Avertissement :
En raison d'un risque élevé de déculturation, ce billet est fortement déconseillé aux plus cultivés d'entre vous.
On
peut penser que je m’éloigne de la médecine pour glisser sur un
terrain bien sombre et dangereux. D’autant
qu’il n’est nullement besoin de faire de la publicité à un
courant de pensée dont les grands serviteurs s’enorgueillissent
de compter chaque jour les innombrables tapis rouges déroulés par
les différents médias du pays. Mais aucune inquiétude à avoir. D’une part parce que les quelques arguments avancés ici seront
tous tirés de mon illégitimité assumée autant que de mes méticuleuses imprécisions. D’autre part parce que
la médecine ne sera jamais très loin du sujet. Quant à une
éventuelle publicité, je dirais qu’il est tout simplement moins
difficile de faire face à un ennemi dont on connaît le visage, rien
de plus. Comme en médecine d’ailleurs, il est sans doute moins
difficile aussi bien pour le soignant que pour le patient de
combattre un mal que l'on a réussi à identifier.
J’avais
introduit mon précédent billet en parlant de ramassage de patates.
Pendant que certains préfèrent cacher leurs origines paysannes, je
les assume volontiers, et oui je le reconnais, j’en suis même
fier. On ne peut imaginer ce que j’ai pu tirer de mes observations
lorsque petit, je suivais à la trace les sabots de mes « bouseux »
de grands-parents. Alors je réitère le procédé pour ce billet qui
va tout de suite entrer dans le vif du sujet grâce à l’élevage
de lapins de mes aïeux. Je me souviens que pendant que ma grand-mère
castrait les mâles, mon grand-père se rendait chez un voisin du
village, voire dans un village voisin, à la recherche d’un bon
mâle reproducteur. Depuis des lustres on avait observé dans les
campagnes que la reproduction entre lapins d’un même élevage
menait à des spécimens de plus en plus fragiles, voire à
l’extinction de l’élevage. Il était ainsi nécessaire
d’apporter le matériel génétique d’un mâle extérieur, d’un
étranger, pour au contraire renforcer et préserver l’élevage.
Tout à fait intéressant n’est-ce pas ?
Il
y a quelques années, une thèse est née. Sournoisement, cette thèse
fait son petit bonhomme de chemin, distillée tantôt par une
personnalité politique, tantôt par un journaliste, puis par un
écrivain, etc… Cette thèse, c’est la thèse dite du grand
remplacement dont voici ce que rapporte Wikipédia à son sujet :
« Le
grand remplacement est un néologisme politique introduit par
l'écrivain français d'extrême droite Renaud Camus en 2010. Il
exprime l'idée qu'à la faveur de l'immigration et des différentiels
de fécondité, les « minorités visibles », en premier lieu
d'origine noire et maghrébine, tendent à devenir majorité sur des
portions en expansion constante du territoire français
métropolitain, et que la logique de ce processus est de conduire à
une substitution de population au terme de laquelle la France cessera
d'être une nation essentiellement européenne. »
Si
cette thèse venait à se vérifier, la solution pour y remédier
serait vite trouvée : fermons les frontières, replions-nous
sur nous-même et copulons gaiement ensemble, rien qu’entre nous,
afin de préserver le peuple France ! Ouf, nous sommes sauvés.
Mouimoui…
Moui mais… Moi j’ai la thèse de l’élevage des lapins de mes
grands-parents en tête. Donc problème, ça ne colle pas. Bon OK,
nous les humains on fait peut-être pas ça comme les lapins, du
moins, moins souvent et moins vite, du moins vous, moi ça ne regarde
personne. Bref, le truc du grand remplacement, si on se fie à mon
histoire de lapins, ben, il en prend un coup dans l’aile non ?
(Ou plutôt derrière les oreilles, lapins-oreilles, restons
cohérents). Petit risque de fragiliser le peuple France jusqu’à
l’extinction paisible non ? OK, il est vrai qu’il est
maladroit de nous comparer à la cuniculture.
Allez,
passons du monde animal au monde conjugal, soyons sérieux un
instant. Nul besoin d’avoir fait médecine pour savoir ce qu’est
la consanguinité. Je me souviens avoir entendu dire quand j’étais
gamin que si un type avait un enfant avec sa cousine, ou pire avec sa
sœur, alors l’enfant risquait de ne pas être « normal »
(pour rester poli). Comme c’est un truc qui ne se fait pas, alors
Dieu les punit. Évidemment, il y a une autre explication qui tient
un peu plus la route. Et je n’avais pas eu à l’époque la
lucidité pour faire le lien avec les lapins. Il suffit de comprendre
qu’une éventuelle anomalie génétique aura plus de risques de se
révéler et de se développer en faisant reproduire entre eux les
membres d’une même famille. Au contraire, à part quand on n’a
pas de bol et même si parfois c’est beaucoup plus compliqué que
ça, ce risque sera diminué grâce au brassage génétique, en
mélangeant les gènes de gens qui n’ont aucun lien de parenté.
Historiquement,
l’homme a plutôt cherché à explorer le monde, à découvrir
d’autres territoires, d’autres peuples. Bien sûr, cela n’a pas
forcément été un long fleuve tranquille, loin de là, mais
globalement il a cherché à se mélanger. Entre membres d’une même
tribu, puis avec les tribus voisines. Entre membres d’un même
village, puis avec les villages voisins. Entre membres d’un même
pays, puis avec les pays voisins et même lointains. Je mettrais ma
main à couper que si un jour on découvrait des extraterrestres, quelques
accouplements verraient le jour. Évidemment, sous conditions d’une
physiologie adaptée et d’une plastique non rebutante et encore.
