Il
y a quelques mois, j’ai publié un billet intitulé "Toubib or not toubib ?" . Il s’agissait d’une tentative d’explications de ce qui
contribua à faire diminuer le taux de mortalité infantile de 1900 à
nos jours en France. L’objectif était de terminer cette
explication en évoquant la santé d’une façon générale pour
prendre conscience que le médecin n’est finalement qu’un maillon
de la chaîne dans toute cette histoire. Un maillon utile,
nécessaire, parfois indispensable, mais un maillon seulement. Pour
preuve, tu peux mettre dix toubibs bardés de diplômes, de
compétences et d’expérience autour d’un type désœuvré à la
rue qui n’a pas une thune pour bouffer, les toubibs pourront se
gratter la tête tant qu’ils veulent, ils ne régleront pas son
problème. A moins que…
A
moins que, bien avant d’arriver à cette situation extrême, le
médecin généraliste de ce pauvre homme ait correctement pris en
compte les inégalités sociales de santé qu’il subissait !
Il suffisait tout simplement de demander à ce patient : son
sexe, sa date de naissance, son adresse, son statut par rapport à
l’emploi, sa profession éventuelle, son type de couverture
sociale, et ses capacités de compréhension du langage écrit.
Fastoche non ? Le genre de renseignements qu’aucun médecin
généraliste ne relevait avant la naissance d’un fabuleux document
concocté par l’Institut National de Prévention et d’Education
pour la Santé (Inpes).
Plus
sérieusement, ce document intitulé « Prendre en compte les
inégalités sociales de santé en médecine générale »
pose un véritable problème que personne ne peut nier.
L’amélioration de la santé et de l’espérance de vie
bénéficient d’avantage aux personnes socio économiquement
favorisées. Nul doute que les différents membres du groupe de
travail ayant élaboré ce document (dont
certains ont peut-être tout bonnement été sollicités uniquement
pour apporter une caution afin de mieux faire avaler la pilule aux
médecins généralistes)
sont pétris de bonnes intentions.
La
problématique est donc posée, les intentions semblent bonnes, et
pourtant : patatras ! Les réactions de certains médecins
généralistes n’ont pas tardé comme ici
ou encore là. J’avoue comprendre leur agacement car finalement les
préconisations émises dans le document de l’Inpes laissent
sous-entendre que de simples questions de bon sens pour comprendre la
situation d’un patient n’étaient jusqu’alors pas posées. En
gros, les généralistes ne feraient pas leur boulot de base. Les
généralistes, tiens oui au fait, pourquoi les stigmatiser une
nouvelle fois et leur refourguer la question des inégalités
sociales dans une besace déjà bien remplie ? Si la question
des inégalités sociales doit être prise en compte par le monde de
la santé, elle doit probablement l’être par tous les soignants
(et je pense très sincèrement qu’elle l’est), de
l’aide-soignante, en passant par l’infirmière, la sage-femme
(qui peut penser qu’une sage-femme puisse prendre en charge une
femme enceinte sans lui demander son sexe ahahah !…, son âge,
son adresse, sa profession, sa couverture sociale, etc… afin
d’intégrer ces éléments pour conseiller au mieux sa patiente
durant sa grossesse ? ), jusqu’aux grands médecins spécialistes.
Au sujet de ces derniers, l’un d’eux a pris le problème à
bras-le-corps en faisant un vrai travail de prévention. Il a devancé
et fait gagner du temps à un éventuel futur groupe de travail de
l’Inpes en expliquant à ses confrères spécialistes comment reconnaître un riche afin de prendre en compte les inégalités sociales. Voilà, ça au moins, c’est fait !
Bref,
tout ceci pour dire que si quelqu’un prend bien en pleine face
toute la misère sociale de notre pays ainsi que son lot
d’inégalités, il est fort probable que ce quelqu’un soit un
petit peu le médecin généraliste. Et que face à cela, malgré le
document de l’Inpes, le médecin généraliste soit tout autant
démuni qu’avant ce document. Car c’est bien beau de prendre en
compte, mais le principal n’est-il pas : que fait-on après ?
Comme tout dépistage, c’est bien beau de dépister, mais si c’est
pour ne rien proposer de concret pour améliorer la situation, ça
fait une belle jambe à tout le monde, ça crée des angoisses de
toute part, génère de l’impuissance et de la culpabilité chez le
professionnel.
