samedi 17 octobre 2015

LE DILEMME ?

 
 
J’ai récemment lu un billet sur le blog "Le bruit des sabots" dans lequel on comprend que l’auteur s’est retrouvé face à un terrible dilemme.
 
Qui n’a jamais vécu cette sensation pénible face à un dilemme ? La vie est pleine de dilemmes, c’est ainsi, et pour avancer, il faut faire des choix. Parfois on fait le mauvais, d’autres fois, on fait le bon, du moins le croit-on. On se trompe, on recule, puis on poursuit. L’essentiel n’est-il pas d’être conscient d’avoir le choix ? D’avancer dans le doute et le questionnement pour ne pas courir éperdument dans la mauvaise direction ?
 
Revenons à ce fameux billet écrit par B. , ou à B. tout simplement.
 
B. est un jeune médecin généraliste fraîchement thésé, attention à ne pas toucher la peinture elle n’est pas encore sèche. Je ne l’ai jamais croisé ailleurs que sur le web mais tout m’agace chez B. D’abord c’est plutôt le genre beau gosse cool avec une tête bien remplie. Donc un type terriblement dangereux. Ensuite, il possède un indéniable putain de fucking de ouf de malade de talent d’écriture. Enfin, ce qu’il écrit n’est pas seulement bien dans le style, sa réflexion est tout autant riche et pertinente. Je l’ai lu lorsqu’il était interne, je continue de le lire depuis qu’il est médecin et à chaque fois je me dis qu’au même stade j’étais à cinquante mille années-lumière de sa réflexion et de ses questionnements. Vraiment un type agaçant de bout en bout ce B. Évidemment tout le monde aura compris que derrière le qualificatif « agaçant », il y a bien au contraire beaucoup d’admiration.

 
Le billet de B. intitulé : "Clinicat et fatum" est à lire ici. Pour faire simple, on comprend que B. peut entamer une carrière universitaire à condition d’accepter un poste en partie financé par une association de médecins liée à l’industrie pharmaceutique alors qu’il fait justement partie de ces trop rares médecins luttant pour préserver leur indépendance face aux mastodontes du médicament.

 
Personnellement, à moins qu’on envisage la mort de la discipline, je pense qu’il est important de mettre en place une filière universitaire de médecine générale digne de ce nom. J’en avais esquissé quelques raisons dans ce billet "Juste après le ramassage de patates" .

 
En médecine, toutes les spécialités possèdent leur filière universitaire. Par exemple, un interne en cardiologie est formé essentiellement au sein d’un Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) dans lequel on trouve la filière universitaire de cardiologie, avec des chefs de clinique cardiologues, des Professeurs des Universités Praticiens Hospitaliers (PUPH) cardiologues. L’interne de cardiologie peut prétendre obtenir un poste de chef de clinique financé par l’hôpital et l’université, puis s’orienter sur un poste de Maître de Conférence Universitaire avant pourquoi pas de devenir à son tour PUPH afin d’être à la fois médecin, enseignant et chercheur. En médecine générale, ce genre de poste de chef de clinique existe depuis peu par rapport aux autres spécialités, mais il faut semble-t-il trouver des montages hasardeux pour les financer comme nous le montre le cas de B. C’est un peu, enfin « un peu », on va dire « un tout petit peu », « vraiment très grossièrement » comme si de jeunes flics de la brigade des stup’ aspirant un jour devenir commissaires étaient payés en partie par une association acoquinée à une filière de narcotrafiquants. Reconnaissons que la comparaison est exagérée à l’extrême mais avec des exemples très caricaturaux, on pige tout de suite mieux le dilemme…

 
Le billet de B. m’a froissé car il démontre une fois de plus que derrière de belles paroles politiques « nous créons la filière universitaire de médecine générale », la réalité de terrain est désespérante. Il n’y aurait, en France, en 2015, aucun autre moyen de financer cette jeune discipline universitaire de médecine générale qu’en se fourvoyant plus ou moins profondément dans la gueule d’un laboratoire pharmaceutique. Triste réalité.

