Je
vais évoquer ici la dernière trouvaille d’un géant de
l’industrie pharmaceutique, la star, le maître absolu et
incontesté que beaucoup de médecins vénèrent. Pour éviter tout
problème, je préfère le rebaptiser d’un nom fictif :
SHYZER. J’insiste, ce nom est complètement inventé et toute
ressemblance avec la réalité est purement fortuite. Il s’agit
d’un puissant laboratoire bien connu des jeunes carabins comme des
vieux médecins, grâce à l’abnégation de la plus que sexy Jessy,
son emblématique déléguée, et de sa troupe de collègues
dispersées dans toutes les régions du pays, dans tous les pays du
monde. SHYZER n’est finalement pas un géant, c’est un
mastodonte, qui travaille et innove dans tous les domaines de la
santé. Il a d’abord tiré sa richesse de ses célèbres
traitements du champ cardio-vasculaire. Puis, sans abandonner ce
domaine qui lui vaut une reconnaissance mondiale, il s’est orienté
et spécialisé dans tout ce qui concerne la sexualité : les
infections sexuellement transmissibles, la stérilité, la
contraception, les troubles de la libido, l’impuissance,
l’éjaculation précoce, l’addiction au sexe et autres troubles
du comportement, les prothèses mammaires et péniennes, la
reconstruction d’hymen, le vaginisme, la stimulation et
l’amplification du point G, sans oublier les faux ventres de
grossesse en silicone qui permettent aux femmes définitivement
stériles de pouvoir vivre un aspect de cet état de grâce,
notamment à travers le regard des personnes croisées, etc., etc.,
etc...
Au
sein de SHYZER, on innove, on déborde d’idées, on brise les
frontières, on imagine tous azimuts, on s’autorise à dépasser la
raison, ça brille, ça fait du bruit, ça fascine, ça fait rêver.
Le budget communication du laboratoire est énorme, c’est même le
premier poste de dépenses. La société emploie à tour de bras et
fait vivre des milliers de familles. Paradoxalement, elle possède
une équipe médicale et scientifique relativement restreinte. Mais
on s’attache les services de nombreux collaborateurs prestigieux
tous aussi influents les uns que les autres. Ils comprennent
plusieurs spécialistes de tout horizon, de grands noms de
l’infectiologie, de la gynécologie, de l’urologie, de la
sexologie, de la psychiatrie. On compte également dans leurs rangs
des psychothérapeutes, psychanalystes, chirurgiens esthétiques,
endocrinologues, généticiens, biologistes, pharmaciens, mais aussi
sociologues, ethnologues, philosophes, juristes, avocats,
journalistes, écrivains, publicitaires, etc., etc., etc...
Il
serait prévu que les futures grandes campagnes de marketing de
chaque nouveau traitement, ou de relance d’anciens médicaments
relookés, mettent en scène de grands noms du sport, de la chanson
ou du cinéma. Le tout nouveau directeur international de SHYZER a
souhaité rester anonyme. Mais le laboratoire va très certainement
bientôt défrayer la chronique en annonçant l’identification d’un
nouveau syndrome. Une demande d’autorisation de mise sur le marché
d’une molécule censée traiter comme prévenir ce trouble serait
même sur le point d’être déposée. On doit la découverte de ce
trouble à un psycho-généticien d’origine hongroise, ayant cette
originalité d’être à la fois psychiatre et généticien. Ce
médecin exerce au sein d’un service de psychiatrie fermé recevant
de grands délinquants sexuels. Il a publié il y a quelques mois un
article dans une revue médicale peu connue mais tout de même tirée
à quelques milliers d’exemplaires, The Sunset View Journal of
Medicine. Je n’ai personnellement pas lu cette étude car n’y
ai pas accès (l’abonnement étant fixé à la modique somme de 500
Euros/an… et je viens tout juste d’en laisser très exactement 305 pour ma
cotisation à l’Ordre des médecins, alors ça va hein). Le médecin
y décrirait qu’un nombre significatif de ses patients aurait la
particularité d’être d’un groupe sanguin Kell d’un phénotype
