Malgré
des critiques peu engageantes, Bohemian Rhapsody, film retraçant
l’histoire du légendaire groupe Queen et de son charismatique
chanteur Freddie Mercury est incontestablement un succès. Le public
s’est déplacé en masse redécouvrir ou découvrir des tubes
planétaires, une voix mythique, un guitariste légendaire, que de
qualificatifs hors norme. Outre son impact commercial facilement
évaluable, peut-on imaginer d’autres répercussions moins
palpables de ce genre de film sur une population ?
Sex,
drugs, rock’n roll et santé ?
Passer
un bon moment au cinéma participe au bien-être individuel. A ce
titre, exactement comme on peut l’entendre pour le sport ou le
travail, la culture c’est la santé. Raccourci un peu bateau j’en
conviens, et pas si évident à appréhender en fonction du regard de
chacun. D’où l’idée de croiser mes propres regards sur ce film
en particulier vu par des millions de personnes. Mes regards au
pluriel car dès que l’on pose ses yeux et ses sens sur un livre,
un film, une œuvre au sens large, ce qui naît de cette rencontre
dépend en partie de ce qui nous a construit et de ce que nous
sommes.
Au-delà
du rock, du show, l’être, l’homme, le mari, le père, et,
déformation professionnelle oblige, le médecin a ainsi vu de
nombreux sujets abordés dans ce film : la sexualité, la
drogue, l’alcool, les excès en tous genres, les conduites à
risque, l’homosexualité, le questionnement sur son identité
sexuelle, la solitude face à ce questionnement, la maladie, le sida,
la vie, la mort. Bref, sur fond de We will rock you, Somebody to
love, Bohemian Rhapsody, ces différents thèmes sont venus en
permanence percutés l’être, l’homme, le mari, le père et le
médecin que je suis. Cela peut-il avoir un impact sur mon
comportement ? Au vu du nombre d’entrées, cela peut-il avoir
un impact significatif sur une population ? La culture peut-elle
contribuer même ponctuellement à actionner un des leviers de la
prévention ? La culture est-elle accessible aux populations les
plus fragiles, les plus à risque ? Participe-t-elle à diminuer
ou accroître les inégalités de santé ? Que de questions
auxquelles il est probablement difficile de répondre de façon
simple et tranchée.
Et
si l’on remplaçait le terme « culture » de ces
interrogations par le mot « médecine » ? Voilà ce
que cela donne : La médecine peut-elle contribuer même
ponctuellement à actionner un des leviers de la prévention ?
La médecine est-elle accessible aux populations les plus fragiles,
les plus à risque ? Participe-t-elle à diminuer ou accroître
les inégalités de santé ? Que de questions auxquelles il est
également difficile de répondre de façon simple et tranchée,
preuve que culture et médecine ont quelques points communs.
Le
regard de l’homme, du mari, du père, du médecin, mais encore ?
Tignasse
à la Kurt Cobain, questionnements sur la vie, sur l’avenir, besoin
de s’affirmer, quête d’identité, jouer à faire comme les
stars, c’est aussi le regard de l’ex ado qui peut venir enrichir
la réflexion. Comment un ado, un être qui se questionne et se
construit peut-il voir, comprendre ou traduire aujourd’hui les
succès, les fragilités, les excès passés de Freddie ?
Ce
film, Bohemian Rhapsody, constitue pour moi une sorte de piqûre de
rappel dont la primo-vaccination remonte aux années quatre-vingt-dix.
Il a fait revenir en boomerang des bribes de vie de la fin du siècle
dernier. J’étais adolescent à la mort de Freddie Mercury, loin de
moi l’idée à cette époque-là de devenir médecin un jour. Pour rafraîchir la mémoire des médecins et de tous aujourd’hui,
l’homosexualité n’apparaissait plus comme « trouble de la
sexualité » dans les manuels de psychiatrie que depuis une
dizaine d’années seulement (1981). Pour contextualiser le propos,
nous étions donc relativement loin du « mariage pour tous ».
Et c’est déjà le cinéma qui a eu sur moi cet effet que j’aurais
du mal à qualifier et qui a peut-être joué un rôle sur ce que
j’allais devenir. Et c’est l’école qui m’a emmené ce
jour-là au cinéma, au milieu des années quatre-vingt-dix.
Ecole,
éducation, culture, prévention, santé ?
Je
suis lycéen et notre professeure de Sciences de la Vie et de la
Terre envers qui je suis extrêmement reconnaissant pour tout ce
qu’elle a su me transmettre décide d’emmener sa classe voir
Philadelphia.
L’enseignante
avait sans doute trouvé avec ce film matière à aborder des thèmes
de son programme. C’était aussi pour elle un moyen d’instaurer
le débat entre ses élèves et de les inviter à la réflexion
autour de l’homosexualité, la maladie, la transmission du VIH. La
prof, ma prof contribuait tout bonnement à faire de la prévention.
