vendredi 7 mars 2014

L'ITT POUR LES NULS ?

 
 

Ceci est une proposition d’aide à la compréhension de cette foutue ITT.
 
Lorsqu’un médecin rédige un certificat de coups et blessures, on lui demande de conclure ce document par la détermination d’une ITT. Cette détermination n’est pas toujours aisée d’autant qu’il n’existe aucune définition officielle de l’ITT, que ce sigle prête à confusion, que le contexte n’arrange pas les choses entre le patient généralement bouleversé par ce qui vient de lui arriver, et des gendarmes pouvant parfois mettre une pression supplémentaire arguant que sans ITT ou avec une ITT trop faible, la plainte ne sera pas recevable…
 
L’ITT c’est quoi ?
 
C’est l’Incapacité Totale de Travail. Elle nous vient du Code Pénal. Très éclairant n’est-ce pas ?
 
Surtout qu’il ne s’agit pas vraiment d’une Incapacité, qu’elle n’est pas forcément Totale, et enfin qu’elle ne concerne pas le Travail professionnel…
 
Tu connais Joe l’embrouille ? Merci le législateur !
 
En fait, il s’agit d’une diminution de la capacité physique et/ou psychique pour une victime de violences volontaires ou involontaires, de vaquer à son travail quotidien, c’est-à-dire ses actes de la vie courante (se déplacer, faire sa toilette, manger, etc…), par rapport à ses capacités totales avant les faits, lorsqu’elle était en pleine possession de ses moyens.
 
A quoi ça sert ?
 
Elle aide le magistrat, parmi d’autres éléments, à qualifier l’infraction (contravention, délit), dont va dépendre la juridiction (le tribunal de police ou correctionnel) compétente pour juger les faits et punir l’auteur des violences.
 
Qui est concerné par l’ITT ?
 
Tout le monde, enfants, adultes, personnes âgées, retraités, pas uniquement les gens qui travaillent !
 
Est-elle figée une fois déterminée ?
 
Non, elle peut être réévaluée en fonction de l’état du patient. Elle peut également nécessiter le recours à un avis spécialisé, à un examen complémentaire immédiat ou différé. Elle est proposée par le médecin afin d’éclairer le magistrat sur le dommage subi par la victime, en théorie, le magistrat reste libre de la déterminer.
 
Les conséquences de sa durée ?
 



Une grille fixant une ITT pour chaque lésion ne serait-elle pas utile ?


Non puisque l’ITT sera différente selon l’âge, les antécédents, les capacités de la victime avant les faits. Un barème ne serait pas suffisamment exhaustif pour balayer toutes les situations possibles, ou alors il serait tellement compliqué qu’inutilisable. Par ailleurs, comment pourrait-il prendre en compte les conséquences psychiques des violences ?


Les principaux pièges :


-Confondre ITT et arrêt de travail.

-Charger la barque (surévaluer l’ITT) pour faire payer l’auteur présumé des faits, c’est-à-dire vouloir faire justice soi-même.


Quelques exemples parfois volontiers caricaturaux :


-Personne présentant des lésions dentaires l’obligeant à manger semi liquide pendant 5 jours, l’ITT peut être évaluée à 5 jours.

-Immobilisation de l’index droit chez un droitier qui sera gêné pour s’habiller, manger, etc… L’ITT peut correspondre à la durée d’immobilisation de l’index.

-Personne présentant un déficit visuel important corrigé par le port de lunettes, victime de violences ayant occasionné une fracture des os propres du nez l’empêchant de mettre ses lunettes. La gêne sur les gestes de la vie courante sera plus importante que chez une personne n’ayant aucun problème visuel, d’où une ITT plus élevée.

-Personne âgée victime d’un vol à l’arraché dans la rue sans aucune lésion physique. ITT nulle. Elle est revue 10 jours plus tard, durée pendant laquelle elle n’a plus osé mettre le nez dehors par crainte d’une nouvelle agression. Il peut être considéré que cette période correspond au retentissement psychique des violences, l’ITT peut ainsi être réévaluée à 10 jours.

