les jours entre deux rasades de lard. D’accord, d’accord. Donc là, en gros on a environ 7 ou 8 molécules, ça veut dire qu’en gros de gros, au jour d’aujourd’hui, de façon praticopratique, on ne maîtrise absolument plus la situation, on ne sait pas ce qu’on fait, pochette surprise ! J’suis une pine d’huître en pharmacologie parce qu’à la fac on fait un peu de pharmacologie quand on est apprenti docteur en 4 ou 5ème année d’études, un peu histoire de pas être trop à la rue normalement. Entre nous, le seul truc que j’ai retenu de ces cours de pharmaco, c’est quand le prof nous a dit qu’au-delà de 3 molécules, on ne sait plus ce qu’il se passe. Alors imagine le tableau avec 7 ou 8 voire plus.

Suivant !

Oh yes, yes, et re yes ! Là j’vais être bon. Une première demande de contraception. J’te l’dis là j’vais être bon. T’as bien fait d’venir gamine, ça va bien se passer. A peu de chose près, ça n’aurait pas été le cas mais là, t’as frappé à la bonne porte, au bon moment. Avant, t’aurais pas eu intérêt à passer entre mes griffes acérées pour ce motif, mais heureusement, y en a un qu’a rattrapé le coup, je vais te raconter ça. Sans lui, je ferais déjà, encore, toujours, passionnément, à la folie, partie de la célèbre dream team wincklérienne des médecins maltraitants. La raison à cela ? C’est quand j’étais petit, en 4ème année de médecine. C’est à ce stade que j’ai eu à valider mon module de gynéco. Alors un jour un vieux PUPH de gynéco nous a fait le cours sur la contraception. A la fac, on nous disait souvent qu’une grande partie de ce qu’on apprenait serait dépassée à la fin de nos études. Mais on nous disait jamais qu’une aussi grande majorité l’était déjà… Donc mon cours de gynéco, j’l’avais bien bossé car le vieux PUPH nous avait avertis que le sujet pourrait bien tomber à l’exam de fin d’année. Et il est tombé. Mais fastoche, j’l’avais bien bossé, même si je flippais un peu parce que le moindre oubli des étapes de sa prose au vieux PUPH était synonyme de rattrapage en septembre. Tu me diras, au moins comme ça, on la sait sur le bout des doigts la contraception, ah ah ah, sur le bout des doigts… Sauf que quand c’est des conneries cette prose, c’est con de l’apprendre deux fois hein ! Bref, pour résumer, la contraception dans mon cours de gynéco, c’est un interrogatoire digne des plus hauts gradés de la Gestapo + l’examen habituel : poids, TA, etc… + la palpation mammaire + le frottis frotta + le toucher vaginal en allant bien profond dans le cul de sac de Douglas sait-on jamais des fois qu'y ait un truc incroyable qui s'y cache + le toucher rectal (sur le bout des doigts j’te dis la contraception) = après tout ça, c’est bon, tu peux lui filer la pilule. Voilà, oh yeah baby, emballé c’est pesé. Cours du Professeur Belovaire mémorisé, examen de fin d’année validé, passage en 5ème puis 6ème année, puis l’internat etc… En toute fin d’internat, v’là t’y pas que je suis en autonomie dans un cabinet de médecine générale, presqu’un vrai docteur s’il vous plaît. Et là, je suis seul avec elle. Elle, c’est un peu comme un oisillon tout juste tombé de son nid, fragile, encore un peu ado, pas vraiment adulte, mais qui aimerait voler de ses propres ailes, elle. Elle vient pour une demande de contraception. Cinq ans après, les étapes de mon cours de gynéco défilent dans mon cerveau. Aïe, je crois qu’en fait, ça va pas trop le faire là hein. J’l’avais eu les doigts dans le nez mon module de gynéco, mais je me vois pas trop lui mettre mon doigt dans le c.. là tout de suite à elle. Et pis j’y étais passé en tant qu’interne dans le service de gynéco d’un grand CHU où tu sors hyper compétent vu que c’est là que tout se passe, que tout s’apprend… Malgré tout, je me suis plutôt senti mal à l’aise devant la demande de cet oisillon tout mignon. Non mais ça va pas la tête, je vais pas lui infliger ça la pauvre !!! Elle est repartie sans que je lui fasse rien, sans contraception mais avec un rendez-vous pour le lendemain avec le vrai docteur du cabinet. Et hop, je me suis défilé comme un grand. Ensuite, le vrai docteur du cabinet, un généraliste enseignant, a rattrapé le coup : «mais y a pas que la pilule» ah bon ! «mais t’as pas besoin de faire tout ça» ah bon ! «il faut expliquer» ah bon ! Mais à la fac, le professeur Belovaire, il a dit que... «tu penses vraiment qu’il s’y connaît mieux que nous Belovaire ?» Ben il est Professeur de gynéco quand même !
Voilà comment un généraliste enseignant a rattrapé le coup d’un vieux PUPH de gynéco. Pas facile à digérer et à comprendre hein qu’un petit généraliste de merde sache mieux que le référent régional de gynéco. Et dans d’autres domaines, ça peut être pareil. Dommage qu’ils n’interviennent pas plus tôt dans l’enseignement de la médecine ces petits généralistes de merde hein ! On éviterait quelques conneries.

