Durant
les fêtes de fin d’année, j’ai eu la visite de ma belle-sœur,
son mari, mon neveu et mes trois nièces. Ils vivent près de
Londres, mon beau-frère est Anglais. Mes visiteurs British ont
investi les lieux pour quelques jours. Durant ce séjour, d’autres
convives ont pu apercevoir, posé sur un meuble du séjour, un livre
écrit en anglais.
Nous
étions dix sous le même toit. Quatre Français et demi, cinq
Anglais et demi, ma belle-sœur étant quasiment Franglaise. Il y
avait donc statistiquement plus de chances que le livre soit lu du
côté anglais. On pouvait d’ailleurs occulter les statistiques et
en tirer dès ce stade de réflexion la conclusion suivante : Un
livre écrit en anglais par une Ecossaise dans un lieu où sont
rassemblés plusieurs Anglais ne peut qu’appartenir à un Anglais.
C’était sans compter sur certains paradoxes.
« Experts
can be a source of bias simply because they are experts »
Du
côté des quatre Français, il y avait deux enfants trop jeunes pour
lire ce type de livre et de toute façon trop jeunes pour lire un
pavé de 300 pages en anglais. Ce qui faisait du 5 ½ / 2 ½ pour
l’Angleterre.
Ajouté
à cela que mon niveau d’anglais est largement moins bon que celui
d’un ancien président énervé en visite à Jérusalem il y a une
vingtaine d’années :
On
tombe à Angleterre : 5 ½ / France : 1 ½
J’ai
fait anglais première langue non-stop de la sixième à la
terminale, soit sept ans.
J’ai
validé l’épreuve d’anglais au bac.
J’ai
fait de l’anglais médical en première année à la fac de
médecine avec épreuve au concours.
J’ai
queuté la première année, donc j’ai refait une première année
avec de l’anglais médical et re-concours.
J’ai
gagné.
J’ai
continué l’anglais médical jusqu’en cinquième année de
médecine, soit sept ans + six ans = treize ans d’anglais dont six
d’anglais médical pour arriver au constat implacable que je suis
une brelle en anglais. Toutes ces années (plus que mes études de
médecine) pour un tel résultat, c’est con hein. D’autant que
pour se tenir informé dans de nombreux domaines mais notamment en
médecine, le fait de lire et comprendre aisément l’anglais
facilite grandement la tâche.
« Some
doctors had built their professionnal lives around PSA screening.
They had everything to lose from denouncing –or even expressing
doubts- about a test that was their bricks and mortar. »
Donc
nous avons vu que le livre posé sur un meuble de mon séjour a
statistiquement plus de chances d’être lu par un des cinq Anglais et
demi. Nous avons compris que malgré le nombre d’années, je suis
une buse in english même si je m’efforce de lire de temps à autre
un ou deux articles de médecine dans cette langue.
« The
only fertility test that really counts is having sex. »
Paradoxalement,
c’est bel et bien moi qui lisais ce livre. Je crois même que je
l’ai compris. Il faut dire que j’en étais probablement une
victime idéale. Celui qui m’a conseillé de le lire ne s’est pas
trompé et je l’en remercie publiquement. Peut-être même qu’en
chinois ou en russe, j’aurais réussi à comprendre l’esprit de
ce livre tellement il me parlait.
« I
truly believe that without acting on the evidence it’s easy to
harm, maim or kill patients, even when you think you are doing
good. »
Avec
mon beauf Anglais, entre deux cuisses de dinde de Noël et trois
verres de vin, on a parlé. On a parlé politique, David Cameron /
François Hollande, foot, Chelsea / PSG, rugby (dont
les fabuleuses prestations de nos équipes respectives lors de la
dernière coupe du monde),
bière, des trucs de beaufs quoi. Mais on a aussi parlé médecine,
système de santé, NHS (National Health Service), GP (General
Practitioner : médecin généraliste en anglais), etc…
Lui,
il n’est pas du tout dans le monde de la santé mais ça
m’intéressait d’avoir sa vision de patient anglais. Moi, j’ai
un petit orteil dans le monde de la santé et pour de rire, je le
toisais en affirmant haut et fort qu’en France on a le meilleur
système de santé au monde.
« Real
life medicine is not a ‘point in time’, paper-based exercise. It
is a relationship flowing over months and years. »
Pour
lui prouver, je lui ai redemandé de me préciser son vécu de
patient durant l’épisode de grippe H1N1 d’il y a quelques
années.
