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« Y
a pas à payer et c’est bon pour la santé parce que ça nous
oblige à marcher »
Voici
une bribe de discussion estivale avec mon fils.
Comment
avoir réussi à échapper à l’hystérie liée à l’ouverture de
la chasse aux Pokémon ?
Je
me souviens lui dire alors que je terminais de cuire quelques
saucisses sur le barbecue :
« J’espère
que tu ne téléchargeras pas ce jeu » (un
vrai bon père testostéroné aurait dit « Tu ne téléchargeras
pas ce jeu mon fils »)
Sa
réponse m’en a fait griller mes saucisses :
« Trop
tard je l’ai déjà ».
C’est
là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il
est difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.
Gratuit ?
Oui jusqu’à un certain point et si l’on ne parle qu’en terme
financier car on peut aussi parler du temps de cerveau consacré à
ce jeu à défaut d’autres activités comme lire, faire du vélo,
se balader, flâner sans but. Flâner, s’ennuyer, on a tellement
oublié que ce sont dans ces moments que l’on prend le temps de se
construire. Quant aux millions de données collectées sur les
comportements de consommateurs que nous sommes, elles ne seront
évidemment pas gratuites pour tout le monde.
Bon
à la santé ? En général et depuis que je suis médecin,
c’est assez drôle, je me méfie de cet argument comme de la peste.
Bref
l’été a été l’occasion d’ouvrir cette drôle de chasse.
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Autre
bribe de discussion estivale avec ma femme et autre histoire de
chasse.
« Tu
ne devineras jamais ce que m’a raconté Sofia ».
« Qui
ça ? »
« Mais
tu sais Sofia, c’est nananinananerre, etc…eh ben, tu te rends
compte, à 43 ans, se prendre une chasse comme ça et pour ça,
l’autre lui dit oui
mais c’est fou ça, on vous prescrit des examens, vous ne les
faites pas, pourtant c’est gratuit, et après faut pas venir
pleurer, franchement, c’est de l’inconscience, il s’agit de
votre santé et tatati et tataterre,
bref, c’est nul hein ? »
« Oui
assez je trouve »
Sofia
ne s’appelle pas ainsi mais existe vraiment contrairement à ma copine coiffeuse présentée l’année dernière en ce lieu.
Sofia
s’est rendue comme chaque année chez son gynécologue. Ce dernier
n’a rien trouvé de mieux que de l’engueuler car voyez-vous, la
mécréante n’a pas réalisé la mammographie de dépistage
prescrite l’année passée alors qu’un tel examen n’est pas
justifié dans sa situation et à son âge. Si les propos rapportés
sont véridiques, le médecin a cherché à terroriser Sofia.
Sofia
s’est pris une chasse par un médecin chasseur ou plutôt un
médecin braconnier. Oui un médecin qui traque en dehors des
recommandations et de la date officielle peut être considéré comme
un braconnier, un braconnier qui ne se fera jamais prendre. Il
a prescrit un examen « gratuit » et ne vise que
la « bonne santé » de sa patiente…
Gratuit
et bon à la santé… Pokémon et autres histoires de chasses. C’est
gratuit mais comment se fait-il que quelques-uns se rincent au
passage ? C’est là qu’il aurait fallu approfondir la
conversation.
Qu’il est difficile de nager à contre-courant nom
d’une pipe.
Dès
qu’on joue sur les peurs, méfiance, il n’y a pas toujours un
loup mais la méfiance est de mise.
Tout
ça pour en arriver à la chasse officielle du mois de septembre et
là ça devient compliqué. Entre la chasse à la bécasse, au
canard, au sanglier, etc sachant que la chasse aux Pokémon n’est
pas pour autant fermée, je ne vous explique pas le bordel.
Et
le mois d’octobre ne devrait pas voir les choses se simplifier
puisque toutes les chasses vont se croiser. Le chasseur de Pokémon
sera reconnaissable tête baissée et vissée à son téléphone
portable. Méfiez-vous, il ne vous voit pas forcément. Le chasseur
traditionnel souvent de vert vêtu a le fusil à l’épaule.
Méfiez-vous également, lui non plus ne vous voit pas forcément et
peut vous confondre au point de vous décharger ses plombs
initialement destinés à un sanglier dans le popotin. Enfin depuis
plusieurs années désormais au mois d’octobre, toute une foule se
drape de rose pour courir, nager, communiquer sur la chasse au cancer
du sein.
Là,
il s’agit de la chasse officielle et recommandée à partir de
cinquante ans, pas du braconnage subi par Sofia dont le cas n’est
malheureusement pas isolé.
Mais
les choses peuvent se complexifier un peu plus car, notre ami gynéco
de Sofia qui chasse avant l’heure de cinquante ans, ce qui fait de
lui un braconnier, n’en est pas un tant que ça. Parce que
voyez-vous, dans certaines zones, le braconnage avant cinquante ans
est autorisé et même institué. C’est une sorte de coutume,
quelque chose de quasi sacré. Les habitués du blog comprendront,
pour les autres, le feuilleton de ce qui est dénoncé ici depuis
quelques années désormais au sujet du dépistage du cancer du $ein
dès quarante ans est consultable via les liens suivants :
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Autre
bribe de conversation :
« Alors
Doc, tu t’inscris ? Tu viens avec nous ? »
« Non. »
« Comment
ça non ? Tu es médecin quand même. Tu es contre ce genre
d’événement ? Tu es pour le cancer ? »
C’est
là qu’il a fallu approfondir la conversation.
