Elle
part.
Je
le sais depuis plusieurs semaines, j’ai eu le temps de m’y
préparer, elle y a mis les formes, précautionneuse qu’elle est.
Je
le sentais, je l’imaginais, je le craignais, puis je l’occultais.
Mais
là, tout de suite, maintenant, ce sont les derniers jours. Et
l’horloge tourne, tourne et file encore jusqu’à ce que pointe
inexorablement ce putain de dernier jour. Game over. Force est de
constater que je ne suis pas si prêt que ça.
Il
y a une dizaine d’années, elle m’accueillait à bras ouverts,
elle me tendait une main bienveillante à la découverte de ce monde
nouveau pour moi.
Elle,
c’est une consœur qui m’a appris ce que « confraternité »
signifie.
Confraternité ?
Il
y a pourtant un code prévu pour cela :
Confraternité /
Article 56 du code de déontologie médicale :
« Les
médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne
confraternité.
Un
médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une
conciliation, au besoin par l'intermédiaire du conseil départemental
de l'ordre.
Les
médecins se doivent assistance dans l'adversité. »
Il
y a également des codes :
« Cher
confrère, chère consœur »
en début de courrier.
« Confraternellement »
en fin voire « Bien
confraternellement »
lorsque l’on est en forme et que l’on veut vraiment marquer avec
vigueur notre confraternité.
Il
y a des pratiques : ne jamais dire du mal de son confrère même
s’il s’agit d’une crapule voire pire, fermer les yeux face à
certaines pratiques, certains actes, se boucher les oreilles sur
certains propos, sous couvert de cette sacro-sainte confraternité.
Il
y a du plus médiatique comme ces médecins signataires d’une
tribune contre les « fake médecine » poursuivis devant
le conseil de l’ordre pour non confraternité par certains de
leurs confrères homéopathes.
« Doivent
entretenir » = obligation / Non-respect de l’obligation
= sanction ?
« Différend » ;
« Conciliation » ; « Adversité » = confraternité ou confrontation ?
Terminologie
peu engageante dans le code à mon goût.
Beaucoup
trop de paraître dans les codes à mon goût.
Des
affaires scandaleuses à vous provoquer le dégoût.
Et
elle qui part.
Il
y a une dizaine d’années, sa main bienveillante me guidait pour
mes premiers pas sur ce nouveau poste de médecin.
Peu
de temps après j’étais à ses côtés lorsqu’on lui proposait
une évolution, de nouvelles responsabilités.
Dans
le milieu médical comme ailleurs, on rencontre grosso modo deux
catégories de personnes pouvant prétendre à une évolution de
carrière au sein de nos organisations pyramidales. La première,
bien fournie, est celle des dents qui rayent le parquet quand elles
ne le tronçonnent pas, celle des coups bas, des requins assoiffés
de pouvoir, des costumes trop larges pour les épaules. La seconde
est celle des valeurs, tant professionnelles qu’humaines, celle du
costume naturellement taillé pour, des compétences, de l’intégrité
et de l’exemplarité.
Jusqu’à ses derniers instants à son poste, elle aura fait partie de cette
deuxième catégorie.
Contre
vents et marrées, elle a défendu une certaine vision de l’exercice
médical, l’intérêt des patients, la déontologie, l’indépendance
du médecin. Elle aura croisé le fer avec justesse non pas pour son
poste, sa carrière, ou faire gonfler son ego, mais pour tout ce qui
contribue à la noblesse de ce métier. C’est peut-être aussi pour
cela qu’elle s’est épuisée et qu’elle part.
Je
l’ai su, je le pense, je l’écris plusieurs fois pour que ça
rentre, et je m’apprête à le vivre ce départ.
Professionnellement, je me sens déjà orphelin.
Elle
aura grandement contribué à ma décision lorsque, à mon tour, j’ai
pris des fonctions similaires aux siennes. Je savais qu’elle serait
là, que je pourrais compter sur elle, sur sa main tendue toujours
aussi bienveillante. Une dizaine d’années plus tard, de nouveaux
premiers pas pour moi, parfois un pas de travers, souvent un pas
maladroit, et elle, pas un mot blessant, pas un jugement, mais de
précieux conseils, des échanges enrichissants, toujours pertinents.
Après
son départ, si j’ai à correspondre avec elle dans le cadre
professionnel, je saisirai tout le sens, tous les sens de mon « Bien
confraternellement »
jusqu’à la pointe appuyée de ma plume à la fin de mon courrier.
Car
elle part et ce qu’elle me laisse de plus précieux, c’est ce que
« confraternité » signifie, pas la confraternité du
code, ni celle des codes ou des pratiques, mais la confraternité du
cœur.
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