« Who
decides what doctors do : pharma, politicians or patients ? »
Alors
en Angleterre, d’après un patient anglais, mon beauf, lorsque tu
présentais des symptômes de grippe pendant la fameuse pandémie de
2009, tu devais téléphoner à un numéro précis pour répondre à
un questionnaire. En fonction des réponses, à la fin de
l’interrogatoire, sans aucun examen clinique, tout se faisant à
distance, sans médecin et par téléphone, on te disait si tu devais
ou non prendre du Tamiflu. Si oui, on te donnait un code un peu comme
quand tu dois changer ta box, ce code permettant d’aller te faire
délivrer ta dose de Tamiflu.
« As
a medical student and then junior doctor, I had a happily innocent
view on healthcare charities. »
Évidemment
moi, médecin français, je me suis ré-offusqué en entendant qu’une
prescription de Tamiflu puisse se faire par simple appel téléphonique
sans interrogatoire ni examen clinique réalisés par un médecin.
C’était peut-être le moyen qu’ils avaient trouvé là-bas
outre-Manche pour limiter la consommation de Tamiflu à tout-va. Mais
moi, médecin mesquin, je me suis demandé si tu ne gagnais pas le
gros lot à chaque appel et que quelles que soient les réponses, on
te délivrait le code magique pour vendre un max de doses de Tamiflu.
« Money.
Where it comes from is important…… We are not good at telling
when we are influenced. »
Pour
illustrer notre meilleur système de santé au monde, j’ai
re-raconté l’œuvre bachelorette de notre Roselyne alors ministre
de la santé qui commandait pendant ce temps-là des cargos de
vaccins à disperser dans les vaccinodromes alors qu’il était
déconseillé de regrouper de nombreuses personnes en un même lieu.
Le meilleur système de santé au monde !... Tout dépend de
quoi, de qui et de quand on parle en fait.
« Medicine
likes to think of itself as a useful and powerful force for good. But
you have to know that you really are good. »
Pour
nous remettre de nos émotions et faciliter notre digestion, mon
beauf et moi on s’est enfilé un trou normand.
« It
is easier to do things than not do – harder to sit on hands than it
is to write a prescription. »
Ensuite,
mon beauf a tenté de me réexpliquer l’organisation de la médecine
générale en Angleterre, le National Health Service (NHS),
l’hôpital. Le tout enrichi des réflexions de ma belle-sœur qui
sait comment ça fonctionne en France tout en étant maman de quatre
enfants en Angleterre donc susceptible d’avoir eu recours de temps
en temps à la médecine. Premier point et non des moindres, d’après
ce que j’ai compris (je rappelle qu’il s’agissait d’un repas
familial arrosé),
en Angleterre, pays me semblant plus libéral que la France, les
médecins généralistes ne sont pas payés à l’acte. Ils sont
souvent regroupés au sein de structures avec des « nurses »,
certains médecins pouvant avoir des parts de la structure, d’autres
pouvant en être salariés. Je ne sais pas si c’est bien, mieux, ou
pire qu’en France, mais apparemment ça marche ainsi. Pour faire
simple alors que c’est compliqué, les médecins sont rémunérés
non pas à l’acte mais en fonction du nombre de patients inscrits
auprès du cabinet et d’un certain nombre de critères comme les
vaccinations effectuées, les frottis de dépistage réalisés etc…
Plus grand est le nombre de critères atteints, plus importante est
la somme d’argent versée au cabinet de GPs.
« The
autority of medicine enjoys displays of instruction and activity, it
is so much harder to question and doubt it. »
Mais
le patient anglais n’honore pas le GP par le versement de quelques
livres en fin de consultation comme le fait le patient français avec
ses euros même si la transaction ne devrait presque plus se voir d’ici
quelque temps lorsque le tiers-payant imposé entrera en fonction,
ce qui selon certains fonctionnarisera les médecins libéraux
français, peut-être les mêmes qui disent que les GPs sont des
fonctionnaires. La réalité me semble plus complexe, ces raccourcis
devant sans doute être allongés de quelques nuances.
