Ce
billet n’a pas pour objectif essentiel de traiter de l’intérêt
de tel ou tel vaccin. Il s’agit avant tout de partager des réflexions sur le fait d’en imposer un certain nombre puisque la
ministre de la santé mûrit la question.
D’où
je parle ?
Je
parle de ma place de médecin vaccinateur qui tente d’avoir une
réflexion la plus indépendante possible.
De
quoi je parle ?
De
la possibilité d’élargir l’obligation vaccinale qui concerne
actuellement trois vaccins (diphtérie, tétanos, polio) à onze
vaccins (les trois actuels + coqueluche, haemophilus, hépatite B,
pneumocoque, rougeole, oreillons, rubéole, méningite C).
La
difficulté du sujet ?
Aborder
ce sujet est terriblement difficile du fait de la volonté manifeste
de caricaturer malhonnêtement la réflexion en opposant deux mondes
qui existent pourtant bel et bien :
-le
monde des anti-vaccins qui vous taxent de rouler pour Big Pharma dès
que vous avancez le moindre argument pourtant solide pour défendre
l’intérêt d’un vaccin.
-le
monde des vaccinateurs tous azimuts qui parlent toujours de LA
VACCINATION sans nuance et qui vous clouent au pilori des antis dès
que vous émettez un doute voire une simple réflexion sur l’intérêt
d’un vaccin en particulier.
Entre
cette dichotomie, tente de naviguer à vue une majorité de citoyens
et de professionnels de santé beaucoup plus mesurée et nuancée
incapable de se faire entendre.
En
2015, la ministre de la santé d’alors lançait que la vaccination,
ça ne se discutait pas. Avait-elle déjà en tête la conclusion de
la concertation citoyenne mise en place quelques mois plus tard,
laissant pourtant entrevoir que finalement, la vaccination pouvait se discuter
un peu ? Apparemment, les différents groupes de la concertation
ont échangé, discuté, pour aboutir à certaines préconisations
mais comme dans de nombreux domaines qui dépassent largement le
thème vaccinal, ce sont les experts qui ont tranché et remporté la
mise. Merci les membres des groupes de travail, vous êtes bien
braves. Ainsi, les experts recommandent d’élargir pour un temps
l’obligation vaccinale au moment où le conseil d’État demande
au ministère de mettre tout en œuvre pour rendre le vaccin
obligatoire DTP disponible au moment où de toute façon les carottes
sont cuites pour la ministre qui passe le flambeau à l’actuelle
ministre qui réfléchit mais laisse entendre qu’elle penche du
côté des experts. Si vous m’avez suivi jusque-là, bravo !
On voit que le contexte est compliqué et bourré de paradoxes là où
le sujet mériterait clarté et transparence.
Alors
revenons à notre place.
Moi,
médecin vaccinateur, que penser et comment aider les familles que je
reçois à penser ?
Prenons
un exemple me semblant peu controversé, le vaccin recommandé mais
possiblement bientôt obligatoire contre la bactérie haemophilus
influenzae de type b.
De
mon expérience, je n’ai jamais entendu des parents me dire :
« Nous sommes contre le vaccin haemophilus influenzae ! »
A
ma connaissance, il n’y a pas eu de suspicions autour de ce vaccin.
Et
comme il est associé avec d’autres au vaccin DTP, il est seulement
recommandé mais de fait quasiment imposé.
Cette
vaccination semble acceptée alors que peu de parents en connaissent
l’intérêt.
On
peut discuter de tout, tout remettre en cause, voir le mal partout,
mais d’après cette courbe, on comptabilise de nos jours beaucoup
moins de méningites à haemophilus influenzae de type b chez les
enfants de moins de cinq ans. Il se peut que le vaccin y soit pour
quelque chose. Il y a ce que cette courbe semble dire et tout ce
qu’elle ne dit pas.
Je
sais que les courbes, les indicateurs, les statistiques chapeautent
tout, surtout quand ils viennent des experts. Mais je persiste à
penser que l’expérience des petites gens de terrain est un élément
à prendre en compte. J’ai exercé quelque temps dans un service de
pédiatrie où l’on accueillait également les urgences. Je n’ai
pas vu un seul cas de méningite à haemophilus. Je n’ai pas vu non
plus une autre pathologie potentiellement grave liée à ce germe et
que la courbe ne mentionne pas : l’épiglottite. On peut me
rétorquer que ce que je n’ai pas vu dans un service sur un laps de
temps donné n’est pas suffisamment fiable pour en tirer la moindre
conclusion. OK, je prends. J’ai échangé à des temps séparés de
plusieurs années avec des pédiatres hospitaliers exerçant dans des
CHU diamétralement opposés en France. Ils disaient ne pas avoir vu
de cas d’épiglottite depuis très longtemps. D’autres
expériences plus longues et ailleurs que la mienne semblent mener au
même constat. Je n’oserais en tirer la moindre conclusion, je
laisse le lecteur libre de penser voire de s’exprimer en
commentaire.
