Ce billet n'était pas prévu, mais ce sont les imprévus qui épicent la vie.
22 mai 2013 :
-7 h00 du mat:
Je suis de garde depuis 8 h 30 la veille, il me reste encore 1 h 30 à tirer puis suivra le staff. La nuit fut plutôt calme. Le temps est clair. Ici en Martinique, c'est un jour férié, nous fêtons l'abolition de l'esclavage décrétée le 22 mai 1848. Je décide d'en faire un tweet car je sais très bien que cette date est peu connue en métropole. Déception, aucune réponse, aucun retweet. Je me dis "alors les métros, décrispez-vous, on n'y est pour rien dans cette histoire, ça date maintenant, mais n'oublions pas pour autant, c'est aussi important voire plus que le lundi de la Pentecôte non ?". Puis je reviens à la raison. Ma liste d'abonnés est ridicule (en quantité bien sûr, parce que question qualité, elle est formidable !). Et il y a le décalage horaire, et les gens sont plongés dans leurs préoccupations, etc, etc... Je retente le coup plus tard. Pareil. Tant pis. Ma garde se termine, je rentre.
-19 h00 :
J'ouvre ma boîte mail. Une consœur et amie bienveillante m'a envoyé un message accompagné d'une pièce jointe. Je le retranscris ici :
"Objet : rien que pour toi !
Je ne pouvais décemment pas te laisser louper ce billet d'humeur savoureux publié par le président de l'ordre des médecins de l'Hérault... La grande classe !
On lui dit qu'il est minable ?"
On lui dit qu'il est minable ?"
La pièce jointe est la page 5 de la lettre n°23 du Conseil de l'Ordre des Médecins de l'Hérault. En détachement en Martinique pour 6 mois, je suis encore inscrit à l'Ordre de l'Hérault. Je devrais donc bientôt recevoir la lettre papier.
Je lis et j'hallucine ! Je relis, et je rehallucine !! Je rerelis, et je rerehallucine !!! C'est pas possible, il ne s'agit pas d'un billet d'humeur, mais d'un billet d'humour, une faute de frappe est vite arrivée. Bon, même pour un billet d'humour, rien de très marrant quand même.
Je réponds à ma consœur (que j'embrasse au passage) que mon mur des cons à moi est déjà plein, mais qu'elle me donne là l'occasion d'en débuter un deuxième. Je commence à me demander si finalement on ne pourrait pas recouvrir la muraille de Chine.
23 mai 2013 :
-8 h00 du mat :
En route pour l'hosto, les enfants déposés à l'école, je reparle de la page 5 de la lettre n°23 avec mon épouse. Et tous les deux, on rerererehallucine. L'effet de groupe certainement. Me vient une idée. Je lui soumets. Elle me dit :"Non, laisse tomber, ça va le rendre triste". Elle a peut-être raison, ne remuons pas le couteau dans la plaie. Mais quand même, se taire ça fait chier, c'est presque être complice.
-fin de matinée :
Je relève le courrier dans ma boîte à lettres, la vraie pas la virtuelle. J'ai reçu la fameuse lettre n°23 consultable via ce site (les lettres ayant été retirées du site du CDOM 34). J'enlève le plastique et je vais directement à la page 5. Y a pas à chier, c'est vraiment écrit ça. Je lis l'édito rédigé par le même auteur que le billet de la page 5. C'est complètement dingue. Sans le nommer, cet édito évoque le cas JC ( Jérôme Cahuzac, pas Jésus Christ hein !). Je le trouve bien cet édito, et je suis en accord avec. Il reprend un article du code de déontologie "le médecin doit s'abstenir, même en dehors de l'exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci". L'auteur de l'édito insiste sur le mot "même" et écrit "Ce petit mot de quatre lettres impose au médecin d'être irréprochable toujours et partout, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise!". La vache, ça fout la pression ça nom d'une pipe ! Les boules ! Et je me dis "mais au fait, il parle vraiment de JC ? ou de lui le bonhomme ?" C'est vrai, c'est la classe ça, c'est intentionnel de ne pas nommer JC dans l'édito, il pourra ainsi resservir dans la prochaine lettre, la lettre n°24 qui reviendra peut-être sur les propos du Dr Patrick Wolff, président du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de l'Hérault. Bref, en attendant, que faire ? Que dire ? A qui ? Comment ?