« Our
perceptions of what might harm or maim us become skewed instead by
what is popular. »
Remettons-nous
du côté du consommateur
patient anglais, mon beauf. Lui et ma belle-sœur pouffèrent de rire
lorsqu’on relata qu’en France on court encore trop souvent, non
le verbe est faible, on sprinte chez le MG pour des pathologies
bénignes comme des rhinopharyngites ou des gastroentérites. Voire
on jaillit des starting block au premier gargouillis intestinal, à
la moindre microgoutte au nez, au cas où des fois que parce que ça
tombe toujours sur les bronches et y a le baptême de la nièce ou le
week-end au ski (Quand j’écris ça, je n’incrimine pas les
patients, nous médecins avons notre large part de responsabilité
dans ce constat).
« I
believe it’s important that doctors act as profesionnals who can
put aside self-interest and vested interests in order to serve
patients well. »
Le
plateau de fromages qui puent est arrivé au milieu de notre
discussion sur les vaccinations, l’otite, l’angine, la vitamine D
chez l’enfant et les antibiotiques. Mon beauf a dit un truc du
genre et avec l’accent British : « mes quatre enfants
ont souvent été malades mais ont rarement pris des antibiotiques,
je pense qu’en France ils en auraient eu beaucoup ». Moi j’ai
fanfaronné « mais non puisque je te dis qu’on a le meilleur
système au monde, we are the best of the world, we are the world,
guy ! » même si dans ma tête je pensais à ces litres
d’antibio déversés chaque jour dans les gorges des gamins pour
trois fois rien sans parler des pelles à charbon de cortisone que
nos petites trognes se mangent dès que ça tousse un peu.
« I
have vague ambitions of opening, one day, an evidence-based
pharmacy »
« Most
pharmacies contain far, far, more. »
« Lots
of stuff you see heaving on pharmacy shelves is not there because it
has been evidence approved. »
Mon
beauf ne comprenant pas que nous en France nous mangeons du fromage
moisi comme le Roquefort, on est vite passé au dessert en faisant un
petit détour par un trou bourguignon histoire d’accorder nos
cornemuses avec la Normandie et fighter une ou deux éventuelles
Listeria blotties dans un Epoisses (la prévention, y a que ça de
vrai…). Lui et ma belle-sœur ont fini par lâcher qu’en
Angleterre, quand on est vraiment malade, qu’on a vraiment besoin
de médecins pour des trucs pas cool, c’est pas si rose que ça.
« The
more likely you are to need help, or to benefit from medical care,
the less easy it is to access it. »
CONCLUSION :
Voilà.
J’aurai réussi à écrire tout un billet sans queue ni tête en
survolant le cœur du sujet initial. J’aurai partagé quelques
bribes de conversation et quelques plats de mon menu de fêtes lors
de la visite de mon beauf anglais. J’aurai esquivé, brodé,
théâtralisé.
« Medical
ethics needs separation from tansient political will. »
En
résumé, j’ai fait le doc, j’ai paradé, j’ai fait la parade
du doc sans vraiment parler du fond de ce livre : The patient
paradox de Margaret McCartney. Un livre fouillé, argumenté,
éclairant, une sorte de No mammo de Rachel Campergue mais qui balaie
plus largement de vastes domaines de la médecine générale. Je
n’aurai pas parlé de ce qui m’a le plus estomaqué, ce que le
docteur McCartney écrit sur le frottis cervico-vaginal, sur
l’autopalpation mammaire, et sur bien d’autres thèmes.
« The
patient paradox : the less ill you are, the more care you get. »
Beaucoup
de choses ont déjà été très bien détaillées ici chez le doc du 16.
« Good
choices need good information. »
L’objectif
de ce billet n’est autre que d’encourager la lecture de cet
ouvrage indispensable pour les curieux et ceux qui ont choisi de se
poser des questions pour avancer, ceux qui tentent d’éviter
peut-être la trop fréquente posture de l’imposture.
« More
health screening may mean that we spend a good portion of our lives
being tested for diseases we were never going to get, or enduring
treatments that were never going to change when or how we died. »
Pour
ceux qui sont réticents car frileux à l’idée de lire un bouquin
en anglais, je promets que mon niveau est très modeste. J’ai
volontairement repris sans les traduire des extraits que j’estime
parlants. Faites le test de lire ces phrases en rouge. Si vous
comprenez et que ça vous parle alors allez plus loin, lisez le
livre.
