Hippocrate
c’est pour moi ce médecin philosophe grec ayant vécu il y a très
très longtemps. Tellement longtemps que c’était même avant
Jésus-Christ, à ce qu’il paraît.
C’est
aussi et avant tout le serment qui lui est attribué, dont j’ai lu
une courte version le jour de ma thèse afin de passer du côté
obscur
des docteurs en médecine. Évidemment, ça, ça me parle beaucoup
plus.
Mais
depuis quelques jours, Hippocrate c’est aussi ce film du Dr Thomas
Lilti que je suis allé voir en solitaire un soir de météo agitée
dans un petit cinéma indépendant de province.
Confortablement
installé au fond d’un fauteuil, à ma droite, le sac à main posé
sur la veste d’une dame d’âge mûr qui n’avait manifestement
pas envie qu’un inconnu s’assoie à ses côtés. A ma gauche, un
type de la soixantaine qui avait toute la dégaine d’un toubib. Je
me trompe plus que probablement, mais j’adore imaginer la vie des
gens que je croise. J’adore me faire des films.
Ce
film justement, ce sont les premiers pas d’un interne en médecine
au sein d’un service hospitalier tenu par son père. Si tu préfères
lire l’avis demandé à des docteurs dans de célèbres magazines,
tu as celui de Martin Winckler dans Télérama
ou celui du Dr Gérald Kierzek dans Paris Match.
Quand
le premier semble avoir apprécié un film qui l’a replongé trente
ans en arrière dans un système médical français qualifié de
féodal, le second dit ne pas avoir aimé, ni ri, mais au contraire
avoir souffert et ressenti de la colère. Comme quoi, demander un
second avis médical peut parfois te perdre plus que t’éclairer
non ?
Si
tu veux l’avis d’un spectateur-médecin lambda à qui personne
n’a rien demandé mais qui a tout de même eu envie de l’ouvrir,
le voici.
Globalement,
tout est dans le titre de ce billet : «Hippocrate, merci pour
ce moment». Je reconnais l’avoir légèrement piqué à une nana
qui va se faire pas mal de fric avec cette histoire mais honnêtement,
j’ai passé un très bon moment en compagnie non pas du mais des
deux personnages principaux que sont à mes yeux Benjamin et Abdel.
Dès les premières minutes, j'ai plongé dans l’histoire et
j’ai été saisi par la justesse des lieux, des expressions, des
dialogues, des visages, des dégaines. Je me suis revu déambuler
dans le labyrinthe des sous-sols de l’hôpital en me demandant si
j’allais un jour réussir à trouver cette fichue lingerie. Je me
suis revu enfiler cette blouse rarement à ma taille, souvent maculée
de taches «propres», tout sauf hygiénique. Ce réalisme, je l’ai
observé quasiment tout au long du film qui pourtant reste une
fiction. C’est là il me semble que réside la prouesse du
réalisateur qui a réussi à concocter une histoire réaliste sans
tomber dans le documentaire. La réalité ? Quelle réalité ?
Nous avons tous notre propre réalité, nos propres réalités. J’ai
donc été parfois touché de voir certaines de mes réalités sur un
écran de cinéma. La réalité des premiers jours d’un interne
penaud les deux pieds dans le même sabot. La réalité des internes
et médecins étrangers qui font tourner nos hôpitaux et à qui
j’avais consacré un billet intitulé Etrangitude. Pour y être retourné exercer en tant que médecin relativement
récemment, la réalité du manque de matériel, du matériel
défectueux, des conditions de travail des soignants à l’hôpital,
mais est-ce mieux ailleurs et dans d’autres domaines ?
Quelques
points n’ont tout de même pas forcément été conformes à ma
réalité, je dis bien à MA réalité. Par exemple, les gardes
semblent relativement calmes dans le film. «Dans mon temps» (oh le
vieux con !), nous étions à la fois de garde aux urgences et
pour les différents services d’hospitalisation. C’était
pratiquement toujours le bordel total avec des délais d’attente
insoutenables pour les patients et donc peu d’occasions d’aller
admirer les fresques murales de la chambre de garde… Dans ma
réalité, il est également fréquent que la seule porte d’entrée
à l’hôpital soit le service des urgences, au plus grand détriment
de certains patients comme je l’avais relaté ici avec Madame Michu et son fichu sur la tête.
