dimanche 10 mai 2020

11 MAI 2020, DÉ..., D COMME ?


Après huit semaines de confinement dans le but de ralentir l'épidémie de COVID-19, voici venu le temps de ce mot nouveau qu'est le déconfinement. Certains, bien installés dans les starting-block semblent prêts à surgir pendant que d'autres sont partis avant l'heure. Et pourtant.

D comme Dordogne

Dordogne, préfecture Périgueux, troisième département forestier de France avec 45 % de sa superficie occupés par la forêt, 413 000 habitants, 9000 km2, 45 habitants au km2 (par comparaison Paris compte 105 km2 et 20754 habitants au km2).
Nous voici donc dans un magnifique département, entre forêts et vignes, où la population a de la place, bien loin de la promiscuité du métro parisien. Au 9 mai, d'après Santé Publique France, on y comptabilisait 25 patients hospitalisés pour COVID-19, 1 patient en réanimation, et 10 décès depuis le début de l'épidémie d'où son classement en zone verte signe d'une faible circulation virale.

Cela n'a pourtant pas empêché la survenue d'un petit foyer de contamination (cluster) découvert le 5 mai, appelant à la vigilance, même et peut être surtout en zones vertes là où nous nous pensons en totale sécurité. 

Dès le lendemain de l'allocution pascale du président Macron durant laquelle il figeait cette date du 11 mai à la France entière comme le nouveau jour de la Libération, je me souviens employer en réunion de service (en visioconférence bien sûr) cette expression peu élégante mais significative : "Le 11 mai sera tout sauf la fête du slip". 

Deux principales voix scientifiques se distinguent quant à l'évolution supposée de l'épidémie. La première nous indique que la multiplication des contacts après la levée du confinement mènera possiblement d'ici quelques semaines à la survenue d'une seconde vague dont il est bien difficile de prédire la hauteur. 
La seconde voix nous affirme que l'épidémie s’éteint tranquillement, que la fin de la partie est quasiment sifflée, que ce concept de seconde vague est une pure invention. Cette même voix parlait de "fin de partie" dès le mois de février à coup de vieux médicament miracle imparable contre le virus.
J'aimerais beaucoup que cette seconde voix dise vrai mais, 26 000 morts plus tard nous permettent de prendre plus que quelques précautions. 

D comme Didier

Ce Didier dont le nom s'est répandu comme une traînée de poudre à travers le monde est le même Didier que le président Macron est allé rencontrer à Marseille le jeudi 9 avril 2020. Plusieurs journaux annonçaient depuis peu que le chef de l'Etat s'adresserait aux Français. La date du 8 avril circulait, puis ce serait plutôt le 9.
Finalement, le 9 avril il rencontrera Didier, 4 jours plus tard, le 13 avril à 20 heures et des brouettes, la date du 11 mai est prononcée lors de son allocution. Simple hasard de calendrier ? La seconde voix compterait-elle plus que la première, plus que celle du comité scientifique présidentiel ? Sommes-nous dans le domaine de la science ou du pari ? 

Bien malin celui qui aurait prédit ce désastre humain, économique, social, mondial. Bien malin celui qui sait la meilleure façon de déconfiner et quand. Reconnaissons que par delà la politique partisane, prendre des décisions dans ce contexte inédit est d'une effroyable complexité. 

D comme Déroute ?  

Malgré cette complexité, force est de constater que nous assistons à la déroute des cols blancs. Ces cols blancs spécialistes de l'organisation, de l'évaluation, de la "procéduralisation" à outrance des moindres recoins de l'activité des acteurs de terrain. La crise sanitaire est venue faire fondre comme neige au soleil la nécessité des postes de ces cols blancs. Très respectueux du confinement on ne les entendait plus depuis huit semaines préparant leur retour en force dès le 11 mai preuve que nous ne pouvons qu'être pessimistes pour ce fameux "monde d'après"  qu'ils se hâteront d'achever dans l’œuf.
Face à cette déroute et pendant ces huit semaines, ce sont les acteurs de terrain (et pas seulement les soignants) qui ont tenu la barre. Ils ont tenu le pays à bout de bras grâce à leur bon sens, à leur sens des responsabilités, à l'entraide, à la solidarité, à leurs facultés d'adaptation rapide et au système D.