C'est décidé, tant pis pour ma femme, je vais au bout de mon idée, j'adresse la page 5 de la lettre n°23 à Borée. Je ne sais pas ce qu'il en fera, mais s'il souhaite en faire quelque chose, je sais qu'il le fera bien et que ça aura une certaine portée. Voilà, un click et c'est parti.
-dans la soirée :
Je cogite. Ai-je bien fait ? Pourquoi ai-je fait ça ? Vais-je blesser Borée, ce médecin avec lequel je communique virtuellement depuis peu, mais que j'apprécie beaucoup ?
Moi, je suis hétéro jusqu'au cou. Allez, on est entre nous, et puis vu le vocable utilisé par mon Président Ordinal, peut-être que pour se comprendre il faut utiliser le même. Maman, Papa, Belle-Maman, Beau-Papa, désolé, c'est pas moi qu'ai commencé, c'est lui, alors j'y vais, je me lâche. Je suis hétéro jusqu'aux couilles ! Lors de mes premiers émois d'ado, ce sont les nichons des meufs qui ont fait pétiller mes roustons ! J'y peux rien, c'est comme ça, c'est la vie et ça n'a jamais changé. Mais collégien, j'ai eu un prof homo que j'appréciais beaucoup. Carabin, j'ai croisé la route de camarades carabins homos. Jeune médecin, j'ai remplacé longuement un médecin homo, j'ai eu des patients homos, j'ai reçu les enfants de couples de femmes homos. Et alors, quel est le problème ? Le problème c'est qu'en lisant la page 5 de la lettre n°23, certains visages d'hommes et de femmes sont revenus dans mon esprit. Oui je suis hétéro jusqu'aux couilles, chacun a le droit de penser ce qu'il veut, mais les mots utilisés par le Dr Wolff m'ont fait mal et m'ont semblé indignes d'un médecin qui plus est, Président d'un Conseil de l'Ordre d'un Département. Une instance veillant à la déontologie de la profession, à pacifier les désaccords entre médecins, entre médecins et patients. Oui, je pense que le Dr Wolff, du fait de sa profession et de son statut, a le droit de penser ce qu'il écrit, mais pas d'écrire ce qu'il pense. Il peut à la rigueur tenir ce genre de propos lors d'un repas de famille bien arrosé, lors d'un pot entre potes, mais pas dans une lettre ordinale. Il s'agit là d'une faute. Comment prétendre représenter le corps médical en tenant ce discours ? Je me souviens d'un Président de la République qui un jour a dit "Casse-toi pauv'con !". L'homme Sarko avait bien sûr le droit de penser ça, mais le Président n'avait pas à le dire. Lorsqu'on accède aux responsabilités, il faut prendre de la hauteur, être digne de son statut et de tout ce et tous ceux qu'on représente. Il y a des lieux de débats utiles et nécessaires, mais là on se vautre dans une sorte de combat futile et primaire.
24 mai 2013 :
7 h00 du mat :
Je me prépare pour aller prendre ma garde à 8 h30. Je jette un œil sur ma boîte mail. Borée m'a répondu et demande mon accord pour utiliser la page 5 de la lettre n°23. Non mais, comme si moi qui ne suis rien, avais à donner une telle autorisation. Et franchement, c'était justement mon petit espoir secret. J'ai un pressentiment, je sais qu'il va faire quelque chose de bien, je sais que c'est quelqu'un de bien.
Je prends ma garde. Je m'occupe des petits patients qui arrivent aux urgences pédiatriques. Entre petits bobos et grosses pathos, la journée se passe.
