Deux
ans.
Oui
deux ans qu’on angoisse.
Enfin,
que moi j’angoisse. Car elle, je pense qu’en fait ça allait
jusqu’à ce que je lui transmette mes peurs.
Mais
ça y est, je peux pousser un gros « OUF » de
soulagement. On est sauvés.
Enfin,
elle, elle est sauvée. On peut dormir tranquille pour les deux
années à venir.
Elle,
c’est mon amie coiffeuse.
Enfin,
mon amie, ma très bonne amie, enfin, tu vois quoi. Une excellente
amie dont je n’ai jamais parlé pour ne pas éveiller les soupçons.
Alors « chut », secret médical please. D’ailleurs
ma tignasse folle, c’est pour ça. Ne pas laisser imaginer un seul
instant que je puisse avoir une amie coiffeuse plus qu’intime. Tu
la sens la stratégie ?
Elle
avait trente-huit ans quand je l’ai connue. C’est pour ça qu’on
a dû attendre deux ans. Et encore, on a beaucoup de chance car ici
on est précurseurs. Quand je pense que quasiment partout ailleurs il
faut attendre l’âge de cinquante ans pour être délivré. Quelle
injustice ! Et après on nous parle « d’égalité
territoriale », « d’inégalités sociales de santé »,
« de liberté, égalité, fraternité », ah ah !
Foutaises ! Elle est où l’égalité ? Et la liberté ?...
Laisse-moi glousser.
Mais
nous ça va, on a la chance d’être du bon côté de la frontière,
dans ce bel endroit ensoleillé où les institutions officielles
laissent faire les yeux fermés. Quelle chance !... Alors dès
que ma copine coiffeuse a atteint l’âge de quarante ans, je lui ai
laissé un peu de temps pour souffler sa bougie rose bonbon, ouvrir
son paquet orné d’un beau ruban rose bonbon, siffler sa coupe de
champ’rosé, puis très vite on a discuté sérieusement. Je lui ai
rappelé que le moment était enfin venu, qu’elle avait tout à y
gagner car c’était 100 % utile.
En
plus, elle est du mois d’octobre ma copine. C’est drôle hein. Un
signe du destin très certainement. Et avec tout le tapage médiatique
autour du sujet en ce mois d’octobre, évidemment, je n’ai pas eu
de mal à la convaincre. Je lui ai prouvé par la même occasion que
je tenais beaucoup à elle. Il est vrai qu’on n’était pas
obligés d’attendre ses quarante ans, j’aurais pu lui prescrire
ça moi-même bien avant. Mais je me disais que ça risquait de
polluer notre relation amicale. Enfin, « amicale », tu
vois ce que je veux dire, on se comprend. Alors on a patienté pour
pouvoir bénéficier d’un dispositif officiel totalement
indépendant et fiable. Il faut toujours savoir raison garder.
Pour
être honnête, je lui en avais parlé depuis un moment mais je ne la
sentais pas prête. Elle était sur la défensive et on a fini par
s’engueuler. Les femmes, ces êtres que j’aurai toujours tant de
mal à comprendre. Je suis médecin, je ne lui veux que du bien,
malgré tout, je te le donne dans le mille, au début elle m’a
envoyé bouler. Comme si elle savait mieux que moi ce qui est bon ou
pas pour elle, non mais alors. Elle m’a envoyé dans les dents que
comme beaucoup de médecins, je voyais le mal partout, que j’avais
une vision biaisée par mon métier. Alors j’ai joué sur la corde
sensible, la féminité, l’image, la sensualité.
« Tu
sais que pour une femme cette partie du corps est importante, c’est
pour ton bien, ton bien-être, ton épanouissement ».
Elle
n’a jamais vraiment pris conscience de sa chance d’être tombée
sur un type comme moi, quelle chance !... Elle a malgré tout
fini par ruminer puis culpabiliser. Alors l’heure est venue et elle
a franchi le cap. Je pense qu’elle l’aurait fait d’elle-même,
sans que je ne ramène le sujet sur la table. Je ne comprends pas les
femmes mais je sais être persuasif. Elle est montée dans le camion
rose dès le lendemain de son anniversaire. J’étais très fier
d’elle.
Puis
tout a basculé.
L’examen
de dépistage s’est pourtant révélé normal. On aurait pu
profiter de ce bonheur partagé pour les deux années à venir, mais
non, Madame en a décidé autrement. Elle m’a volé dans les plumes
comme personne ne l’avait jamais fait, moi qui ne souhaitais que
son bien. Ses phrases assassines résonnent encore :
« Imagine
que l’on m’ait trouvé une anomalie, imagine l’angoisse, là
tout est beau tout est rose mais imagine un peu s’il avait fallu me
biopsier, voire pire que ça ! M’amputer, pour rien
peut-être ! Jamais tu ne m’as parlé des risques, du
sur-diagnostic, des sur-traitements. Pour toi je ne suis qu’une
blondasse écervelée, tu crois que je ne comprends rien, mais merde,
c’est ma santé, c’est mon corps, pas le tien ! Que tu
m’informes, que tu m’accompagnes OK, mais que tu choisisses à ma
place, je dis NON ! »
Avoue
que c’est incompréhensible d’encourager sa copine à se faire
dépister le plus tôt possible et finir par se le faire reprocher.
