lundi 3 octobre 2016

CHASSE AUX POKEMON ET AUTRES HISTOIRES DE CHASSE ?



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« Y a pas à payer et c’est bon pour la santé parce que ça nous oblige à marcher »

Voici une bribe de discussion estivale avec mon fils.

Comment avoir réussi à échapper à l’hystérie liée à l’ouverture de la chasse aux Pokémon ?

Je me souviens lui dire alors que je terminais de cuire quelques saucisses sur le barbecue :

« J’espère que tu ne téléchargeras pas ce jeu » (un vrai bon père testostéroné aurait dit « Tu ne téléchargeras pas ce jeu mon fils »)

Sa réponse m’en a fait griller mes saucisses :

« Trop tard je l’ai déjà ».

C’est là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Gratuit ? Oui jusqu’à un certain point et si l’on ne parle qu’en terme financier car on peut aussi parler du temps de cerveau consacré à ce jeu à défaut d’autres activités comme lire, faire du vélo, se balader, flâner sans but. Flâner, s’ennuyer, on a tellement oublié que ce sont dans ces moments que l’on prend le temps de se construire. Quant aux millions de données collectées sur les comportements de consommateurs que nous sommes, elles ne seront évidemment pas gratuites pour tout le monde.

Bon à la santé ? En général et depuis que je suis médecin, c’est assez drôle, je me méfie de cet argument comme de la peste.

Bref l’été a été l’occasion d’ouvrir cette drôle de chasse.


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Autre bribe de discussion estivale avec ma femme et autre histoire de chasse.

« Tu ne devineras jamais ce que m’a raconté Sofia ».

« Qui ça ? »

« Mais tu sais Sofia, c’est nananinananerre, etc…eh ben, tu te rends compte, à 43 ans, se prendre une chasse comme ça et pour ça, l’autre lui dit oui mais c’est fou ça, on vous prescrit des examens, vous ne les faites pas, pourtant c’est gratuit, et après faut pas venir pleurer, franchement, c’est de l’inconscience, il s’agit de votre santé et tatati et tataterre, bref, c’est nul hein ? »

« Oui assez je trouve »

Sofia ne s’appelle pas ainsi mais existe vraiment contrairement à ma copine coiffeuse présentée l’année dernière en ce lieu. 

Sofia s’est rendue comme chaque année chez son gynécologue. Ce dernier n’a rien trouvé de mieux que de l’engueuler car voyez-vous, la mécréante n’a pas réalisé la mammographie de dépistage prescrite l’année passée alors qu’un tel examen n’est pas justifié dans sa situation et à son âge. Si les propos rapportés sont véridiques, le médecin a cherché à terroriser Sofia.

Sofia s’est pris une chasse par un médecin chasseur ou plutôt un médecin braconnier. Oui un médecin qui traque en dehors des recommandations et de la date officielle peut être considéré comme un braconnier, un braconnier qui ne se fera jamais prendre. Il a prescrit un examen « gratuit » et ne vise que la « bonne santé » de sa patiente…

Gratuit et bon à la santé… Pokémon et autres histoires de chasses. C’est gratuit mais comment se fait-il que quelques-uns se rincent au passage ? C’est là qu’il aurait fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Dès qu’on joue sur les peurs, méfiance, il n’y a pas toujours un loup mais la méfiance est de mise.

Tout ça pour en arriver à la chasse officielle du mois de septembre et là ça devient compliqué. Entre la chasse à la bécasse, au canard, au sanglier, etc sachant que la chasse aux Pokémon n’est pas pour autant fermée, je ne vous explique pas le bordel.

Et le mois d’octobre ne devrait pas voir les choses se simplifier puisque toutes les chasses vont se croiser. Le chasseur de Pokémon sera reconnaissable tête baissée et vissée à son téléphone portable. Méfiez-vous, il ne vous voit pas forcément. Le chasseur traditionnel souvent de vert vêtu a le fusil à l’épaule. Méfiez-vous également, lui non plus ne vous voit pas forcément et peut vous confondre au point de vous décharger ses plombs initialement destinés à un sanglier dans le popotin. Enfin depuis plusieurs années désormais au mois d’octobre, toute une foule se drape de rose pour courir, nager, communiquer sur la chasse au cancer du sein.

Là, il s’agit de la chasse officielle et recommandée à partir de cinquante ans, pas du braconnage subi par Sofia dont le cas n’est malheureusement pas isolé.

Mais les choses peuvent se complexifier un peu plus car, notre ami gynéco de Sofia qui chasse avant l’heure de cinquante ans, ce qui fait de lui un braconnier, n’en est pas un tant que ça. Parce que voyez-vous, dans certaines zones, le braconnage avant cinquante ans est autorisé et même institué. C’est une sorte de coutume, quelque chose de quasi sacré. Les habitués du blog comprendront, pour les autres, le feuilleton de ce qui est dénoncé ici depuis quelques années désormais au sujet du dépistage du cancer du $ein dès quarante ans est consultable via les liens suivants :






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Autre bribe de conversation :

« Alors Doc, tu t’inscris ? Tu viens avec nous ? »

« Non. »

« Comment ça non ? Tu es médecin quand même. Tu es contre ce genre d’événement ? Tu es pour le cancer ? »

C’est là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.