Je n’ai jamais revu ce film mais je serais curieux de le revoir
avec mes yeux non plus d’ado mais d’homme, de mari, de père et
de médecin. Je suis certain qu’il m’a laissé quelques traces
mnésiques lorsque quelques années plus tard, devenu étudiant en
médecine, je posais mes mains maladroites sur des corps meurtris au
fond des lits d’hôpitaux. Ou encore lorsque devenu interne sur un
territoire où cette foutue maladie sévit plus qu’en métropole,
le souffrant qui se savait condamné cherchait à planter ses
pupilles dans mon regard fuyant. Mes regards au pluriel. Dès que
l’on pose ses yeux, ses mains et ses sens sur un corps, un visage,
un être au sens large, ce qui naît de cette rencontre dépend en
partie de ce qui nous a construit et de ce que nous sommes. Mon
regard fuyant. Fuir la réalité de la vie, la proximité de la mort,
s’évader dans les rues, dans les rues de Philadelphie. Dès que
les premières notes retentissent, l’être, l’homme, le mari, le
père, le médecin que je suis devenu se retrouve aussitôt dans la
peau de l’ado qu’il était, s’enfonçant dans son siège,
s’efforçant de retenir ses larmes, au milieu d’une salle de
cinéma, à la fin de Philadelphia.
Streets
of Philadelphia, Bruce Springsteen, Sex, Drugs, & Rock n’Roll.
Le
mot « drug » peut se traduire de deux façons :
drogue et médicament. Bien que nous soyons sur un blog de médecin,
il a été pour le moment peu question de médicament. Patience, ça
arrive. Mais plusieurs jalons devaient être posés et surtout, le
principe ici est toujours d’inviter à la réflexion, de voyager
vers le questionnement. Tout ce qui précède peut-être transposé à
ce qui va suivre. Tout ce qui va suivre est sans doute à voir avec
plusieurs regards. C’est le croisement des regards qui enrichit la
pensée.
Aurions-nous
pu sauver le soldat Freddie ?
Avec
nos armes actuelles, nos outils de prévention, Queen remplirait-il
toujours les stades du monde ? The show must go on.
L’affiche
ci-dessus invite à utiliser un des moyens de prévention à
disposition, à savoir la prise d’un médicament antirétroviral
(Truvada) contre l’infection par le virus VIH par des personnes non
infectées mais exposées à un haut risque de contamination. Cette
méthode s’appelle « PrEP » pour Pré
(avant) – Exposition
(contact avec le VIH) – Prophylaxie
(prévention de l’infection). Il s’agit d’une prescription
encadrée et ciblée dont la Haute Autorité de Santé donne des
précisions : La prophylaxie pré-exposition (PrEP) au VIH par TRUVADA.
Tous
les outils de prévention contre cette terrible infection sont à
considérer.
Celui-ci
s’est confronté à nos questions précédentes sur la culture et
la médecine : Cette méthode est-elle accessible aux
populations les plus fragiles, les plus à risque ?
Il
semblerait que non puisque peu connue de la population ciblée, une
campagne nationale de promotion de la PrEP a été lancée durant
l’été 2018. Il est ainsi possible d’en voir des affiches sur
les panneaux publicitaires des arrêts de bus par exemple avec
l’hypothèse que diffusée dans la population générale,
l’information atteindra la population à risque. Si effectivement
par ce biais des contaminations peuvent être évitées, nous ne
pouvons que nous en réjouir.
Malgré
tout, comme dans toute démarche, que celle-ci soit curative ou
préventive, je me pose la question de la balance bénéfices-risques
de ce genre de campagne : quel impact peut-elle avoir sur la
population générale ? Quel effet sur le comportement
individuel du mari infidèle, de la quinqua divorcée à la recherche
du prince charmant, du petit groupe d’ado en quête d’expériences
nouvelles, et ainsi de suite ? Quels effets collatéraux sur
toutes ces personnes qui attendent le bus sans forcément
conscientiser les différents messages, la masse d’images et
d’informations non filtrées, non accompagnées qui les
traversent ? Il y a souvent un delta entre l’information
communiquée et l’information reçue. On peut ici imaginer que
l’affiche inscrive mentalement l’idée du médicament salvateur
pour tous, avant comme après un rapport sexuel, et que bien que
certains soient remboursés depuis peu, les préservatifs qui
protègent contre le VIH et d’autres infections sexuellement
transmissibles passent à la trappe. Autrement dit, la rencontre d’un
message aussi louable soit-il et de l’esprit ne peut-il pas
renforcer le comportement bénéfique pour un individu tout en
précipitant un autre moins averti, peu disposé, dans une conduite à
risque ?
Dans
une société dans laquelle la marchandisation des corps est en
marche à vive allure, où la médicalisation des moindres recoins de
l’intimité de la vie s’étend chaque jour un peu plus, où la
frontière entre campagne préventive et campagne
publicitaire n’est pas toujours très nette, où l’on observe
fréquemment que la surpuissante industrie pharmaceutique aux
manettes a la fâcheuse tendance à médicamenter toujours plus pour
gagner encore plus, où il suffit d’un click pour commander des pilules en
ligne, où malgré le célèbre message « les antibiotiques
c’est pas automatique », nous sommes toujours confrontés à
des résistances bactériennes inquiétantes, que les virus
s’emparent également de cette capacité à résister, ce sont
toutes ces questions et ces aspects qui viennent se percuter car les
choses sont souvent beaucoup plus complexes qu’on ne veut le
présenter.
Are
we the champions, my friends ?
Sex,
drugs & rock n’roll.
A part Sidaction et le 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le Sida, les actions de prévention ont quasiment disparues des écrans de nos vies. Si les affiches sur la PrEP existent c'est parce qu'il y a une info nouvelle mais aussi un marché pour le médicament d'un laboratoire. Vous remarquerez dans le texte de l'affiche que les caractères les plus grands sont: un comprimé par jour.
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