jeudi 14 août 2014

Inpessile heureux !

 
 
 
Il y a quelques mois, j’ai publié un billet intitulé "Toubib or not toubib ?" . Il s’agissait d’une tentative d’explications de ce qui contribua à faire diminuer le taux de mortalité infantile de 1900 à nos jours en France. L’objectif était de terminer cette explication en évoquant la santé d’une façon générale pour prendre conscience que le médecin n’est finalement qu’un maillon de la chaîne dans toute cette histoire. Un maillon utile, nécessaire, parfois indispensable, mais un maillon seulement. Pour preuve, tu peux mettre dix toubibs bardés de diplômes, de compétences et d’expérience autour d’un type désœuvré à la rue qui n’a pas une thune pour bouffer, les toubibs pourront se gratter la tête tant qu’ils veulent, ils ne régleront pas son problème. A moins que…
 
A moins que, bien avant d’arriver à cette situation extrême, le médecin généraliste de ce pauvre homme ait correctement pris en compte les inégalités sociales de santé qu’il subissait ! Il suffisait tout simplement de demander à ce patient : son sexe, sa date de naissance, son adresse, son statut par rapport à l’emploi, sa profession éventuelle, son type de couverture sociale, et ses capacités de compréhension du langage écrit. Fastoche non ? Le genre de renseignements qu’aucun médecin généraliste ne relevait avant la naissance d’un fabuleux document concocté par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (Inpes).
 
Plus sérieusement, ce document intitulé « Prendre en compte les inégalités sociales de santé en médecine générale » pose un véritable problème que personne ne peut nier. L’amélioration de la santé et de l’espérance de vie bénéficient d’avantage aux personnes socio économiquement favorisées. Nul doute que les différents membres du groupe de travail ayant élaboré ce document (dont certains ont peut-être tout bonnement été sollicités uniquement pour apporter une caution afin de mieux faire avaler la pilule aux médecins généralistes) sont pétris de bonnes intentions.
 
La problématique est donc posée, les intentions semblent bonnes, et pourtant : patatras ! Les réactions de certains médecins généralistes n’ont pas tardé comme ici ou encore . J’avoue comprendre leur agacement car finalement les préconisations émises dans le document de l’Inpes laissent sous-entendre que de simples questions de bon sens pour comprendre la situation d’un patient n’étaient jusqu’alors pas posées. En gros, les généralistes ne feraient pas leur boulot de base. Les généralistes, tiens oui au fait, pourquoi les stigmatiser une nouvelle fois et leur refourguer la question des inégalités sociales dans une besace déjà bien remplie ? Si la question des inégalités sociales doit être prise en compte par le monde de la santé, elle doit probablement l’être par tous les soignants (et je pense très sincèrement qu’elle l’est), de l’aide-soignante, en passant par l’infirmière, la sage-femme (qui peut penser qu’une sage-femme puisse prendre en charge une femme enceinte sans lui demander son sexe ahahah !…, son âge, son adresse, sa profession, sa couverture sociale, etc… afin d’intégrer ces éléments pour conseiller au mieux sa patiente durant sa grossesse ? ), jusqu’aux grands médecins spécialistes. Au sujet de ces derniers, l’un d’eux a pris le problème à bras-le-corps en faisant un vrai travail de prévention. Il a devancé et fait gagner du temps à un éventuel futur groupe de travail de l’Inpes en expliquant à ses confrères spécialistes comment reconnaître un riche afin de prendre en compte les inégalités sociales. Voilà, ça au moins, c’est fait !
 
Bref, tout ceci pour dire que si quelqu’un prend bien en pleine face toute la misère sociale de notre pays ainsi que son lot d’inégalités, il est fort probable que ce quelqu’un soit un petit peu le médecin généraliste. Et que face à cela, malgré le document de l’Inpes, le médecin généraliste soit tout autant démuni qu’avant ce document. Car c’est bien beau de prendre en compte, mais le principal n’est-il pas : que fait-on après ? Comme tout dépistage, c’est bien beau de dépister, mais si c’est pour ne rien proposer de concret pour améliorer la situation, ça fait une belle jambe à tout le monde, ça crée des angoisses de toute part, génère de l’impuissance et de la culpabilité chez le professionnel.
 
 
Allons même jusqu’à poser cette question vicieuse: le document de l’Inpes ne va-t-il pas aggraver quelques burn-out de plus chez certains médecins généralistes ? Roh ben non quand même faut pas pousser mémé dans les orties… Alors esquivons, esquivons !
 