Bon donc là maintenant tout de suite, je suis chaud, c’est bon, je me suis désintoxiqué de mon cours de gynéco de 4ème année, j’ai revu un peu la question, j’ai même lu d’autres horizons, les horizons wincklériennes un peu zaffranées, les horizons boréennes, etc… Alors là ma gamine, on peut y aller sur la contraception, je vais te donner une info libre loyale et éclairée et tu choisiras en fonction, je ne choisirai pas à ta place. Yes yes et re yes. J’suis content là parce que j’ai l’impression que je vais être utile et presque compétent, tout du moins pas trop maltraitant.

-Alors jeune fille, ça vous convient ?

-Non mais vous fatiguez pas Docteur avec vos explications, je viens juste pour avoir une lettre pour aller chez le vrai spécialiste de la question, je veux juste que vous m’adressiez à Gygy c’est tout.

-Mais y a pas besoin de lettre, et moi je peux…

-Ah ben désolée pour le dérangement Docteur. Je pensais qu’il fallait une lettre. Au revoir.

Voilà, tout ça pour ça, quelle connerie !

A propos de conneries, le ménage est régulièrement fait dans toutes les conneries qu’on peut prescrire. Chaque génération a son scandale, le Distilbène, le Médiator, mais ça c’est ce qui fait causer, les stars, car y a aussi des trucs moins connus. D’abord les trucs déremboursés, non pas qu’ils soient (trop) dangereux mais parce qu’ils ne servent à rien alors qu’ils ont été prescrits pendant des années. C’est plutôt bien ça moi je trouve, sauf que c’est pas toujours sans effet secondaire encore cette histoire. Ben oui, comme on fait croire et on a appris que quasiment tout se règle par la prescription d’un médoc, alors quand certains médocs passent à la trappe du remboursement, d’autres prennent leur place et à défaut d’être utiles, ils sont plus dangereux. T’es pas obligé de me croire mais quand tu vois une nana d’une vingtaine d’année qui souffrirait d’hypotension sans que ce soit vraiment avéré mais qui prend tout de même pour ça de l’Hept-a-myl, et qui du jour au lendemain, faute de remboursement, passe sous Seglor, un antimigraineux de fond, c’est un peu con moi je trouve. Comme tous ces mucolytiques que les enfants ont avalé lorsqu’ils toussotaient, maintenant quand ils toussotent un tout petit peu trop longtemps au goût des mamans, cocktail corticoïdes inhalés ou à manger avec un petit antibio, et hop là ! La place des mucolytiques est prise. La nature a horreur du vide qu'il paraît.

