J’ai
récemment lu un billet sur le blog "Le bruit des sabots"
dans lequel on comprend que l’auteur s’est retrouvé face à un
terrible dilemme.
Qui
n’a jamais vécu cette sensation pénible face à un dilemme ?
La vie est pleine de dilemmes, c’est ainsi, et pour avancer, il
faut faire des choix. Parfois on fait le mauvais, d’autres fois, on
fait le bon, du moins le croit-on. On se trompe, on recule, puis on
poursuit. L’essentiel n’est-il pas d’être conscient d’avoir
le choix ? D’avancer dans le doute et le questionnement pour
ne pas courir éperdument dans la mauvaise direction ?
Revenons
à ce fameux billet écrit par B. , ou à B. tout simplement.
B.
est un jeune médecin généraliste fraîchement thésé, attention à
ne pas toucher la peinture elle n’est pas encore sèche. Je ne l’ai
jamais croisé ailleurs que sur le web mais tout m’agace chez B.
D’abord c’est plutôt le genre beau gosse cool avec une tête
bien remplie. Donc un type terriblement dangereux. Ensuite, il
possède un indéniable putain de fucking de ouf de malade de talent
d’écriture. Enfin, ce qu’il écrit n’est pas seulement bien
dans le style, sa réflexion est tout autant riche et pertinente. Je
l’ai lu lorsqu’il était interne, je continue de le lire depuis
qu’il est médecin et à chaque fois je me dis qu’au même
stade j’étais à cinquante mille années-lumière de sa réflexion
et de ses questionnements. Vraiment un type agaçant de bout en bout
ce B. Évidemment tout le monde aura compris que derrière le
qualificatif « agaçant », il y a bien au contraire
beaucoup d’admiration.
Le billet de B. intitulé : "Clinicat et fatum" est à lire ici. Pour faire simple, on comprend que B. peut entamer une carrière
universitaire à condition d’accepter un poste en partie financé
par une association de médecins liée à l’industrie
pharmaceutique alors qu’il fait justement partie de ces trop
rares médecins
luttant pour préserver leur indépendance face aux mastodontes du
médicament.
Personnellement,
à moins qu’on envisage la mort de la discipline, je pense qu’il
est important de mettre en place une filière universitaire de
médecine générale digne de ce nom. J’en avais esquissé quelques
raisons dans ce billet "Juste après le ramassage de patates"
.
En
médecine, toutes les spécialités possèdent leur filière
universitaire. Par exemple, un interne en cardiologie est formé
essentiellement au sein d’un Centre Hospitalo-Universitaire (CHU)
dans lequel on trouve la filière universitaire de cardiologie, avec
des chefs de clinique cardiologues, des Professeurs des Universités
Praticiens Hospitaliers (PUPH) cardiologues. L’interne de
cardiologie peut prétendre obtenir un poste de chef de clinique
financé par l’hôpital et l’université, puis s’orienter sur
un poste de Maître de Conférence Universitaire avant pourquoi pas
de devenir à son tour PUPH afin d’être à la fois médecin,
enseignant et chercheur. En médecine générale, ce genre de poste
de chef de clinique existe depuis peu par rapport aux autres
spécialités, mais il faut semble-t-il trouver des montages
hasardeux pour les financer comme nous le montre le cas de B. C’est
un peu, enfin « un peu », on va dire « un tout
petit peu », « vraiment très grossièrement »
comme si de jeunes flics de la brigade des stup’ aspirant un jour
devenir commissaires étaient payés en partie par une association
acoquinée à une filière de narcotrafiquants. Reconnaissons que la
comparaison est exagérée à l’extrême mais avec des exemples
très caricaturaux, on pige tout de suite mieux le dilemme…
Le
billet de B. m’a froissé car il démontre une fois de plus que
derrière de belles paroles politiques « nous créons la
filière universitaire de médecine générale », la réalité
de terrain est désespérante. Il n’y aurait, en France, en 2015,
aucun autre moyen de financer cette jeune discipline universitaire de
médecine générale qu’en se fourvoyant plus ou moins profondément
dans la gueule d’un laboratoire pharmaceutique. Triste réalité.
Ce
qui est marrant, c’est que le jour où j’ai lu le billet de B.,
je suis tombé par hasard sur une vieille plaquette d’information
intitulée ainsi : « Pourquoi Ferrero soutient-il
Epode ? »
Le
programme EPODE qui de nos jours s’appelle VIF : « Ensemble
Vivons en Forme » vise à prévenir, lutter contre l’obésité
infantile en mobilisant les acteurs locaux de divers horizons au sein
des villes dont le conseil municipal a fait le choix de s’impliquer
dans ce programme de santé publique (Ah la santé publique, vaste
sujet…). Tout est expliqué sur le site de VIF.