Simple
réflexion : cette vaccination ne semble pas soulever trop de
suspicions, elle semble bien acceptée même si cela est biaisé par
le fait qu’elle soit en réalité imposée, elle me semble avoir
des bénéfices pour peu de risques. Son obligation officielle
changera-t-elle radicalement les choses si ce n’est radicaliser les
anti-vaccins de tout poil ?
***
Autre
exemple un peu plus controversé : le vaccin contre la rougeole
inclus dans le ROR (rougeole, oreillons, rubéole).
A
la différence du vaccin précédent, celui-ci permet de lutter
contre un virus. Comme le vaccin précédent, c’est un vaccin
recommandé. Mais non lié au DTP, il s’agit véritablement d’un
vaccin recommandé dont on peut appliquer la recommandation. Ce n’est
pas un vaccin recommandé imposé. Mais il est ou serait en passe de devenir
obligatoire.
Je
propose tout le temps ce vaccin. Malgré les suspicions rôdant autour
de ce vaccin et l’autisme, je rencontre très rarement de refus.
Voilà
donc un vaccin simplement recommandé, sur lequel le trouble est jeté
mais qui ne me semble pas être massivement rejeté par la population
que je reçois.
Pourtant,
certains experts ont un autre discours. Par exemple, le Professeur
Chast n’hésite pas à affirmer dans les colonnes du Parisien
:
«Quand
il n'y a pas d'obligation vaccinale en France, on ne vaccine pas. Il
faut en passer par là pour obtenir des résultats.»
Voici
quelques données intéressantes bien plus fiables que ma modeste
expérience de médecin non expert :
D’autres
données de couverture selon l’âge ici
Je
sais que les experts souhaiteraient un taux de couverture plus élevé,
supérieur à 95 %. Mais de là à affirmer que sans obligation en
France, on ne vaccine pas, c’est un peu prendre les patients comme
les médecins pour des jambons.
Il
est vrai que la rougeole a tué des enfants en France. C’est un
argument qui fait réfléchir la ministre sur l’extension de
l’obligation vaccinale.
Entre
le 1/01/2008 et le 31/12/2016, dix enfants sont morts de la rougeole.
Dix morts en huit ans.
On
ne parle ici que de la mortalité, il y a évidemment aussi les
complications à prendre en compte.
Parlons
froidement de la mortalité. Posons-nous la question suivante :
quelle est la première cause de mortalité des enfants de moins de 15 ans en France ?
Réponse : Les accidents domestiques
230
décès chez les moins de 15 ans parmi les 15 à 20 000 décès
annuels.
S’il
faut réfléchir à rendre obligatoire le vaccin contre la rougeole
qui a tué à 10 reprises en 8 ans, alors que pourrions-nous imposer
pour éviter les 230 décès annuels d’enfants causés par les
accidents domestiques ?
Allons
plus loin.
Le tabac tue 79 000 personnes par an en France soit 216
décès/j ce qui en fait la première cause de mortalité évitable.
Quant à l’alcool, c’est 49 000
morts par an et 1 200 000 malades.
Un
seul ministre de la santé a-t-il déjà réfléchi à interdire le
tabac et l’alcool ?
Et
les maladies cardiovasculaires, je vous laisse aller chercher le
nombre de morts, pourrait-on envisager l’obligation d’exercice
physique pour les prévenir ? Pourrait-on envisager l’obligation à la prise des médicaments pour éviter qu’elles ne s’aggravent chez
ceux qui en souffrent ?
N’est-ce
pas dans cette logique-là où l’on souhaite nous entraîner ?
Je
suis modeste médecin non expert, je propose des vaccins, je pratique
des vaccins, l’extension de l’obligation vaccinale faciliterait
mon quotidien et me ferait gagner du temps.
Malgré tout, je crains
que cela radicalise et gonfle les rangs des antis tout en glorifiant des experts suffisamment pédants ainsi et loin de la réalité de terrain. Quant à l'effet sur les esprits nuancés, je le vois proche de zéro.
En 2017, je crois surtout que notre société
a passé ce stade d’infantilisation et que pour lutter contre les
morts prématurées, il y a d’autres priorités à réfléchir.
Pour réfléchir à l'obligation vaccinale ailleurs, vous pouvez piocher chez :