D comme système D

Nous n'avons pas le choix, avec ou sans les cols blancs, ce déconfinement nous, citoyens, acteurs de terrain, nous devons le réussir.

Cette réussite passe par le respect des gestes barrières en zone rouge comme en zone verte.

Cette réussite passe aussi et surtout par le port du masque en zone rouge comme en zone verte et pas seulement dans les transports en commun, ce que disent même les vieux briscards de l'Académie Nationale de Médecine : Aux masques citoyens.

Les récents clusters en Dordogne ainsi que dans un collège de la Vienne alors que nous, peuple de Gaulois réfractaires, venons de massivement respecter huit semaines de confinement doivent nous alerter.

Il faudra porter au mieux un masque, au moins un écran anti-postillons.

Et puisque nous devons essentiellement continuer de compter sur le système D, voici une solution : STOP POSTILLONS #JamaisSansMonMasque #MonMasqueNousProtège.

Des médecins vous en parlent sur leur blog : ici chez le Dr Blanc, ou encore  chez le Dr Gomi dont le compte Twitter est une mine d'informations et de réflexions depuis le début de cette crise. 

A vos masques,     prêts,    partez !!! Mais avancez masqués. 

PS : pas de masque chez les bébés et les jeunes enfants. 

dimanche 5 avril 2020

ET PENDANT CE TEMPS, MAIS QUE FAIT LA PMI ? #COVID-19



Crise sanitaire ou pas, bien des services de Protection Maternelle et Infantile (PMI) ont un genou à terre quand ce ne sont pas les deux. Crise sanitaire ou pas, faute de pilotage et d'harmonisation au niveau national, leurs organisations varient d'un département à l'autre. Plus spécifiquement durant la pandémie COVID-19 actuelle, mais que fait la PMI ?

L'organisation décrite ici reflète seulement ce qui a été mis en place sur un petit territoire, absolument pas la continuité de tous ces services sur l'ensemble du pays.

Avant de rentrer dans le détail, quelques éléments de contexte et réflexions :

-La stratégie du confinement a été adoptée depuis le 17 mars pour tenter de ralentir la progression de l'épidémie.

-Certains déplacements sont néanmoins autorisés, notamment dans le domaine médical pour des consultations et soins ne pouvant être assurés à distance et ne pouvant être différés ; consultations et soins des patients atteints d'une affection de longue durée.

-Un train pouvant en cacher un autre, voire plusieurs autres, il est important de communiquer à ce sujet.

-Car les projecteurs étant à juste titre exclusivement braqués sur le Coronavirus, il faut avoir à l'esprit que dans l'ombre, d'autres pathologies surviennent, évoluent, s'aggravent. Il est primordial que les patients continuent à se faire suivre par leur médecin lorsqu'ils sont atteints de maladie chronique, primordial qu'un lien soit maintenu avec les personnes les plus fragiles, les personnes isolées, les familles traumatisées comme illustré ici : LE TITRE DE TONTON ? . Il est fondamental que la lutte contre la pandémie en cours n'occulte pas la mobilisation nécessaire contre les dommages collatéraux que ce contexte exceptionnel engendre déjà et que l'on découvrira trop tard avec torpeur si on attend l'heure du déconfinement.
A ce sujet, j'invite mes collègues soignants à relayer ou signer l'initiative de mon confrère le Dr Jean-Baptise Blanc ici : Risques de dommages collatéraux du Covid

Concernant la périnatalité, COVID-19 ou pas COVID-19, des femmes continuent de découvrir leur grossesse. Malgré les prouesses de la médecine, l'option « pause grossesse » pendant cette crise sanitaire n'est pas prévue. Par conséquent les grossesses continuent d'évoluer, des femmes continuent d'accoucher, des bébés confinés continuent de naître, de jeunes parents retournent se confiner chez eux avec leur petit bambin, seuls, parfois loin de leur soutien familial, amical. Les enfants relativement préservés par les formes sévères de la maladie qui parcourt le monde actuellement doivent pouvoir être protégés contre les autres maladies infectieuses évitables.