-Un violoniste professionnel gaucher présente une entorse du petit doigt de la main droite suite à des violences volontaires. Il sera peu gêné dans la vie quotidienne d’où une ITT faible, en revanche, son arrêt de travail pourra être long puisqu’il lui sera difficile de jouer du violon.


Un peu d’histoire pour les plus curieux, d’autant qu’elle permet de comprendre en partie la confusion actuelle.


Le concept d’ITT est introduit dès 1810 dans le code pénal sous Napoléon sous la forme « incapacité de travail » et ne concerne alors que les coups et blessures volontaires. Jusqu’au début du XX ème siècle, 80 % de la population active avait un travail physique, elle pouvait correspondre à la période durant laquelle la victime était dans l’incapacité de travailler au sens rémunérateur du terme.
 
L’évolution de la société et la diversification des activités professionnelles apporteront certaines nuances.
L’ordonnance du 4 octobre 1945 enrichit l’expression du mot « personnel » donnant « l’incapacité de travail personnel ». Désormais tous les individus peuvent être reconnus en incapacité totale de travail qui ne porte pas encore ce nom.
L’ordonnance du 4 juin 1960 ajoute le mot « total » donnant « l’incapacité totale de travail personnel ».

Puis le mot personnel est supprimé le 1 er mars 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
 
Pour les textes de loi c’est ici.
Sinon la Haute Autorité en Santé a publié sur le sujet .
 
En espérant que cette foutue ITT te semblera désormais un peu moins floue.




[Textes et tableaux tirés de ma thèse : La détermination de l'Incapacité Totale de Travail en médecine générale.

Billet repris sur le site de médecine générale Esculape.]
 




5 commentaires:

  1. Très bon article. J'ai une question : pour les plaies j'ai lu qu'on pouvait coter l'ITT en mettant 1 jour par point. Pourtant une plaie superficielle qui occasionne 7 ou 8 points sur un bras ou une jambe vaut elle vraiment 7 ou 8 jours d'ITT ? Pour moi après 3-4 jours il n'y a plus de douleur et dc plus de retentissement sur la vie quotidienne, qu'en pensez vous ?

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  2. Je suis d'accord avec vous, cette règle ne me paraît pas logique puisque comme vous le dites, une petite plaie mal placée peut-être beaucoup plus invalidante qu'une plaie d'une dizaine de points sans grande conséquence fonctionnelle.

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  3. Trop fort cet ASK !
    merci pour ce billet très éclairant.

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  4. Bonjour Dr Fevre,
    Actuellement à la recherche de bibliographie pour ma thèse, je me permets de vous contacter car je suis très intéressée par votre thèse : la détermination de l'ITT en médecine générale de 2007. Je vous serai très reconnaissante si vous pouviez m'en envoyer une copie.
    Merci d'avance.
    Bonne journée
    Florence Mérillou
    Flower88@hotmail.fr

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  5. Bonjour à vous !

    Rah, je l'aurais bien lu ce livret mais je ne me trouve pas à Dijon...

    Suite à une agression, coup au visage, mon ami a eu une "fracture de l'os malaire gauche déplacée" (opéré en "endobuccale") : Il a eu du médecin/chri : un arrêt de travail de 15 jours + un certificat de prise en charge avec écrit "La durée d'Interruption Total de Travail est de 15 jours".
    Il a subi plusieurs mois (~8) plus tard une ablation du matériel d’ostéosynthèse (une petite plaque si j'ai ben saisi): arrêt de travail de 11 jours.

    Le médecin judiciaire a déterminé 21 jours d'ITT (et il eu un arrêt de travail de 15 jours).

    Est-ce raisonnable selon vous ? Comment ça a été déterminé ?
    Il pense que ça aurait du être 15 jours, il ne veut pas se retrouver dans le cas du piège : "Charger la barque (surévaluer l’ITT) pour faire payer l’auteur présumé des faits, c’est-à-dire vouloir faire justice soi-même.

    Merci =)

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