Pourtant, on fait le ménage dans les médocs dangereux. Le petit choux qui vient d’arriver sans aucun mode d'emploi et qui inquiète maman tellement il régurgite. Ben oui, il régurgite en si grande quantité, c’est énOOrme ! Y en a partout sur le bavOUUU ! Lui le petit choux, il a l’air plutôt en forme, a un très bon appétit, il prend bien du poids, mais maman est inquiète parce qu’il régurgite partout et tout le temps, c’est énOOOOrme ! Y en a partout sur le bavouyOUUUU ! Mais le pyjama ça va, pas une seule trace. Ben faudrait juste prendre le temps de la rassurer et de lui expliquer à cette maman. Mais un coup de Prépulsid, ça va plus vite.

Arrête t’es ouf ou quoi ! C’est dangereux le Prépulsid, on peut plus le préscrire celui-là !

Bon ben le Primpéran alors.

Non plus t’es ouf, on peut plus.

Bon ben le petit cousin, le Motilium c’est bon ça le Motilium. En plus la maman en prend déjà pour stimuler sa production de lait…

Arrête tu m’énerves là, tu me provoques. Il a chaud aux fesses celui-là aussi tu sais !

Bon les labos, vous pouvez nous sortir un cousin au Motilium parce que les petits choux, y vont continuer de régurgiter et nous, faut qu’on ait un truc à prescrire sinon on va faire quoi ? Ben juste discuter et rassurer. Disquoi ? Rasquoi ? Non mais j'suis toubib moi, j'suis pas psychologue, j'suis pas là pour bavarder moi. Donc grouillez-vous les labos pour trouver un truc pour me remplacer ça, que j'aie quelque chose à prescrire aux petits choux qui régurgitent, pis qu'ont la colique, pis après, y aura la 1ère rhinopharyngite suivie de la bronchiolite. Vous voyez, y a pas à discuter, si vous avez des stocks de médocs, j'vais vous les écouler moi. De toute façon, y a rien à craindre, puisque les autorités font le ménage si les médocs sont trop dangereux. Le ménage ? Moi quand je fais le ménage, ça déménage, la place est nette, vide. Mais la nature a horreur du vide, on vient de le dire. Regarde comme on fait du ménage, du vide dans le Vidal avec ses cinquante douze mille antihypertenseurs. La partie «médicaments» (les pages blanches du Vidal), c’était 2304 pages en 2005, 2595 pages en 2011, 2651 en 2012 et va regarder toi-même en 2013, j’vais pas tout faire non plus. Ah c’est du bon ménage ça hein ! Non mais en fait, c’est parce que comme la moyenne d’âge des médecins augmente, alors c’est écrit plus gros dans le Vidal pour les vieux médecins. C’est pour ça qu’il y a plus de pages. MAIS OUI, PRENDS-MOI TOI AUSSI POUR UN CON J’AI L’HABITUDE !!!

Suivant !

-Bonjour Docteur, c'est reremoi, on s'est vus ce matin, vous vous rappelez j'espère. Vous ne vouliez pas me marquer le même remède que votre confrère d'à côté qu'est ouvert tout le temps, LUI, même le dimanche. Ben c'est allé plus vite que je le pensais et c'est déjà r'tombé dans les bronches, des 2 côtés, comme la dernière fois, une double bronchite Docteur. Faut écouter les patients Docteur, vous êtes jeune pour le comprendre, mais écoutez les patients. Vous n'avez pas voulu m'écouter tout à l'heure alors voilà, me revoilà. Vous auriez gagné du temps à me mettre tout de suite le bon r'mède de votre confrère. Et pendant que vous y êtes, j'irais bien voir le spécialiste des poumons, parce que deux doubles bronchites, ça fait quand même quatre bronchites. C'est pas normal ça.