Les soignants des services de PMI font partie des acteurs sanitaires contribuant à la prise en charge des femmes enceintes, des femmes accouchées, des nourrissons, des nouveaux parents.

Pendant que le cyclone COVID-19 tourne sur le pays, quelle part prennent-ils ?

Le ministère des solidarités et de la santé a donné une feuille de route ici : Continuité des missions de PMI et de planification.

Ce qui suit est un résumé de ce qui s'est mis en place en quelques jours sur un bassin de population d'un peu plus de 200 000 habitants (3 médecins de PMI) répartis en zones rurales et urbaines, considérant que le service est un maillon de la chaîne du champ sanitaire qui au même titre que les autres maillons a dû s'organiser pour tenir son rôle dans cette lutte contre l'épidémie.

Sur ce territoire, depuis le 23 mars trois sites PMI distincts sont maintenus en activité. L'un est dédié exclusivement à l'activité prénatale, les deux autres à l'activité pédiatrique (un pour l'urbain, le second pour le rural) évitant ainsi que femmes enceintes et jeunes enfants se croisent sur le même site. Infirmières, infirmières puéricultrices, médecins, sages-femmes de PMI s'y relaient pour exercer chaque jour de la semaine exclusivement sur rendez-vous espacés afin d'éviter les croisements et les regroupements de personnes en salle d'attente. Des visites à domicile sont maintenues pour les situations qui le nécessitent. Tout est assuré dans les meilleurs conditions de sécurité et d'hygiène possibles pour les patients comme pour les professionnelles. Le Centre Hospitalier du secteur s'étant organisé pour faire sortir plus précocement les jeunes mères et les nourrissons, le personnel de santé PMI est prêt pour assurer le relais et répondre au plus tôt. Pendant que les soignants sur site sont exclusivement centrés sur leurs consultations, d'autres en télétravail assurent le soutien téléphonique des familles suivies avant la mise en place du confinement ainsi que des nouvelles familles faisant appel au service. Chaque professionnelle alterne entre activité en télétravail et activité clinique sur site puisqu'il faut à la fois maintenir et même renforcer l'activité sur le champ sanitaire tout en respectant le principe de confinement.

Une cellule de régulation a été mise en place afin d'assurer la coordination, le bon fonctionnement et la logistique de ces trois sites en activité. Un numéro de téléphone unique diffusé à nos partenaires permet de centraliser toutes les demandes et sollicitations. Un professionnel de santé y assure une permanence téléphonique pour les conseils et premières réponses aux familles en s'appuyant ou en renvoyant sur un médecin en cas de besoin.


Dans ce petit bout de France et dans l'ombre, des soignants prennent part à leur niveau, de leur place et avec leurs moyens à la tâche. Sachant que dès le départ la règle du jeu a été donnée et écrite noir sur blanc par leur direction. Tous ces soignants ont été formés en milieu hospitalier. Une bonne partie y a exercé. Certains ont également connu l'exercice libéral. En fonction de l'évolution des événements, tous savent qu'ils pourront être réquisitionnés pour offrir leurs services ailleurs, prendre part à la lutte d'une autre façon, parfois en première ligne. Parce que c'est ça le monde des soignants. Ce monde qui fait corps par delà les polémiques et les guerres d'ego. Ce corps de besogneux anonymes qui tient la mêlée pendant que des remplaçants potentiels se préparent mentalement, s'échauffent discrètement en même temps qu'ils jouent un match tout aussi fondamental pour limiter voire éviter certains dommages collatéraux liés à cette crise.

Mais le plus important c'est vous. Le plus important c'est nous, ce nous qui fait société. Nos armes actuelles pour limiter la casse, ce sont nos gestes quotidiens, nos comportements, notre bon sens, la bonne et juste distance bien sûr entre nous mais aussi par rapport à tout ce qui est raconté et relayé en boucle sans toujours avoir été vérifié. Ce pouvoir-là, c'est le plus précieux, il est entre nos mains.