Les femmes… Je te jure.
Pour
tenter d’y voir plus clair, je lui ai discrètement subtilisé sa
tablette pour analyser l’historique de son navigateur. Je suis donc
allé sur son Gougueule et j’ai commencé à comprendre. Madame est
allée s’informer sur le net et bingo, tu sais mieux que moi ce
qu’on y trouve sur le net, des choses pas toujours très nettes. Il
y avait par exemple de vieux billets bas-been questionnant l’intérêt
de la mammographie de dépistage en population générale dès 40 ans
comme ici et
là. Il y avait d’autres blogs sur le sujet du dépistage organisé
dont les auteurs sont médecins comme ici et là aussi. Il y en avait une liste bien fournie. Évidemment dès que tu es
médecin, ça te rend hyper-crédible mais méfie-toi, les toubibs
qui écrivent ce genre de trucs sont des anarchistes de la médecine,
même parfois des terroristes médicaux.
Le
pire, c’est que j’ai même découvert des sites sur le sujet tenus par
des non-médecins, voire des patientes. Comme si ces personnes avaient le
recul nécessaire et les connaissances suffisantes pour s’exprimer,
franchement on aura tout vu. C’est tellement affligeant que ça me
fait mourir de rire. Finalement elle a raison ma copine, ce n’est
qu’une blondasse de nénette écervelée absolument pas armée pour
différencier le vrai du faux sur le net.
Et
toi qu’en penses-tu ? Es-tu suffisamment armé(e) ? Es-tu
correctement et loyalement informé(e) ?
Par
exemple, dans ce billet, où est la réalité ? Quelle est la
part de vérité ?
Je
vais te faire une confidence, l’essentiel de ce billet est fictif.
Enfin, l’essentiel, ce qui est essentiel à mes yeux ne l’est pas
forcément aux tiens mais je tiens à t’annoncer que je n’ai pas
de copine coiffeuse, c’est un personnage.
En
revanche, je peux t’assurer que l’on propose encore en 2015 sur
le territoire français des mammographies de dépistage dès l’âge
de 40 ans en population générale car cela serait 100 % utile comme
ne l’indiquent pas les recommandations officielles…
Et
qu’en penser à partir de 50 ans ? Ce n’est pas à moi ni à
quiconque de penser ni de choisir à ta place. Par contre, je peux te
filer un tuyau pour obtenir des informations vraisemblablement plus
objectives contrebalançant le magma médiatique d’Octobre Rose
afin que ton choix se fasse avec un peu plus de clarté. Je te
conseille donc vivement la lecture de ce site cancer-rose.fr
et plus particulièrement de sa brochure d’information. Tu auras
ainsi la chance d’être mieux armée pour décider ou non de te
faire dépister.
Quelle chance !...
Bonsoir,
RépondreSupprimerTrès beau billet mais beaucoup trop deuxième degré pour les partisans mordicus du dépistage, du haut en bas de l'Etat, dans toutes les spécialités impliquées, oncologues, chirurgiens, radiologues, gynécologues, sans compter les MG qui écoutent Europe 1 et qui pensent que Kierzek dit le vrai, dans toutes les agences gouvernementales qui croient dur comme fer à ce qu'elles écrivent au mépris de l'évidence...
Ton billet est fait pour les convaincus, pour les presque convaincus, pour ceux qui essaient d'aller à l'encontre du courant dominant, il est super bien écrit mais comment veux-tu qu'une Marisol Touraine y comprenne quelque chose ?
Continuons, continuons, continuons.
Courage.
Docdu16, tout d'abord merci pour le compliment. Venant d'un sniper comme toi, c'est toujours bon à prendre. Ensuite, je suis complètement d'accord avec le reste de ton commentaire et je me demande régulièrement à quoi sert d'écrire des billets qui mis à part le fait de se faire un peu mousser par des personnes convaincues par le propos font souvent pschitt. En gros, on peut dire que « rien ne sert de bloguer, il faut buzzer à point ». Je sais pertinemment que vu l'audience de ce blog et le nombre de partage de mes billets sur les réseaux sociaux, le risque de faire frémir le micro-quart d'un tympan de Miss Touraine est absolument nul. En revanche, j'imagine que quelques nénettes comme ma copine coiffeuse fictive s'informent, tombent parfois sur ce genre de billet ou d'autres, vérifient l'info, se questionnent, en parlent à leur mère, leur sœur, leur cousin (ça c'est pour ne pas froisser notre confrère Kierzek) etc, et au final, même si une seule nénette se sent un peu mieux armée, alors j'estime que c'est pas si mal, c'est en tout cas ce qui me motive encore, pour le moment.
SupprimerThoughtful blog, thanks for sharing.
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