Allons
même jusqu’à poser cette question vicieuse: le document de
l’Inpes ne va-t-il pas aggraver quelques burn-out de plus chez
certains médecins généralistes ? Roh ben non quand même faut pas
pousser mémé dans les orties… Alors esquivons, esquivons !
Puisqu’il
apparaît que les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres,
est-ce dû à leur mode de vie ? A leur travail ? Qu’en
est-il des moyens mis en œuvre pour la médecine du travail chez les
cadres et les ouvriers ? Y a-t-il plus de prévention chez les
ouvriers pour éviter les accidents du travail ? Moi, je n’en
sais rien, je pose juste des questions ? Ce document de l’Inpes
aiguise ma curiosité et faute d’apporter des réponses, m’amène
à tellement de questions. Est-ce si bon à la santé de se poser
tant de questions ? Pas si sûr, alors esquivons.
Esquivons,
organisons de nouveaux groupes de travail, éditons de nouveaux
documents inutiles pour mieux taire les vrais problèmes, masquer
l’impuissance voire parfois l’incompétence des principaux
acteurs qui pourraient lutter contre les inégalités sociales.
Continuons de créer de nouvelles instances dont notre pays semble
tant raffoler, à côté de l’INPES, l’INVS, le HCSP, la HAS,
l’INCa, les ARS (dont nous aurons déjà observé sur ce blog
l’incroyable réactivité…).
Et
surtout, balayons d’un revers de main ce qui à mes yeux
d’inpessile
heureux a récemment contribué à augmenter des inégalités
sociales de santé largement évitables, comme par exemple et par pur
hasard, l’instauration des franchises médicales. Des franchises
mises en place par les petits copains d’une emblématique ministre
de la santé dont le fils s’est un beau jour retrouvé catapulté
une fois de plus par le plus grand des hasards à la direction
générale de l’Inpes affublé du doux attribut de « Plaidoyer
de la santé ».
Sur
cet organigramme, Pierre Bachelot (pas Bachelet le chanteur des
Corons hein !) n’est autre que le fiston de Roselyne. Comme
quoi le hasard hein ! Tu connais l’histoire des fabricants de
mines antipersonnel et des sociétés de déminages qui ne feraient
qu’un ? Mythe ou réalité ? Oh je charge les Bachelot,
c’est nul, mais t’inquiète, les socialistes vent debout contre
les franchises à l’époque ne la ramènent pas trop maintenant
qu’ils ont les manettes. Mais pas de stress mec, car pour
réellement lutter contre les inégalités sociales, il faut entre
autres et avant tout faire baisser le chômage et améliorer le
pouvoir d’achat en relançant la croissance. Tu vois c’est pas
compliqué. Et pour ça, il suffit de pousser la reprise, voilà
comment on fait (tu vas voir, on va rigoler, c'est du même genre que le document de l'Inpes) :
"La
note de l'Insee s'intitule Reprise
poussive,
alors, on peut dire il y a une reprise. Elle est poussive, donc faut
la pousser, quand vous avez quelqu'un de poussif, faut le pousser. Eh
ben, la reprise, c'est pareil, faut la pousser" dixit Mr le
président François Hollande en marge du Conseil européen à
propos des chiffres de l'Insee sur le chômage en fin d’année
2013. Si tu veux les images c’est ici.
Alors, tout va bien. Revenons à nos moutons : les inégalités sociales de santé à prendre en compte en médecine générale. Calmez-vous les généralistes, je vous sens un peu poussifs sur le sujet. Don’t worry, be happy ! On va vous pousser légèrement... dans le gouffre ! Moi, je vais continuer mon petit bonhomme de chemin sans trop me poser de questions. J’espère ainsi vivre longtemps en inpessile heureux sans qu’aucun médecin ne trouve le moyen de me guérir !
PS :
par curiosité, j’ai filé ce document à une assistante sociale
(34 ans de carrière) en lui demandant de le lire pour me donner son
avis, sans faire le moindre commentaire. Ce n’est qu’un avis qui
vaut ce qu’il vaut, mais le voici retranscrit ici avec son
autorisation :
« Maintenant,
j’ai plus peur qu’avant. Je m’attendais à découvrir quelque
chose de nouveau, mais qu’il faille le redire, alors là ça me
fout la trouille. Je croyais que c’était le b a ba »...
C'est ça. Fallait-il le redire? Et à nous? Passée la colère, et la consternation, tu as raison: continuons notre petit bonhomme de chemin. On les a pas attendus, alors on va faire comme on le sent, et surtout comme on le peut...
RépondreSupprimerDrLaeti