#YESWECAN

mardi 17 mars 2020

RESTEZ CHEZ VOUS #COVID-19

Juste l'essentiel : 


Car ce truc invisible appelé un virus, coronavirus SARS-CoV-2 pour les intimes :


peut être méchant. Il cause la maladie COVID-19 tellement répandue dans le monde désormais qu'on parle de pandémie (épidémie sur une grande partie du globe).

Alors que faire ? 


Surtout, mais vraiment, sans déconner, jouons le jeu, le jeu en vaut la chandelle : 


vendredi 31 janvier 2020

LE TITRE DE TONTON ?

Sans titre-Kandinsky 191?

Je ne me sens pas bien. J’ai envie de vomir.

La personne qui m’annonce ça n’est pas une patiente mais une soignante aguerrie. Une collègue avec une longue expérience en pédiatrie hospitalière durant laquelle elle a été confrontée à bien des situations difficiles. Pourtant ce jour-là, je la vois KO debout, blême, figée avec le regard hagard.

J’ai cette chance de consulter avec une infirmière puéricultrice qui reçoit dans un premier temps enfants et parents. Je prends ensuite le relais. Nos salles de consultations côte à côte, habituellement, une fois sa partie terminée la collègue accompagne la famille de mon côté et me fait de rapides transmissions. Ce jour-là, elle arrive dans mon bureau seule et referme délicatement la porte derrière elle. Le fait de l’apercevoir ainsi, livide dans l’encadrement de la porte m’interpelle aussitôt. 
« Tiens tiens y a un truc chelou »

Je ne me sens pas bien. J’ai envie de vomir. Attends, je m’assois. Tu n’imagines pas ce que vient de me dire cette maman. Il faut envoyer la petite chez le « psy ». Il faut faire quelque chose.

Elle commence à raconter l’histoire de cette maman qui amène sa petite fille âgée d’à peine plus de deux ans à la consultation. Dès les premiers mots je sens qu’il va falloir que je m’accroche pour tenter de ne pas être contaminé à mon tour bien qu’il n’y ait ni bactérie ni virus sur ce champ de bataille. Elle poursuit son récit. J’essaie d’augmenter tant bien que mal l’épaisseur de mon scaphandre psychique qui commence à se fendiller. Car il faut bien le reconnaître, il est parfois difficile de ne pas se laisser emporter par les flots de larmes qui pointent derrière certains mots.

Voilà, je t’ai tout dit. C’est bon ? Je peux aller la chercher ? Il faut vraiment faire quelque chose.

Elle me « passe le bébé ».

La petite entre, marque un arrêt, me fixe quelques secondes, observe la pièce, puis va s’installer près des jeux dès que ma collègue l’y invite. Sa maman s’est assise face à moi après que nous nous soyons salués. L’infirmière quitte la pièce. Nous voilà tous les trois. Le silence est lourd. Craignant la maladresse je ne sais par où commencer. Après un temps d’hésitation je décide finalement de poser cartes sur table en expliquant à cette mère que ma collègue m’a raconté son parcours. Elle baisse les yeux. Mais au moins, elle sait que je sais. Nos chemins viennent de se croiser depuis quelques minutes seulement et je suis au courant de la part la plus sombre de sa vie. Je poursuis en précisant que ma collègue m’ayant transmis ces éléments il n’y a aucun intérêt à ce qu’elle me les répète mais si elle désire que nous en parlions ensemble, je suis à sa disposition, maintenant, plus tard, ou un autre jour. Elle acquiesce mais ses yeux s’égarent aussitôt vers le vide, le néant, ou ailleurs. La consultation se poursuit. La petite semble en forme, ne présente aucun symptôme particulier, son examen clinique se déroule sans difficulté. Je n’ai pas d’éléments quant à son statut vaccinal, Madame m’explique qu’elle a oublié le papier chez elle. Enfin, « chez elle »… façon de parler.

Madame et sa fille vivent au CADA voisin. Un CADA est un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile. Inutile de dire que des papiers Madame en a peu bien qu’elle serait très heureuse d’en avoir. En attendant mieux, elle possède au moins le papier concernant les vaccins de sa fille née dans un pays lointain car elle a fait le nécessaire à son arrivée en France et on lui a remis un carnet de santé. Je lui explique que nous en aurions besoin. D’abord pour vérifier que sa petite est correctement protégée contre certaines maladies. Que si tel n’est pas le cas, nous pourrons lui fournir et lui faire les vaccins. Mais également pour lui permettre l’accès à un éventuel lieu de socialisation puis à l’école d’ici quelques mois.

