jeudi 21 mars 2013

Pourquoi ne pas réguler l'accès dans les services d'urgences ?

Urgences : ce fut une célèbre série télévisée qui contribua en partie à nourrir ma motivation pour le concours de première année de médecine. En P1, alors que chaque heure de travail comptait, alors que je devais être devant mes cours d'anatomie ou de physiologie, j'avoue 18 ans après que tous les dimanches soirs, je regardais les exploits du beau Georges Clooney et de ses collègues urgentistes à la télévision. Mais peut-être que sans eux, moi comme d'autres de ma génération ne serions jamais devenus médecins.
 
 

Maintenant que je suis médecin, qu'évoque le mot urgences ?

Urgences, ce sont des dizaines de brancards de chaque côté des couloirs avec des vieillards que je préfère appeler nos aînés. Certains sont désorientés, d'autres réclament un peu d'eau, aimeraient qu'on leur apporte rapidement un pistolet pour uriner, un bassin pour déféquer, un haricot pour dégueuler. Que font-ils là ces braves tous adressés pour le même motif : Altération de l'état général ? Est-ce une urgence ?
-Alors Monsieur le généraliste, que voulez-vous qu'on fasse de votre vieux ? s'énerve l'urgentiste.
-Non Monsieur l'urgentiste, les places restantes dans le service de rhumatologie sont toutes réservées pour les hospitalisations programmées du Pr Malaudos, nous ne pourrons pas prendre votre vieux patient ni tous les autres d'ailleurs, répond la surveillante  du service de l'étage juste au-dessus des urgences.
-Allo Madame Durant ? Bonsoir, je suis le médecin des urgences, oui, je vous appelle au sujet de votre papa, oui il est toujours là, il va bien, j'ai essayé de lui trouver une place dans le service d'en haut, mais sans succès. Mais rassurez-vous, on lui a fait un petit bilan, tout va très bien Madame la Marquise, juste un peu déshydraté et un début de diabète, juste un début pas grand chose. Oui le cœur ça va, et je sais j'ai bien vu qu'il perdait un peu la tête mais pas plus que ça. Ecoutez, on communiquera les résultats à son médecin traitant, et vous pouvez venir le chercher, je sais il est un peu tard, 2 h 00 du matin alors qu'il est arrivé à 10 h hier matin, je sais c'est pas drôle.

Voilà une scène qu'on ne voyait pas dans la série Urgences, et qui pourtant se déroule chaque jour dans tous les services d'urgences de notre pays. Voilà comment on maltraite nos aînés, tout cela parce qu'aucune filière de soins digne de ce nom n'a été organisée et que l'on n'a pas adapté le système de santé aux besoins et aux changements socio-démographiques  de la population.

Bon, je sais, la gériatrie c'est pas très sexy, allons du côté de notre beau Georges Clooney aux urgences pédiatriques:
-Alors Madame la manman, que lui arrive t-il au petit ?
-Ben c'est la fièvre, puis il a le nez qui coule.
-Depuis quand ?
-Une heure ou deux.
-Et la fièvre, combien a t-il ?
-Je sais pas vraiment, mais je l'ai touché et il était un peu chaud, je viens surtout avant que ça monte plus, et demain il va à la crèche alors s'il est malade on ne va pas me le prendre. Et pendant que j'y suis, ma grande de 12 ans a un peu mal à la gorge depuis 2 ou 3 jours. Et comme mon mari est venu pour son dos, il a mal depuis des mois et son médecin ne trouve rien, alors il est venu pour avoir un bilan complet, et moi j'en ai profité pour montrer les enfants. Ici c'est bien, c'est pratique, s'il faut faire des examens on peut les faire tout de suite. D'ailleurs, vous pourriez pas vérifier pour ma grande, je suis sûre qu'elle manque de vitamines.

Encore une scène à peine caricaturée, que l'on peut multiplier et démultiplier tous les jours, dans tous les services d'urgences. On vit dans une société de consommation. La santé n'échappe pas à cela, donc on consomme du soins, on consomme du médecin, du bilan, du médicament comme on va dans un fast-food sauf qu'on ne paye pas, tout du moins c'est ce qu'on laisse entendre. Car à la fin, ça coûte et quelqu'un paye.

Est-ce humain de laisser poireauter une personne âgée plusieurs heures dans un couloir avant de la renvoyer à la maison en pleine nuit ? Est-ce logique qu'une rhinopharyngite soit prise en charge dans un service d'urgences ? Ne serait-il pas plus confortable et sécurisant pour les patients comme pour les soignants et ne serait-il pas moins coûteux pour la société de réguler l'accès aux urgences ? Je sais, on va me répondre , oui mais il faudrait plus de régulateurs. Très probablement. Mais une bonne régulation avec des médecins en nombre suffisant ferait très certainement fondre le nombre de consultations injustifiées aux urgences. C'est ce que je pense.

6 commentaires:

  1. Le souci de la régulation c'est qu'on t'opposera toujours le risque de laisser passer quelque chose de grave qui se dissimulait sous une apparence banale.