 
Ce qui est marrant, c’est que le jour où j’ai lu le billet de B., je suis tombé par hasard sur une vieille plaquette d’information intitulée ainsi : « Pourquoi Ferrero soutient-il Epode ? »
 

 
 
Le programme EPODE qui de nos jours s’appelle VIF : « Ensemble Vivons en Forme » vise à prévenir, lutter contre l’obésité infantile en mobilisant les acteurs locaux de divers horizons au sein des villes dont le conseil municipal a fait le choix de s’impliquer dans ce programme de santé publique (Ah la santé publique, vaste sujet…). Tout est expliqué sur le site de VIF.
 
Comme toujours, tout ça se finance. Et parmi les partenaires de l’association en charge de ce séduisant programme VIF, on retrouve le groupe Ferrero, Nestlé, Orangina Schweppes, ou encore Bel (les fromages qui ne puent pas dont j’avais parlé dans Pub Med pour montrer les liens étroits que « La vache qui rit » peut entretenir avec l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire, preuve que certains médecins ne se posent pas autant de questions que B.).
 
Il me semble que sur le fond, on retrouve le même dilemme que B. avec ce programme de lutte contre l’obésité infantile financé en partie par des géants de l’industrie alimentaire, ne manque plus que McDo ! Que penser de ce programme ? Que faire si je suis un maire souhaitant absolument m’impliquer dans la lutte contre l’obésité tout en refusant toute compromission ? Mieux vaut ce programme ou rien ? Et si je suis médecin, puis-je sereinement m’impliquer avec les différents services municipaux dans ce programme une fois connu une partie de son financement ? Le dilemme.
 
 
Faut-il lutter en dehors du système ou de l’intérieur ? Pas si facile de répondre à cette question.
 
 
B. a accepté ce poste de clinicat, sera-t-il pour autant épouvantablement plus compromis que quelques-uns de ses jeunes et moins jeunes confrères de CHU payés par le seul et sain couple hospitalo-universitaire mais exerçant dans un bain de dogmes de certains chefs de service grassement rincés par BigPharma ? Je n’accuse personne, je pose simplement la question.
 
Nous venons d’entrevoir avec ce court billet que finalement, les tentacules des géants du médicament comme de l’aliment ont réussi l’infiltration parfaite. Il y a plus que certainement d’autres exemples beaucoup plus frappants jusque dans de hautes sphères que l’on n’oserait soupçonner. Malgré ce triste constat, il me reste une pointe d’espoir.
 
 
Cela fait deux ans que je reçois des internes de médecine générale. Je ne prétends pas leur apporter un incroyable savoir-faire, mais si au moins ils prennent conscience que l’importance réside parfois dans le savoir-ne pas faire , je me dis que c’est une petite victoire. Ces internes m’ont tous surpris par leur maturité et leur acceptation du discours de vigilance à avoir vis-à-vis de l’influence des laboratoires pharmaceutiques.
 
 
Récemment, un collectif d’étudiants en médecine (des « bébés » médecins) ont sorti une brochure délicieuse intitulée : « Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ? »

 
Le collectif s’appelle "La troupe du R.I.R.E" , leur brochure incontournable est téléchargeable sur le site du Formindep et à partager sans modération.

 
Tant que continueront de germer ici ou là quelques souffles de saine rébellion, l’espoir est permis.
 
Quant à notre brave Benoît, mon jeune confrère face à son dilemme, je n’oserais aucunement lui donner le moindre conseil. J’imagine simplement qu’en acceptant ce poste de clinicat, le risque de polluer son esprit de résistance me semble relativement faible comparé aux bénéfices pour la médecine générale de voir un médecin de cette trempe embrasser une carrière universitaire. Au pire, il ne sera jamais trop tard pour revenir sur son choix en dénonçant d’éventuelles dérives.
 
 
Dilemme, deal leem... le lecteur averti comprendra.