relativement rare dans la population générale. Il terminerait son
écrit en proposant de baptiser ce trouble le syndrome de Déviance
Sexuelle lié à Kell. A l’affût du moindre article, de la moindre
hypothèse non vérifiée, l’équipe de communication de SHYZER se
serait engouffrée dans la brèche en accaparant ce papier pour n’en
publier que certaines parties dans les semaines à venir. A part
quelques spécialistes avertis, on sait très bien que le commun des
mortels ne connaît pas la revue médicale, que personne n’ira
ainsi vérifier la véracité de l’article, et encore moins
critiquer la méthodologie de l’étude. D’autant que le timing
pour divulguer l’information a parfaitement été étudié. Les
communicants de SHYZER sont des professionnels aguerris, tout est
minutieusement préparé. Les phrases de l’article sembleraient
être subtilement tirées de leur contexte pour produire le meilleur
effet possible. Elles seront associées à des messages puissants et
forts, à des graphiques indiscutables, au soutien de grands
spécialistes de la question, induisant sournoisement la certitude
absolue sur l’existence du syndrome et de son traitement
miraculeux. Tout est d’une précision chirurgicale. On ne ferait
en revanche nullement mention des précautions que le « découvreur »
prend dans son article quant à ses observations. Les phrases
utilisées par le géant du médicament ne représentent en réalité
qu’une infime partie du long article descriptif des patients que le
psychiatre suit depuis plus de vingt-cinq ans. Le médecin insiste
pourtant longuement sur la description de l’ensemble des points
communs entre tous ses patients, sur le détail des facteurs
favorisants. Il évoque des facteurs environnementaux, sociaux, les
antécédents de sévices sexuels, les délinquants étant souvent
eux-mêmes d’anciennes victimes. Finalement, le fait que la
majorité des malades soit d’un groupe sanguin particulier n’est
qu’une simple observation, presque une anecdote voire une
parenthèse de l’article sans aucune démonstration de lien de
causalité. Le psycho-généticien précise d’ailleurs qu’aucune
conclusion formelle ne doit être tirée de son étude descriptive.
Il terminerait en réalité son article sur un ton humoristique en
imaginant qu’un jour on pourrait peut-être nommer cet éventuel
trouble le syndrome de DSK pour mieux prévenir ce type de
comportement chez les hommes du groupe sanguin en question. Il ne
s’agit bien sûr que d’une boutade, une forme de dérision visant
certains de ses confrères voulant sans cesse absolument tout
expliquer grâce à la génétique pendant que d’autres s’acharnent
à le faire avec la psychologie ou l’environnement. Le médecin
serait ulcéré qu’on s’apprête à utiliser une partie de ses
écrits de la sorte. A peine aurait-il eu le temps de contacter ses
avocats que SHYZER tenterait d’acheter son silence en l’arrosant
de plusieurs milliers de dollars, une somme ridicule comparée aux
rentrées potentielles du nouveau traitement curatif et préventif…
Même si le pactole en convaincrait plus d’un, ce toubib aurait
catégoriquement refusé l’argent. Mais le buzz médiatique est
malheureusement bel et bien sur le point d’être lancé.
Au
cas où par le plus grand des hasards, tu n’entendrais pas parler
de cette histoire, de ce syndrome et de son traitement dans les jours
ou semaines à venir, rien de plus normal. Je suis le seul à être
au courant. En revanche, toi, tu sembles avoir oublié que nous
sommes aujourd’hui le premier avril. Tu peux donc oublier tout ce
que tu viens de lire et aller paisiblement dormir sur tes deux
oreilles. Quoique, on dit souvent que la réalité dépasse la
fiction, mais on dit rarement que la fiction est puisée de certaines
réalités. Mais le plus important, c’est l’humour, il paraît
que c’est bon à la santé. Alors à ta santé !
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