19 h00 :
Depuis mon poste informatique à l'hosto, je n'ai pas accès à ma messagerie. Mais lorsque l'activité me le permet, je peux aller sur Twitter. Je vois des messages de Borée passer. J'échange quelques tweets. Il annonce qu'il publiera un billet sur son blog le lendemain matin. Je le découvrirai plus tard, mais ce billet est "en avant-première" sur ma messagerie perso à laquelle je ne peux pas accéder. La nuit passe.
25 mai 2013 :
7 h 00 du mat :
Je suis un peu décalqué par ma garde, c'est bientôt fini. Et au fait, le billet de Borée. Je file sur l'ordi, c'est déjà le début d'après-midi en métropole, je découvre que Borée a fait le buzz, le buzz du buzzness man. Yes, Yes, et Yes !!! Je vois que les commentaires sur son blog et sur Twitter affluent. Les habituels, Dupagne, Lehmann, Jaddo, et tous les autres de la blogosphère. Des anonymes. Des pseudonymes. Puis des vice-présidents du Conseil National de l'Ordre des Médecins en personnes y vont de leurs petits messages de soutien à Borée. Ouf, quel soulagement ! Là-haut chez les gradés, on honore la profession.
Plus tard dans la journée :
Je n'ai rien fait mais je suis heureux. A 8000 kms, j'observe tout cela à travers mon petit écran d'ordinateur, à l'ombre d'un cocotier, en sirotant un Daïquiri sauce Hemingway (ça c'est pas vrai, c'est juste pour vous mettre l'eau à la bouche).
Plus tard dans la journée :
Je n'ai rien fait mais je suis heureux. A 8000 kms, j'observe tout cela à travers mon petit écran d'ordinateur, à l'ombre d'un cocotier, en sirotant un Daïquiri sauce Hemingway (ça c'est pas vrai, c'est juste pour vous mettre l'eau à la bouche).
Voilà. Le Docteur Wolff me caricaturera sans doute comme il sait le faire comme "La taupe qui a transmis la lettre à une tapette". Bon, je n'ai pas mis longtemps à sortir de ma galerie même si je préfère l'ombre à la lumière. Sauf que, sauf que non. C'est pas comme ça que ça marche, c'est pas comme ça que je pense. Je ne suis pas une taupe, cette lettre est consultable par tous, il n'y a rien de confidentiel. Et je ne suis pas aveugle, mais je ne savais pas vraiment comment m'y prendre pour ouvrir les yeux. Alors j'ai passé la main. C'est ça la médecine non ? Savoir passer la main à plus compétent. Le seul reproche que l'on peut me faire, c'est de ne jamais être allé voter aux élections ordinales. Mais tout cela me semble tellement flou, et n'être que de petits arrangements entre amis. Ce n'est qu'un sentiment surtout pas une affirmation. J'espère avoir tort. Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille d'aller lire les pages 4, 5 et 6 de la lettre n°19 de mai 2011. Vous pourrez y découvrir des propos tout aussi HALLUCINANTS (à dire façon Fabrice Luchini SVP). Mais cette fois-là, il me semble que le Président Wolff a su être digne de sa fonction. Que s'est-il passé en deux ans ? J'imagine que le site internet du CDOM de l'Hérault n'a jamais reçu autant de visites que ces jours derniers. Les curieux auront remarqué le portrait de Rabelais sur la première page du site. Le CDOM de l'Hérault se situe dans la belle ville de Montpellier qui abrite également la plus ancienne faculté de médecine en activité au monde. Parmi d'autres portraits, on trouve sur les murs de cette faculté celui de Rabelais, médecin, humaniste... Je ne crois pas vraiment aux forces de l'esprit, mais sait-on jamais, si l'esprit de Rabelais venait à rôder par-delà nos tergiversations, je l'imagine bien s'agacer de ne point pouvoir prendre sa plume pour nous mettre d'accord avec simplement quelques mots bien trouvés. J'espère en revanche que le Dr Wolff n'hésitera pas un seul instant à prendre la sienne pour de belles excuses publiques, il n'est jamais trop tard.