Comme
toujours, tout ça se finance. Et parmi les partenaires de
l’association en charge de ce séduisant programme VIF, on retrouve
le groupe Ferrero, Nestlé, Orangina Schweppes, ou encore Bel (les
fromages qui ne puent pas dont j’avais parlé dans Pub Med
pour montrer les liens étroits que « La vache qui rit »
peut entretenir avec l’Association Française de Pédiatrie
Ambulatoire, preuve que certains médecins ne se posent pas autant de
questions que B.).
Il
me semble que sur le fond, on retrouve le même dilemme que B. avec
ce programme de lutte contre l’obésité infantile financé en
partie par des géants de l’industrie alimentaire, ne manque plus
que McDo ! Que penser de ce programme ? Que faire si je
suis un maire souhaitant absolument m’impliquer dans la lutte
contre l’obésité tout en refusant toute compromission ?
Mieux vaut ce programme ou rien ? Et si je suis médecin,
puis-je sereinement m’impliquer avec les différents services
municipaux dans ce programme une fois connu une partie de son
financement ? Le dilemme.
Faut-il
lutter en dehors du système ou de l’intérieur ? Pas si
facile de répondre à cette question.
B.
a accepté ce poste de clinicat, sera-t-il pour autant
épouvantablement plus compromis que quelques-uns de ses jeunes et
moins jeunes confrères de CHU payés par le seul et sain couple
hospitalo-universitaire mais exerçant dans un bain de dogmes de certains
chefs de service grassement rincés par BigPharma ? Je n’accuse
personne, je pose simplement la question.
Nous
venons d’entrevoir avec ce court billet que finalement, les
tentacules des géants du médicament comme de l’aliment ont réussi
l’infiltration parfaite. Il y a plus que certainement d’autres
exemples beaucoup plus frappants jusque dans de hautes sphères que
l’on n’oserait soupçonner. Malgré ce triste constat, il me
reste une pointe d’espoir.
Cela
fait deux ans que je reçois des internes de médecine générale. Je
ne prétends pas leur apporter un incroyable savoir-faire, mais si au
moins ils prennent conscience que l’importance réside parfois dans
le savoir-ne pas faire
, je me dis que c’est une petite victoire. Ces internes m’ont
tous surpris par leur maturité et leur acceptation du discours de
vigilance à avoir vis-à-vis de l’influence des laboratoires
pharmaceutiques.
Récemment,
un collectif d’étudiants en médecine (des « bébés »
médecins) ont sorti une brochure délicieuse intitulée :
« Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires
pharmaceutiques ? »
Le
collectif s’appelle "La troupe du R.I.R.E"
, leur brochure incontournable est téléchargeable sur le site du Formindep et à partager sans modération.
Tant
que continueront de germer ici ou là quelques souffles de saine
rébellion, l’espoir est permis.
Quant
à notre brave Benoît, mon jeune confrère face à son dilemme, je
n’oserais aucunement lui donner le moindre conseil. J’imagine
simplement qu’en acceptant ce poste de clinicat, le risque de
polluer son esprit de résistance me semble relativement faible
comparé aux bénéfices pour la médecine générale de voir un
médecin de cette trempe embrasser une carrière universitaire. Au
pire, il ne sera jamais trop tard pour revenir sur son choix en
dénonçant d’éventuelles dérives.
Dilemme, deal leem... le lecteur averti comprendra.
bravo! impec
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe voudrais apporter ici un autre éclairage : il s'agit d'un poste de chef de clinique financé en partie par l'URML de Basse-Normandie, c'est à dire le parlement régional des médecins libéraux.
Il faut savoir qu'en Basse-Normandie, il y a deux postes de chef de clinique de MG (ce qui est bien évidemment très insuffisant) et qu'à ce titre, il est apparu opportun à l'URML de promouvoir la filière de MG dans la mesure de ses moyens (qui sont je le rappelle pour l'essentiel le fruit des cotisations obligatoires de tous les médecins libéraux conventionnés).
Le chef de clinique de MG doit être installé à mi-temps en libéral, et participe donc de ce fait au financement de son propre poste puisqu'il est assujetti à la cotisation URPS obligatoire.
Ce 3eme poste créé à l'initiative de l'URMLbn et qui n'existerait pas autrement est donc financé sur un partenariat URML-Faculté- Région,
A aucun moment il n'y a eu financement par une entreprise pharmaceutique, l'auteur confond avec un partenariat entre l'URML BN et un laboratoire lors de l'organisation d'un colloque de médecine libérale depuis 3 ans.
Dr Thierry Lemoine
Trésorier de l'URMLbn
Merci pour ces précisions. C'est bien ce que j'ai compris et écrit.
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