Le temps file, l’ambiance paraît moins pesante qu’en début de consultation. Il ne me semble pas opportun d’orienter cette enfant où que ce soit. Je me trompe peut-être. En tous cas, je m’autorise à penser que je me trompe et je ne m’interdis pas l’idée qu’une orientation pourrait être opportune un jour. En revanche, je demande à sa maman si elle souhaite rencontrer quelqu’un pour l’aider elle quant à tout ce qu’elle a confié à ma collègue. Elle refuse. De ce qu’elle m’explique je comprends que sa priorité est la régularisation de ses papiers. Nous nous reverrons dans quelque temps, pour le papier des vaccins et pour le reste, en attendant je lui fais une proposition. Nous nous saluons. Elle baisse les yeux. Elles partent.

Alors ? Tu as fait quelque chose ? T’as orienté la petite chez le « psy » ?

Ben non. Euh oui j’ai fait quelque chose, du moins je crois, mais non je ne l’ai pas orientée, la petite, et la maman ne souhaite pas rencontrer quelqu’un. Donc oui je crois que j’ai un peu fait quelque chose et toi aussi d’ailleurs.

L’infirmière puéricultrice a reçu ces deux personnes « sans papier ». Elle a considéré cette mère au point qu’elle se soit sentie suffisamment en confiance pour lui dévoiler une part de l’indicible, l’impensable, l’effroi. Elle a écouté cette femme. Les atrocités qui se déroulent et qu’elle a subies dans ce pays lointain, pas si loin que ça, la mort du mari devant ses yeux, la fuite sans les filles aînées, la traversée avec de nouvelles confrontations directes à la mort de ses compagnons de galère. La terreur, elle l’a vue, elle l’a vécue, elle l’a sentie au plus profond de sa chair. Et à tout moment elle peut la voir, la vivre et la sentir comme si elle y était replongée. Cet instant glaçant, transfixiant, cette effraction qui transpire par quelques mots prononcés mais surtout par tout ce qui n’est justement pas verbalisé, tout ce qui laisse sans voix, par ce regard particulier de ceux qui ont vécu l’horreur, la collègue l’a reçu en partie comme un violent uppercut pouvant rendre n’importe lequel d’entre nous KO debout, titubant et nauséeux.

Voilà ce que tu as fait. Tu as reçu humainement cette mère et cette petite fille en même temps que tu as reçu toute l’inhumanité de la violence humaine. Mais tu as été là, présente, sécurisante, bienveillante.

Face au refus de cette femme d’être orientée, et face à cette petite fille qui malgré tout, ni dans le discours de sa maman ni durant cette consultation ne présentait le moindre symptôme de souffrance, je n’ai pas fait grand-chose. Si ce n’est recevoir, écouter, regarder, échanger et proposer. Ma proposition a d’ailleurs désarçonné ma collègue infirmière ce qui peut tout à fait s’entendre vu le décalage que l’on peut y voir face au vécu de cette maman. J’ai simplement proposé à Madame de venir participer avec sa fille à l’atelier d’éveil musical que nous organisions quelques jours plus tard au sein du service grâce à l’intervention de deux artistes. Taper sur de drôles d’instruments de musique, jouer, s’amuser, chanter, bouger, rire, rencontrer des artistes, d’autres enfants, d’autres parents, des professionnels du soin, voilà la proposition lâchée en fin de consultation.

Ma collègue les yeux écarquillés, ayant retrouvé du poil de la bête :

Ah ouais ? Mais ! Alors là, je n’ai pas pensé une seconde à ça.