 
 
 
 


samedi 3 octobre 2015

QUELLE CHANCE !...


Deux ans.
 
Oui deux ans qu’on angoisse.
 
Enfin, que moi j’angoisse. Car elle, je pense qu’en fait ça allait jusqu’à ce que je lui transmette mes peurs.
 
Mais ça y est, je peux pousser un gros « OUF » de soulagement. On est sauvés.
 
Enfin, elle, elle est sauvée. On peut dormir tranquille pour les deux années à venir.
 
Elle, c’est mon amie coiffeuse.
 
Enfin, mon amie, ma très bonne amie, enfin, tu vois quoi. Une excellente amie dont je n’ai jamais parlé pour ne pas éveiller les soupçons. Alors « chut », secret médical please. D’ailleurs ma tignasse folle, c’est pour ça. Ne pas laisser imaginer un seul instant que je puisse avoir une amie coiffeuse plus qu’intime. Tu la sens la stratégie ?
 
Elle avait trente-huit ans quand je l’ai connue. C’est pour ça qu’on a dû attendre deux ans. Et encore, on a beaucoup de chance car ici on est précurseurs. Quand je pense que quasiment partout ailleurs il faut attendre l’âge de cinquante ans pour être délivré. Quelle injustice ! Et après on nous parle « d’égalité territoriale », « d’inégalités sociales de santé », « de liberté, égalité, fraternité », ah ah ! Foutaises ! Elle est où l’égalité ? Et la liberté ?... Laisse-moi glousser.
 
Mais nous ça va, on a la chance d’être du bon côté de la frontière, dans ce bel endroit ensoleillé où les institutions officielles laissent faire les yeux fermés. Quelle chance !... Alors dès que ma copine coiffeuse a atteint l’âge de quarante ans, je lui ai laissé un peu de temps pour souffler sa bougie rose bonbon, ouvrir son paquet orné d’un beau ruban rose bonbon, siffler sa coupe de champ’rosé, puis très vite on a discuté sérieusement. Je lui ai rappelé que le moment était enfin venu, qu’elle avait tout à y gagner car c’était 100 % utile.
 
En plus, elle est du mois d’octobre ma copine. C’est drôle hein. Un signe du destin très certainement. Et avec tout le tapage médiatique autour du sujet en ce mois d’octobre, évidemment, je n’ai pas eu de mal à la convaincre. Je lui ai prouvé par la même occasion que je tenais beaucoup à elle. Il est vrai qu’on n’était pas obligés d’attendre ses quarante ans, j’aurais pu lui prescrire ça moi-même bien avant. Mais je me disais que ça risquait de polluer notre relation amicale. Enfin, « amicale », tu vois ce que je veux dire, on se comprend. Alors on a patienté pour pouvoir bénéficier d’un dispositif officiel totalement indépendant et fiable. Il faut toujours savoir raison garder.
 
Pour être honnête, je lui en avais parlé depuis un moment mais je ne la sentais pas prête. Elle était sur la défensive et on a fini par s’engueuler. Les femmes, ces êtres que j’aurai toujours tant de mal à comprendre. Je suis médecin, je ne lui veux que du bien, malgré tout, je te le donne dans le mille, au début elle m’a envoyé bouler. Comme si elle savait mieux que moi ce qui est bon ou pas pour elle, non mais alors. Elle m’a envoyé dans les dents que comme beaucoup de médecins, je voyais le mal partout, que j’avais une vision biaisée par mon métier. Alors j’ai joué sur la corde sensible, la féminité, l’image, la sensualité.
 
« Tu sais que pour une femme cette partie du corps est importante, c’est pour ton bien, ton bien-être, ton épanouissement ».
 
Elle n’a jamais vraiment pris conscience de sa chance d’être tombée sur un type comme moi, quelle chance !... Elle a malgré tout fini par ruminer puis culpabiliser. Alors l’heure est venue et elle a franchi le cap. Je pense qu’elle l’aurait fait d’elle-même, sans que je ne ramène le sujet sur la table. Je ne comprends pas les femmes mais je sais être persuasif. Elle est montée dans le camion rose dès le lendemain de son anniversaire. J’étais très fier d’elle.
 