Cet échange m’a agacé mais il m’a semblé très instructif. Tout est dit ou presque en quelques mots.
Il y a quelques jours, je suis sollicité pour participer à une manifestation à venir dans le cadre d’Octobre Rose. Je refuse. Conclusion : je suis pour le cancer…
Nous voilà au cœur même du principe de l’affaire, culpabiliser les non participants à la Pink Party exactement comme on joue avec les peurs et culpabilités des femmes refusant de se soumettre à ce dépistage de plus en plus discuté (même la ministre de la santé serait prête à revoir la copie), exactement comme l’aurait fait le gynéco de Sofia alors qu’elle n’a que la quarantaine. A la question « tu es pour le cancer ? » j’ai préféré répondre sur le ton de l’humour un truc à la con du style « ben oui tu vois bien, s’il n’y a plus de malades il n’y a plus besoin de médecins donc comment allons-nous faire pour gagner notre vie ? ». Puis, j’ai invité cette personne à aller s’informer sur le site http://cancer-rose.fr/ en lui expliquant que la question n’était pas de savoir si moi médecin j’étais pour ou contre ce dépistage mais que l’essentiel à mes yeux était de donner les outils nécessaires aux citoyens pour qu’ils puissent décider par eux-mêmes ce que ne permet pas à mon sens le magma médiatique autour d’Octobre Rose.

J’invite d’ailleurs tous ceux qui se posent des questions sur le sujet, femmes, hommes, maris, conjoints, amants, aimants, bref tout le monde à aller piocher des arguments d’aide à la décision sur ce site. Allez lire la brochure éditée l’année dernière ou visionner la vidéo montée cette année sur leur page action : http://cancer-rose.fr/actions.html . C’est gratuit, mais vraiment gratis hein !

Au-delà du sujet de ce dépistage et d’Octobre Rose, j’ai l’impression que nous sommes de plus en plus dans une société abrutissante alors qu’il me semble tellement important de développer le sens critique et cela dès le plus jeune âge. Qu’il est devenu difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe ! D’autant que tout est fait ou presque pour appuyer sur la tête de ceux qui tentent encore de le faire. Encore une histoire de chasse. La chasse aux empêcheurs de tourner en rond.

Pourtant chasseurs chasseuses, n’oubliez pas l’expression « qui va à la chasse perd sa place ». La preuve. Dans le domaine de la santé, nos décideurs de tout poil ont passé une grande partie de leur temps à chasser. On a voulu chasser le nomadisme médical, les fraudeurs, les fraudeurs patients comme les fraudeurs médecins, les déficits, les gaspillages, etc… Alors on a réformé, réforme du médecin traitant, mise en place de franchises médicales, libéralisation de l’hôpital public, pseudo-étatisation de la médecine générale libérale etc, etc… On peut remarquer que les politiques qui se préparent pour 2017 donc à la chasse aux électeurs voudraient des médecins généralistes partout dans nos campagnes tandis que la médecine ne fait quasiment jamais partie de leurs campagnes. Pendant qu’on chasse de tous les côtés, notre « meilleur système de santé » au monde a dégringolé de la première à la vingt-quatrième place en quinze ans. Ceci est un constat, je n’oserais établir un lien de causalité aussi simpliste. Mais ça fait réfléchir. « Qui part à la chasse perd sa place ? »

Nous voilà enfin à la fin de ce billet fourre-tout. Nous sommes partis de la chasse aux Pokémon pour arriver à un constat sur le classement de notre système de santé en passant par la chasse orchestrée dans le cadre d’Octobre Rose, un sujet en a chassé un autre avec en apparence aucun lien entre eux et pourtant… Prenons le temps de tisser des liens et de développer notre esprit critique. Laissons-nous emporter paisiblement par les flots sans oublier qu’il est nécessaire de donner un coup de nage à contre-courant de temps à autres.
Bonne chasse et n’hésitez pas à la tirer cette chasse quand vraiment vous ne le sentez pas le truc « gratuit et bon à la santé ».


1 commentaire:

  1. Allez, je me lance, premier commentaire.

    Justement, vous me plaisez. des années que je dis à mon toubib que je m'en fous, et que si je dois crever, autant que ce soit statistiquement acceptable.

    En somme, je suis une femme, 40 ans, jamais vu de gynéco depuis mes enfants, soit les plus anciens datant d'il y a 13 ans, et j'emmerde assez gentillement quiconque m’enjoint d'en voir un pour "la mammographie", le "frottis du col" le "je sais pas quoi vachement dangereux qui va te tuer". En somme, je suis d'accord avec vous. Quel mouche peut bien piquer tout ces raseurs qui veulent mon bien, statistique. Moi, çà va, je me sens bien. Mais qui sait? Demain, j'aurais peut-être un cancer du col (ou des seins, ou du poumon, ou du pied, hein!), ou un autre, ou un dernier, après tout, si on ne crève pas du cancer, il est bien admis qu'on crève avec. (oué, je suis une vieille fumeuse, je compte bien passer l'arme cancer en main). Tout çà me regarde, c'est moi, qui dit non, et après tout, si je dis non, je sais... je SAIS à quoi je m'expose.

    Ce que vous dites, vous, c'est que vous savez mieux que d'autres, et franchement, çà ne m'impressionne pas.

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