T’as raison c’est sûrement con et carrément décalé. Mais voici mon idée. Cette maman a vécu l’enfer mais ne veut pas de soutien, de soutien « psy » j’entends, sa fille semble plutôt préservée, je précise bien « semble », donc pour le moment je me dis que ce qu’on peut faire c’est essayer à notre niveau de les ramener dans le monde des vivants. La musique, la joie, le jeu, l’insouciance, la magie, les rencontres, n’est-ce pas un peu ça le monde des vivants, le monde des enfants, le monde des parents ? Je suis sûr que des choses peuvent se passer sur ces temps-là même après un tel parcours. Ce n’est qu’une goutte d’eau mais Madame semblait intéressée.

Elles ne sont finalement pas venues jouer sur de drôles d’instruments.

Mais.

Mais nous les avons revues quelques semaines plus tard à la consultation, avec le carnet de vaccination. Madame semblait plus apaisée. Tout du moins, le fardeau toujours présent avait ce jour-là l’air légèrement moins lourd à porter. La petite s’est installée près des jouets sans que ma collègue n’ait eu le temps de l’y inviter. Quelques phrases échangées, les nouvelles ? Les papiers ? La petite ? Et vous Madame, comment ça va ? Je vais examiner votre fille, puis nous poursuivrons les vaccins car je vois que des injections ont été faites, d’autres sont à faire. Acheter les vaccins ? Non ne vous inquiétez pas, comme je vous l’avais expliqué la fois dernière, nous pouvons vous les fournir. Allez, ne t’inquiète pas Princesse, ça y est c’est fait. Bravo tu as été courageuse.

Lors de cette seconde rencontre, nous n’avons pas rediscuté des éléments lâchés la première fois. Madame n’a pas plongé une fois le regard au sol. Il n’y a pas eu cet instant de silence pesant où l’on se demande dans quelle direction va repartir l’échange s’il repart. Les yeux de Maman souriaient sur sa petite, sur ma collègue, sur moi. Oui, les lèvres sourient, mais les yeux aussi savent sourire. Il y aura encore beaucoup de chemin à parcourir, des retours en arrière, mais quelques pas semblent avoir été faits du côté du monde des vivants. Madame s’est levée, nous nous sommes serrés la main, puis dans le même temps qu’elle posait le regard sur sa fille, elle lui demandait de dire au revoir à « Tonton » en me pointant de l’index.

Affublé de ce nouveau titre dont je ne connais toujours pas tous les contours, je l’accueillis avec honneur et fierté. Ce fut pour moi la première fois qu’une consultation se terminait ainsi.

Difficile d’évaluer l’impact de ce type d’acte. Sommes-nous dans les clous ? Que disent les recommandations ? C’est quoi cette sémiologie à la noix ? Faisons-nous de l'Evidence Based Medicine ? Quels indicateurs utilisés pour évaluer cette action ?

Voici ce qu’un gestionnaire rigoureux à l’esprit plus étriqué que son costard cravate pourrait énoncer d’une voix glaciale :

« Deux fonctionnaires pendant X minutes à deux reprises payés tant de l’heure pour recevoir un enfant et sa mère sans couverture sociale à qui ont été fournis et injectés deux vaccins d’un montant total de X euros sachant que nos objectifs tant en termes de maîtrise des dépenses que de masse salariale et blablabli et blablabla… Voici ma conclusion (le gestionnaire ayant pris le soin de desserrer son nœud de cravate pour éructer sa sentence d’un ton ferme et percutant) : Manque total d’efficience. Passer tout ce temps pour seulement deux vaccins non mais bande de feignasses c’est scandaleux ! On y laisse un pognon de dingue avec vos conneries ! Foutez-les dehors et supprimez leurs postes, la nation s’en portera mieux ! »

Vous savez quoi ?

Le seul indicateur qui compte à mes yeux même si je ne sais ce qu’il indique vraiment c’est ce titre de Tonton que cette mère m’a octroyé avec ce sourire contagieux. Il n’indique pas forcément la meilleure direction à prendre mais je n’ai pas l’impression qu’il en indique une très mauvaise. Mais surtout, au delà de cette « anecdotique » consultation, face à la dictature galopante de la rentabilité, hommage au monde du soin, du social, associatif qui œuvre chaque jour à tendre la main pour faire revenir nos sœurs et nos frères dans le monde des vivants aux quatre coins de France, au pays des Tontons, aux quatre coins de la planète.

Vive le titre de Tonton, vive la cette France.