Qu’il est
difficile de nager à contre-courant nom d’une pipe.
Cet
échange m’a agacé mais il m’a semblé très instructif. Tout
est dit ou presque en quelques mots.
Il y a quelques jours, je suis
sollicité pour participer à une manifestation à venir dans le
cadre d’Octobre Rose. Je refuse. Conclusion : je suis pour le
cancer…
Nous voilà au cœur même du principe de l’affaire,
culpabiliser les non participants à la Pink Party exactement comme
on joue avec les peurs et culpabilités des femmes refusant de se
soumettre à ce dépistage de plus en plus discuté (même la
ministre de la santé serait prête à revoir la copie), exactement
comme l’aurait fait le gynéco de Sofia alors qu’elle n’a que
la quarantaine. A la question « tu es pour le cancer ? »
j’ai préféré répondre sur le ton de l’humour un truc à la
con du style « ben oui tu vois bien, s’il n’y a plus de
malades il n’y a plus besoin de médecins donc comment allons-nous
faire pour gagner notre vie ? ». Puis, j’ai invité
cette personne à aller s’informer sur le site http://cancer-rose.fr/
en lui expliquant que la question n’était pas de savoir si moi
médecin j’étais pour ou contre ce dépistage mais que l’essentiel
à mes yeux était de donner les outils nécessaires aux citoyens
pour qu’ils puissent décider par eux-mêmes ce que ne permet pas à
mon sens le magma médiatique autour d’Octobre Rose.
J’invite
d’ailleurs tous ceux qui se posent des questions sur le sujet,
femmes, hommes, maris, conjoints, amants, aimants, bref tout le monde
à aller piocher des arguments d’aide à la décision sur ce site.
Allez lire la brochure éditée l’année dernière ou visionner la
vidéo montée cette année sur leur page action :
http://cancer-rose.fr/actions.html
. C’est gratuit, mais vraiment gratis hein !
Au-delà
du sujet de ce dépistage et d’Octobre Rose, j’ai l’impression
que nous sommes de plus en plus dans une société abrutissante alors
qu’il me semble tellement important de développer le sens critique
et cela dès le plus jeune âge. Qu’il est devenu difficile de
nager à contre-courant nom d’une pipe ! D’autant que tout
est fait ou presque pour appuyer sur la tête de ceux qui tentent
encore de le faire. Encore une histoire de chasse. La chasse aux
empêcheurs de tourner en rond.
Pourtant
chasseurs chasseuses, n’oubliez pas l’expression « qui va
à la chasse perd sa place ». La preuve. Dans le domaine de la
santé, nos décideurs de tout poil ont passé une grande partie de
leur temps à chasser. On a voulu chasser le nomadisme médical, les
fraudeurs, les fraudeurs patients comme les fraudeurs médecins, les
déficits, les gaspillages, etc… Alors on a réformé, réforme du
médecin traitant, mise en place de franchises médicales,
libéralisation de l’hôpital public, pseudo-étatisation de la
médecine générale libérale etc, etc… On peut remarquer que les
politiques qui se préparent pour 2017 donc à la chasse aux
électeurs voudraient des médecins généralistes partout dans nos
campagnes tandis que la médecine ne fait quasiment jamais partie de
leurs campagnes. Pendant qu’on chasse de tous les côtés, notre
« meilleur système de santé » au monde a dégringolé
de la première à la vingt-quatrième place en quinze ans. Ceci est
un constat, je n’oserais établir un lien de causalité aussi
simpliste. Mais ça fait réfléchir. « Qui part à la chasse
perd sa place ? »
Nous
voilà enfin à la fin de ce billet fourre-tout. Nous sommes partis
de la chasse aux Pokémon pour arriver à un constat sur le
classement de notre système de santé en passant par la chasse
orchestrée dans le cadre d’Octobre Rose, un sujet en a chassé un
autre avec en apparence aucun lien entre eux et pourtant… Prenons
le temps de tisser des liens et de développer notre esprit critique.
Laissons-nous emporter paisiblement par les flots sans oublier qu’il
est nécessaire de donner un coup de nage à contre-courant de temps
à autres.
Bonne
chasse et n’hésitez pas à la tirer cette chasse quand vraiment
vous ne le sentez pas le truc « gratuit et bon à la santé ».
Allez, je me lance, premier commentaire.
RépondreSupprimerJustement, vous me plaisez. des années que je dis à mon toubib que je m'en fous, et que si je dois crever, autant que ce soit statistiquement acceptable.
En somme, je suis une femme, 40 ans, jamais vu de gynéco depuis mes enfants, soit les plus anciens datant d'il y a 13 ans, et j'emmerde assez gentillement quiconque m’enjoint d'en voir un pour "la mammographie", le "frottis du col" le "je sais pas quoi vachement dangereux qui va te tuer". En somme, je suis d'accord avec vous. Quel mouche peut bien piquer tout ces raseurs qui veulent mon bien, statistique. Moi, çà va, je me sens bien. Mais qui sait? Demain, j'aurais peut-être un cancer du col (ou des seins, ou du poumon, ou du pied, hein!), ou un autre, ou un dernier, après tout, si on ne crève pas du cancer, il est bien admis qu'on crève avec. (oué, je suis une vieille fumeuse, je compte bien passer l'arme cancer en main). Tout çà me regarde, c'est moi, qui dit non, et après tout, si je dis non, je sais... je SAIS à quoi je m'expose.
Ce que vous dites, vous, c'est que vous savez mieux que d'autres, et franchement, çà ne m'impressionne pas.