    Pour ma part, je pense que la vraie solution serait que les patients se présentant aux urgences soient examinés mais que, en l'absence de réelle justification, on leur réponde un truc du style "Je vous ai examiné, je peux vous assurer qu'il n'y a rien de grave mais je ne vous ferai aucune ordonnance, pour ça, allez consulter votre médecin."
    Les gens se passeraient très vite le mot et, comprenant que ce n'est qu'une perte de temps supplémentaire, cesseraient rapidement ces attitudes purement consuméristes.

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    1. Tout d'abord, merci de ce commentaire Borée. Je suis honoré que le premier commentaire sur mon blog vienne d'une personne comme toi. Pour ceux qui ne connaissent pas le Dr Borée, je vous invite à découvrir son blog. Ensuite, je m'attendais un peu à ce genre de réponse. Effectivement, si on se place du côté des médecins, le risque est de transférer la responsabilité sur les médecins régulateurs qui font un travail d'évaluation difficile par téléphone seulement. Mais ce risque est à comparer à celui des urgentistes submergés de patients dont la majorité ne relèvent pas forcément d'un service d'urgences. Et je n'ai probablement pas insisté sur ce point dans mon post, mais cela nécessiterait dans le même temps d'organiser une véritable filière de soins pour pouvoir faire des hospitalisations directes plus facilement sans passer nécessairement par les urgences. Actuellement une des seules voies d'entrée à l'hôpital est celle des urgences. Si je me place maintenant du côté des patients, je pense que je préférerais qu'on m'oriente vers la structure la plus adaptée à mon problème. C'est ce qui se passe la nuit lorsqu'on appelle le 15, soit on envoie le SAMU si c'est vital, soit on vous demande de vous rendre aux urgences si ça le nécessite, soit on vous oriente sur une maison médicale de garde, et vraiment si ça peut attendre, on vous rassure en vous demandant de voir votre médecin traitant le lendemain. Pourquoi ce qui s'applique la nuit ne s'appliquerait-il pas la journée pour une meilleure sécurité des patients, des médecins urgentistes comme généralistes, et à moindre coût pour la société ? C'est juste une histoire d'organisation.

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  2. Ben oui, mais là tu pars du principe que le patient téléphone avant.
    Tu fais quoi de celui qui se présente à la porte ? Tu le "régules" comment ? Et il me semble bien que c'est essentiellement ça qui submerge les SAU.

    Quant aux entrées directes... Non, rien, tu viens de me donner l'idée d'un billet. ;)

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    1. Oui exactement tu le régules, ça se fait dans certains services d'urgences, un médecin est à l'accueil pour filtrer ou réorienter

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  3. Pour avoir crée notre propre service d'urgence au sein d'une clinique nous avons été confrontées à ce délicat problème de regulation .
    Après 12 ans , je retiens 3 aspects:
    - pour declarer avec assurance qu'une plainte n'est pas une véritable urgence il faut effectivement que ce soit un médecin qui interroge et fasse le premier examen( deshabiller pour voir des boutons). A la fin, la plupart du temps la consultation est finie( c'est une varicelle). Le renvoyer alors vers son medecin est humainement souvent compliqué( il est 19h30).Et de toute les façons le temps passé a "estimer" le degré d'urgence est perdu pour les vrais et autres urgences.
    -nous l'avons fait pendant 12 ans et une partie non négligeable de la population locale a finit effectivement par être"éduquée" et n'est plus venue consulter en direct. Et pourtant le nombre de plainte relevant d'une prise en charge par le médecin traitant n'a que peu baissé car de nouveaux patients tous les jours se présentaient. 12 ans après nous répétions les même phrases pour les mêmes pathologies que tu as très bien décrites...mais seulement pas aux mêmes patients. Peut-être que 12 ans étaient trop courts pour éduquer tout notre secteur( commune semi-rurale de 15 000 hab).
    - par contre , pendant 12 ans nous nous sommes fait agresser, insulter, menacer voire violenter par tous ces patients à qui nous expliquions qu'ils devaient consulter leur médecin et qu'une lombalgie depuis 1 mois ou une asthenie pouvait attendre le lendemain.Nous avons continué à le faire car nous étions 3 amies très solidaires dans la conception de notre travail d'urgentiste,mais je garde le souvenir de moments extrèmement pénibles . La menace de plainte pour "non assistance à personne à danger" est la plus douce des réactions, "je vais te niquer salope" "vous n'etes que des faignantes" pas les plus graves...
    Quand les médecins de ville ont cessé leur garde et que le conseil de l'ordre nous a basculé maison médicale avec la consigne de tout recevoir...ce fut un soulagement.

    Je reconnais que la régulation peut être une réponse lors d'afflux massif mais elle est loin d'être simple à mettre en oeuvre et actuellement je n'ai plus la force d'affronter le mécontentement et les explications houleuses qui vont suivre. Je fais enregistrer et vois la file d'attente s'allonger.Par contre je prends en charge les plus graves en priorité et préviens les "bobos" qu'ils ne seront vus qu'en deuxieme intention. Parfois, ils s'impatientent et repartent.

    <Bon courage à toi qui prends des gardes de nuit. Cest encore plus difficile avec les enfants.

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    1. Ah! Une réponse de quelqu'un qui connaît plus que bien le terrain. Merci Sabine et bises.

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