 
Puisqu’il apparaît que les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres, est-ce dû à leur mode de vie ? A leur travail ? Qu’en est-il des moyens mis en œuvre pour la médecine du travail chez les cadres et les ouvriers ? Y a-t-il plus de prévention chez les ouvriers pour éviter les accidents du travail ? Moi, je n’en sais rien, je pose juste des questions ? Ce document de l’Inpes aiguise ma curiosité et faute d’apporter des réponses, m’amène à tellement de questions. Est-ce si bon à la santé de se poser tant de questions ? Pas si sûr, alors esquivons.
 
Esquivons, organisons de nouveaux groupes de travail, éditons de nouveaux documents inutiles pour mieux taire les vrais problèmes, masquer l’impuissance voire parfois l’incompétence des principaux acteurs qui pourraient lutter contre les inégalités sociales. Continuons de créer de nouvelles instances dont notre pays semble tant raffoler, à côté de l’INPES, l’INVS, le HCSP, la HAS, l’INCa, les ARS (dont nous aurons déjà observé sur ce blog l’incroyable réactivité…).
 
 
Et surtout, balayons d’un revers de main ce qui à mes yeux d’inpessile heureux a récemment contribué à augmenter des inégalités sociales de santé largement évitables, comme par exemple et par pur hasard, l’instauration des franchises médicales. Des franchises mises en place par les petits copains d’une emblématique ministre de la santé dont le fils s’est un beau jour retrouvé catapulté une fois de plus par le plus grand des hasards à la direction générale de l’Inpes affublé du doux attribut de « Plaidoyer de la santé ».  
 
 


Sur cet organigramme, Pierre Bachelot (pas Bachelet le chanteur des Corons hein !) n’est autre que le fiston de Roselyne. Comme quoi le hasard hein ! Tu connais l’histoire des fabricants de mines antipersonnel et des sociétés de déminages qui ne feraient qu’un ? Mythe ou réalité ? Oh je charge les Bachelot, c’est nul, mais t’inquiète, les socialistes vent debout contre les franchises à l’époque ne la ramènent pas trop maintenant qu’ils ont les manettes. Mais pas de stress mec, car pour réellement lutter contre les inégalités sociales, il faut entre autres et avant tout faire baisser le chômage et améliorer le pouvoir d’achat en relançant la croissance. Tu vois c’est pas compliqué. Et pour ça, il suffit de pousser la reprise, voilà comment on fait (tu vas voir, on va rigoler, c'est du même genre que le document de l'Inpes) :
 
"La note de l'Insee s'intitule Reprise poussive, alors, on peut dire il y a une reprise. Elle est poussive, donc faut la pousser, quand vous avez quelqu'un de poussif, faut le pousser. Eh ben, la reprise, c'est pareil, faut la pousser" dixit Mr le président François Hollande en marge du Conseil européen à propos des chiffres de l'Insee sur le chômage en fin d’année 2013. Si tu veux les images c’est ici.
 

Alors, tout va bien. Revenons à nos moutons : les inégalités sociales de santé à prendre en compte en médecine générale. Calmez-vous les généralistes, je vous sens un peu poussifs sur le sujet. Don’t worry, be happy ! On va vous pousser légèrement... dans le gouffre ! Moi, je vais continuer mon petit bonhomme de chemin sans trop me poser de questions. J’espère ainsi vivre longtemps en inpessile heureux sans qu’aucun médecin ne trouve le moyen de me guérir !
 
PS : par curiosité, j’ai filé ce document à une assistante sociale (34 ans de carrière) en lui demandant de le lire pour me donner son avis, sans faire le moindre commentaire. Ce n’est qu’un avis qui vaut ce qu’il vaut, mais le voici retranscrit ici avec son autorisation :
 
« Maintenant, j’ai plus peur qu’avant. Je m’attendais à découvrir quelque chose de nouveau, mais qu’il faille le redire, alors là ça me fout la trouille. Je croyais que c’était le b a ba »...

1 commentaire:

  1. C'est ça. Fallait-il le redire? Et à nous? Passée la colère, et la consternation, tu as raison: continuons notre petit bonhomme de chemin. On les a pas attendus, alors on va faire comme on le sent, et surtout comme on le peut...
    DrLaeti

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