En cette fin d'après-midi, je pense à cette date du 22 mai 1848, à la liberté des esclaves. A l'époque, on entendait probablement certains colons blancs dire "Regardez ces nègres, hier ils étaient enchaînés, aujourd'hui ils sont déchaînés. Ils ont peut-être gagné leur liberté, mais nous ne serons jamais à égalité".
Je repense ensuite à ce 22 mai 2013, lorsque j'ai reçu la page 5 de la lettre n°23...
Enfin, j'imagine qu'on entendra toujours ce genre de discours de comptoir : "Moi raciste, mais non, j'adore les étrangers, d'ailleurs le petit cousin de la femme de ma tante est Suisse. Par contre, j'avoue que les noirs, eux c'est pas pareil, je les aime pas trop. Moi homophobe, mais non, aucunement, c'est juste les pédés que j'aime pas trop..."
Le soleil se couche sur la mer Caraïbe. Je fixe l'horizon là où mer et ciel se rejoignent tout en restant éternellement séparés. Un couple impossible. Les alizées me caressent la peau. La moiteur de la journée se dissipe. Je suis ému aux larmes. Ma vue se trouble, finalement ciel et mer s'accouplent, mon esprit s'éclaircit.
Je repense ensuite à ce 22 mai 2013, lorsque j'ai reçu la page 5 de la lettre n°23...
Enfin, j'imagine qu'on entendra toujours ce genre de discours de comptoir : "Moi raciste, mais non, j'adore les étrangers, d'ailleurs le petit cousin de la femme de ma tante est Suisse. Par contre, j'avoue que les noirs, eux c'est pas pareil, je les aime pas trop. Moi homophobe, mais non, aucunement, c'est juste les pédés que j'aime pas trop..."
Le soleil se couche sur la mer Caraïbe. Je fixe l'horizon là où mer et ciel se rejoignent tout en restant éternellement séparés. Un couple impossible. Les alizées me caressent la peau. La moiteur de la journée se dissipe. Je suis ému aux larmes. Ma vue se trouble, finalement ciel et mer s'accouplent, mon esprit s'éclaircit.
Vive la liberté, vive l'égalité, vive la (con)fraternité.
PS : dura lex, sed lex ? Pour certains plus que pour d'autres, mais même, c'est la loi...
2ème PS : juste pour info, toutes les femmes n'allaitent pas...
Merci pour ce grand moment 2.0 !
RépondreSupprimerB.
Toi, tu es mon héros!
RépondreSupprimerMerci à toi d'avoir relayé! Et pour ton tweet sur l'abolition de l'esclavage: le décalage horaire fait parfois tomber dans le néant des heures creuses twitterales! C'est dommage en effet... on va relayer ça!
RépondreSupprimerMerci vraiment
RépondreSupprimerJ'arrive à ce blog par celui de Borée, (suite à cette fameuse page 5...) et voilà que je me régale aussi ! ça ne s'arrêtera donc jamais ? Tant mieux, ça me rassure sur la médecine, toutes ces mobilisations : il y a encore des médecins qui gardent la tête saine.
RépondreSupprimerPour l'abolition de l'esclavage, je ne l'oublie jamais,(je suis nantaise!) mais suis déçue de voir que cette journée est peu relayée.
Continuez ! et bravo !
Fanchon
Je découvre ce monde qui n est pas le mien au fur et à mesure de l évolution de ton blog .... Reste tjs aussi critique
RépondreSupprimerKarine
Merci pour cet acte de lanceur d'alerte !
RépondreSupprimerMerci pour votre simple passage comme pour vos petits mots sur ce blog, sur Twitter, ou encore sur ma messagerie. On dit que l'union fait la force, il semble que parfois cela se vérifie. Amicalement.
RépondreSupprimerSF
L3 23 mai c'est aussi la saint Didier...
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