« Good
science starts with the acceptance that we don’t know the answer to
a problem. »
Si
vous comprenez mais que ça ne vous parle pas alors un petit effort,
allez encore plus loin et lisez-le quand même. Pour ceux qui ne
comprennent absolument rien, mais qui pensent que ça peut leur
parler, ne vous mettez pas à l’anglais, ça serait trop long. Il
est dommage qu’aucune traduction n’existe et ne soit à l’ordre
du jour. Le monde de l’édition étant ni mieux ni pire que le
reste des mondes, à savoir que l’objectif d’un livre est qu’il
se vende pour faire du fric, on peut aisément imaginer que la
traduction française de The Patient Paradox ferait un bide à côté
de grandes œuvres littéraires comme les frasques trierweileresques
ou les saillies zemmouriennes. Mais si on met en priorité la santé,
l’amélioration des connaissances, l’intérêt et le choix
éclairé des patients avant le fric, si on imagine que le livre
traduit pourrait être commandé par un grand nombre de bibliothèques
universitaires médicales, tous les départements de médecine
générale, une flopée d’enseignants en médecine générale, de
professeurs universitaires, de médecins généralistes, d’étudiants
en médecine et bien sûr de patients car c’est au grand public que
ce livre est avant tout destiné, et que comme par miracle une large
brochette de médecins se partageant l’espace médiatique hexagonal
en assure la gracieuse promotion, alors le bide ne serait peut-être
pas si gros que ça. La brochette est fournie. Là tout de suite en
quelques secondes me viennent déjà des noms : Dr M. Cymes, Dr
A. Karembeu,
Dr G. Kierzek, Dr JD. Flaysakier, Dr P. Pelloux, Dr JF. Lemoine, Dr
A. Ducardonnet, bref, ils sont en nombre aux antennes et au passage
la féminisation de la médecine ne semble pas encore avoir atteint
la médecine médiatique. Non je déconne, ne croyons pas au père
Noël. Soyons lucides. On ne peut compter que sur le bouche à
oreille, alors lisez et passez ou traduisez à votre voisin.
« When
patients become customers, they lose the protection that proper
medical professionalism should provide. »
À
votre santé !
Mieux vaut que je ne le lise pas ( de toute façon, mon anglais doit être pire que le tient) car il va encore me déprimer un peu plus sur notre système de santé
RépondreSupprimerTu as aimé The Patient Paradox, tu adoreras Ending Medical Reversal de VInayak et Adam. Aussi facile à lire.
RépondreSupprimerThanks a lot ! Sir JB ;-)
SupprimerCe type d'ouvrage devrait être lu par ceux qui gouvernent et donc par notre ministre.
RépondreSupprimerIl est peu probable qu'elle le fasse surtout quand on lit le compte rendu de son dernier discours :
http://jeanyvesnau.com/2016/01/23/marisol-touraine-evoque-un-horizon-des-possibles-qui-ne-cesse-detre-repousse-et-revient-sur-lhepatite-c/
Les 65 millions de français deviennent petit à petit 65 millions de patients, patients malades ( un petit nombre) patients non malade mais qui sont susceptibles de l'être ( tout le reste).
Quand on sait l’efficacité de la majorité des dépistages , on peut être très inquiet de lire que bientôt on détectera les cellules cancéreuses dans notre sang. Car bien évidemment en s'extasiant sur ce futur proche, on admet comme une évidence que chaque cellule cancéreuse détectée est un cancer mortel en puissance. Aujourd'hui par exemple ce raisonnement dans le dépistage du cancer du sein conduit à des surdiagnostics et des surtraitements dramatiques pour les femmes.
Donc demain une détection de cellules cancéreuses dans le sang ?
Un autre "progrès" numérique m'a fait froid dans le dos : le verre connecté.
Loin de m'extasier comme notre ministre, j'y vois une personne âgée que l'on délaissera humainement de plus en plus ( plus de contact humain d'un soignant avec elle)où le soignant sera devant son ordinateur et surveillera son hydratation à distance. On peut imaginer la suite: incitation à boire par SMS voire avec un bracelet connecté qui enverra un signal ( audio ou physique) pour l'inciter à boire et tout cela à distance.
Aujourd'hui l'humain est devenu un produit. Il faut le maintenir en vie coûte que coûte car sa vie est génératrice de chiffre d'affaire. L'importance c'est la quantité de vie et non sa qualité comme en témoigne le fait que l'espérance de vie en bonne santé diminue depuis maintenant de nombreuses années sans que cela n'interpelle personne. Tant que l’humain est en vie, il est source de profit.
C'est ce que j'ai compris dans ce dernier discours de notre ministre.
Aurais je mal interprété ?
Merci pour cet article
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