Puis tout a basculé.
 
L’examen de dépistage s’est pourtant révélé normal. On aurait pu profiter de ce bonheur partagé pour les deux années à venir, mais non, Madame en a décidé autrement. Elle m’a volé dans les plumes comme personne ne l’avait jamais fait, moi qui ne souhaitais que son bien. Ses phrases assassines résonnent encore :
 
« Imagine que l’on m’ait trouvé une anomalie, imagine l’angoisse, là tout est beau tout est rose mais imagine un peu s’il avait fallu me biopsier, voire pire que ça ! M’amputer, pour rien peut-être ! Jamais tu ne m’as parlé des risques, du sur-diagnostic, des sur-traitements. Pour toi je ne suis qu’une blondasse écervelée, tu crois que je ne comprends rien, mais merde, c’est ma santé, c’est mon corps, pas le tien ! Que tu m’informes, que tu m’accompagnes OK, mais que tu choisisses à ma place, je dis NON ! »
 
Avoue que c’est incompréhensible d’encourager sa copine à se faire dépister le plus tôt possible et finir par se le faire reprocher. Les femmes… Je te jure.
 
Pour tenter d’y voir plus clair, je lui ai discrètement subtilisé sa tablette pour analyser l’historique de son navigateur. Je suis donc allé sur son Gougueule et j’ai commencé à comprendre. Madame est allée s’informer sur le net et bingo, tu sais mieux que moi ce qu’on y trouve sur le net, des choses pas toujours très nettes. Il y avait par exemple de vieux billets bas-been questionnant l’intérêt de la mammographie de dépistage en population générale dès 40 ans comme ici et . Il y avait d’autres blogs sur le sujet du dépistage organisé dont les auteurs sont médecins comme ici et là aussi. Il y en avait une liste bien fournie. Évidemment dès que tu es médecin, ça te rend hyper-crédible mais méfie-toi, les toubibs qui écrivent ce genre de trucs sont des anarchistes de la médecine, même parfois des terroristes médicaux.
 
Le pire, c’est que j’ai même découvert des sites sur le sujet tenus par des non-médecins, voire des patientes. Comme si ces personnes avaient le recul nécessaire et les connaissances suffisantes pour s’exprimer, franchement on aura tout vu. C’est tellement affligeant que ça me fait mourir de rire. Finalement elle a raison ma copine, ce n’est qu’une blondasse de nénette écervelée absolument pas armée pour différencier le vrai du faux sur le net.
 
Et toi qu’en penses-tu ? Es-tu suffisamment armé(e) ? Es-tu correctement et loyalement informé(e) ?
 
Par exemple, dans ce billet, où est la réalité ? Quelle est la part de vérité ?
 
Je vais te faire une confidence, l’essentiel de ce billet est fictif. Enfin, l’essentiel, ce qui est essentiel à mes yeux ne l’est pas forcément aux tiens mais je tiens à t’annoncer que je n’ai pas de copine coiffeuse, c’est un personnage.
 
En revanche, je peux t’assurer que l’on propose encore en 2015 sur le territoire français des mammographies de dépistage dès l’âge de 40 ans en population générale car cela serait 100 % utile comme ne l’indiquent pas les recommandations officielles…
 
Et qu’en penser à partir de 50 ans ? Ce n’est pas à moi ni à quiconque de penser ni de choisir à ta place. Par contre, je peux te filer un tuyau pour obtenir des informations vraisemblablement plus objectives contrebalançant le magma médiatique d’Octobre Rose afin que ton choix se fasse avec un peu plus de clarté. Je te conseille donc vivement la lecture de ce site cancer-rose.fr et plus particulièrement de sa brochure d’information. Tu auras ainsi la chance d’être mieux armée pour décider ou non de te faire dépister.
 
Quelle chance !...