Là ça clignote dans ma tête : prescris/prescris pas, prescris/prescris pas, prescris/prescris pas/… Ouais la prescription, c'est comme le permis de conduire, une fois que tu l'as le permis, tu chopes vite des automatismes, et tant que tes conneries ne sont pas remarquées, tout va bien, tout roule, alors tu continues ton petit bonhomme de chemin sur un long fleuve tranquille sans trop regarder dans le rétro. Mais là le clignotant, il me perturbe la carte grise, euh non, la matière grise. Le confrère d'à côté qu'est ouvert tout le temps LUI, même le dimanche, il a pas les mêmes automatismes que moi. Je lui prescris pas à Mr Me Revoilà, il va aller les chercher à côté ses médocs et je vais encore passer pour un con. Je lui prescris, c'est fait, bon débarras, mais demain soir j’ai «groupe de pairs» et je suis sûr que ça va tomber sur lui mon cas à présenter. Et je vais aussi passer pour un con. Et pis merde ! J’vais pas y aller au groupe de pairs. Me former le soir sur mon temps perso pour pas un rond et passer pour un con, merci ! Tiens, le voilà ton r’mède de ch’val !

-Au fait Docteur, votre Contramal, je l’ai pris au pharmacien mais je l’ai rangé dans ma table de nuit à côté de toutes mes autres petites boîtes de gélules pour quand j’aurai vraiment mal. J’ai lu la notice, c’est plein d’effets indésirables ce machin, et en sortant de chez vous, mon dos allait mieux. Mais quand ça ira mal, je l’aurai sans avoir besoin de vous déranger. J’ai tout un arsenal dans mon tiroir, un vrai trésor de guerre, j’pourrais ouvrir une pharmacie.

Voilà, j’me suis fait avoir comme un bleu, j’savais bien qu’il fallait pas lui prescrire. Mais trop tard, c’est fait. Son trésor de guerre dans son tiroir, c’est plutôt une bombe à retardement, un cocktail Molotov ! Un jour il va nous faire un mélange qui va l’envoyer direct à l’hosto, je le sens bien le coup venir.

-Bon, mon brave Docteur, je ne vous retiens pas plus longtemps, y a une jeune demoiselle dans la salle d’attente qui veut vous voir.
 
*
-Rebonjour Docteur. Je suis venue tout à l’heure, vous vous souvenez ? En fait, j’ai appelé le gynéco mais il n’a pas de place avant 6 mois. C’est long 6 mois vous savez. Alors j’ai quand même pris un rendez-vous mais en attendant, il m’a conseillé de venir vous voir pour que vous me prescriviez la pilule. Il m’a dit que ça ne posait pas de souci car il vous connaît, vous étiez dans la même promo à la fac, vous avez assisté aux mêmes cours de gynéco que lui donc tout va bien. Et au pire s’il y avait un problème, il me verra dans 6 mois.

-Ah oui en effet tout va bien…

Conclusion :

Ne t’inquiète pas, toutes ces prescriptions sont anciennes, c’est quand j’étais jeune, maintenant, je sais tout…, et il y a prescription.

Prescrire, proscrire, une seule lettre pour changer complètement la signification d’un mot. L’erreur est au bout de la plume ?

Pour plus de sérieux, je t’invite à lire ça au sujet des surpréscriptions sur le site du Formindep, ça vaut vraiment le jus.

Et la prochaine fois, je serai plus concis c’est promis.

Allez, viens Gavroche, on se casse d’ici : «Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire

Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau»


 


 



4 commentaires:

  1. Excellent.
    Un peu long, mais je suis aller au bout.
    La vraie vie médicale avec du "off" dedant.

    Tu es sûr de ta conclusion ? ;-))

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  2. J'ai honte, pour mes fautes d'orthographe ;-((

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  3. J'en fais autant, et l'heure à laquelle tu commentes explique cela :-)
    Pour la conclusion, je suis sûr des paroles de la chanson de Gavroche, pour le reste...

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  4. Ahah, très juste, très vrai, c'est à peu près ce qui se passe dans ma tête quand je prescris.
    Et j'aime beaucoup le soupçon de cynisme, en 1 goutte le matin, qsp à vie =)

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