Certains
diront que les thèmes abordés dans le film tels les soins
palliatifs, l’acharnement thérapeutique, la confrontation à la
mort d’un patient, l’alcoolisme et bien d’autres sont seulement
survolés. Oui et alors ? Il s’agit de l’histoire des
premiers pas d’un interne dans l’apprentissage de son métier de
médecin. Rien d’étonnant donc qu’il survole ces sujets qui
seront approfondis ou pas par ses formations et ses propres
expériences tout au long de sa vie professionnelle.
On
peut comprendre que certains médecins réanimateurs se sentent
caricaturés voire insultés dans ce film. Mais au-delà des
interminables guéguerres entre différentes spécialités médicales
j’ai plutôt vu le message de toujours faire primer la chaleur
humaine et l’intérêt du patient loin devant l’action
thérapeutique systématique et la froideur de la technicité. Un peu
comme je l’ai vécu avec cette histoire : Ten years later.
Les réa en ont donc pris pour leur grade mais ça aurait très
bien pu viser une autre paroisse, de la gynéco à la cancéro en
passant par la médecine générale, oui, je ne vois pas pourquoi la
médecine générale serait épargnée. Le message est à mon avis
adressé au monde médical dans son ensemble. Je suis persuadé que
le spectateur non médecin saura faire la part des choses et ne
généralisera pas à l’ensemble des réanimateurs hospitaliers ce
qui est décrit dans ce film.
Souvent,
on dit que la réalité peut dépasser la fiction. Mais la fiction
permet parfois de dévoiler voire dénoncer certaines réalités. Je
ne vois pas pourquoi cela ne vaudrait pas pour ce film.
Avant
de terminer, je vais te raconter une courte histoire :
Elle
se déroule il n’y a pas si longtemps que ça dans un centre
hospitalier. Un médecin sénior fait sa visite au lit des malades
accompagné de sa troupe d’internes, étudiants, stagiaires,
infirmières etc… Un patient en fin de vie a envie de discuter avec
le Docteur. Il lui confie qu’il est heureux car avant de partir
pour l’éternité, il s’est fait creuser une piscine au milieu du
terrain de sa propriété. C’était son rêve, il semble apaisé de
l’avoir réalisé. Il sait qu’il n’en profitera pas, mais c’est
un cadeau offert aux siens, «un
souvenir de papy lorsque mes petits enfants s’y
baigneront gaiement ».
Une fois la discussion expédiée en moins de temps qu’il ne faut
pour la raconter et sorti de la chambre, le médecin sénior
s’adresse à son auditoire. Attention, ouvre bien les oreilles, les
deux, pour une grande séance de formation médicale non pas au lit
du malade mais dans le couloir devant la porte de sa chambre :
« Plutôt que de se faire creuser une piscine, il aurait mieux
fait de se faire creuser une tombe ». Froid silence crispé
puis sourires gênés de l’assemblée, car quand le grand Maître
fait une blague, il faut sourire, c’est la règle et il faut se
blinder comme on dit... Bien entendu, alors que ça en démange plus
d’un, personne n’ose aller lui foutre son poing dans la gueule.
Fin
de la scène que tu ne verras pas dans le film Hippocrate. Mais alors
cette scène ? Fiction ou réalité ? Ta fiction ou ma
réalité ? La réalité peut-elle vraiment dépasser la
fiction ?
Pour
finir, je pense très sincèrement que ce film peut permettre de
mieux connaître certains aspects du parcours des médecins et
contribuer à rapprocher les soignants des soignés.
C’est
pourquoi au-delà de mon avis personnel dont tout le monde se
contrefiche et c’est plus que parfaitement normal, j’ai tout de même eu
envie de dire : «Hippocrate, merci pour ce moment».
Quand j'étais externe en chir vasc, une interne, fille d'un patron d'un autre service, nous avait sorti le jeu de la grande visite ... avec festival, au lit du malade, du genre "l'évolution de sa maladie, ce sera des amputations successives puis la mort" ... Souvenir inoubliable presque trente ans après
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