Tout
jeune et frais interne, j’ai saisi l’opportunité d’accomplir
une partie de ma formation de médecin aux Antilles. Quelques années
plus tard, j’y suis retourné pratiquer mon métier. D’ailleurs,
petite anecdote au passage, lors de mon dernier voyage en Martinique,
j’étais assis quelques rangs derrière un certain Éric Z. qui ne
volait pas ce jour-là en première classe et qui ne parlait pas
encore à cette époque-là de suicide des Français. Heureusement
car au milieu de la carlingue survolant l’immensité bleu marine de
l’Atlantique, j’aurais vraiment flippé ma race. J’aurais
sincèrement préféré voyager en compagnie d’un people (si on
peut appeler ça ainsi…) légèrement plus glamour avec lequel je me serais empressé de prendre un formidable selfie aussitôt divulgué aux faux lovers de mon compte Twitter pour montrer à quel point je voyage avec des
gens importants à défaut de l’être moi-même mais voilà, le
hasard ne fait pas toujours aussi bien les choses qu’on ne le dit.
Snif. Je me suis donc tapé durant huit heures de vol cette tête de
fouine, ce sinistre clown du PAF qui me donne l’envie de dire que
je suis à fond pour la liberté d’expression, à condition de ne
pas atteindre l’overdose d’expression… Bon, je voulais
brièvement évoquer mon expérience martiniquaise. D’après ce que
j’ai compris, vivaient peinards sur cette île magnifique, les
indiens Caraïbes. Christophe Colomb (ou un autre) a découvert ces
territoires. Les Européens ont pointé leur nez, et la pointe de
leurs épées… Les habitants paisibles ont été chassés,
exterminés. Des esclaves d’Afrique y ont été envoyés pour
travailler. L’esclavage a été aboli. D’autres peuples sont
arrivés d’Inde, de Chine. Et parmi tous ces gens, certains se sont
mélangés pour donner une population métissée, chabins, coolies,
etc… Aujourd’hui, de nombreux Antillais vivent en métropole. Ce
bref rappel historique forcément incomplet et imprécis, désolé je
ne suis pas historien, montre qu’il y a eu ici le remplacement
atrocement douloureux d’un peuple par un autre. Personne ne peut le
nier, nous sommes les héritiers innocents de ce passé. La seule
chose que nous pouvons faire aujourd’hui, c’est ne pas oublier
pour éviter que ça recommence un jour. Mais quand j’entends
certains bons vieux franchouillards n’ayant jamais mis les pieds là-bas,
encore moins plongé le nez dans un bouquin d’histoire, affirmer
que ces « gens-là » (leurs compatriotes) ne sont que des
« nègres fainéants et racistes contre les blancs », en
plus de me faire mal comme des lames de rasoirs enfoncées dans les
tympans, je me dis qu’on est vraiment à 10 000 lieues de
sortir de l’auberge et que les théoriciens du grand remplacement
peuvent recruter finger in the nose le gland décontracté le
sphincter anal relâché comme jamais.
Je
sais qu’il peut paraître difficile de percevoir le lien que je
commence à tisser entre grand remplacement / Antilles / et médecine,
mais patience, ça arrive.
Pour
argumenter leur théorie, ces types nous amènent justement sur le
terrain médical en brandissant les chiffres et le test de dépistage
de la drépanocytose. Pour faire simple, la drépanocytose est une
maladie génétique entraînant une anomalie de l’hémoglobine
touchant principalement les populations d’Afrique, des Antilles,
mais aussi d’Inde et du Moyen-Orient. Elle peut encore se retrouver
en Grèce et en Italie. C’est vraiment une saloperie de maladie
sournoise et douloureuse. Je me souviendrai longtemps de cette
magnifique petite princesse de six ans en larmes, hospitalisée pour
la énième fois, à qui je tenais la main un soir de garde lorsque
j’exerçais il y a peu dans un service de pédiatrie en Martinique.
En manipulant des statistiques concernant cette pathologie qui touche
justement des gens qu’ils n’aiment pas, les extrémistes tentent
de prouver que le grand remplacement est en marche en France.
« Tremblez Français ! Barricadez-vous ! Vite, à
l’abri ! Les étrangers nous envahissent, se reproduisent à vitesse grand V, enfantent nos femmes et leur
refourguent le gène de la drépanocytose ! C’est affreux ! La
preuve, nous sommes obligés de dépister cette maladie qui progresse
à vue d’œil sur NOTRE territoire ! ». Bon OK, si vous
voulez les gars, mais détendez-vous un peu. Premièrement, petit
exemple, les Antillais des Antilles et de métropole que l’on
dépiste, ils sont Français hein et depuis longtemps. Ensuite, tous
les dépistés aux Antilles ne sont pas forcément des bébés à
risque. J’en ai la preuve vivante. Quand j’étais interne en
Martinique, j’ai eu un bébé. Il est né à la maternité de
l’hôpital de Fort-De-France. Alors que ni ma femme, ni moi ne
faisons partie d’une population à risque de drépanocytose, mon
fils, petit bébé blanc au milieu de ses charmants bébés conscrits
noirs a eu droit au dépistage systématique de la maladie. Et boum,
un cas de plus pour faire gonfler les statistiques prouvant
l’insoutenable avancée du remplacement. Aux Antilles françaises,
le dépistage néonatal de la drépanocytose est systématique,
contrairement à la France métropolitaine où il cible les
populations à risque.
S’offusquer
qu’un test de dépistage fiable et utile bénéficie
majoritairement à nos compatriotes de couleur (Antillais, Français
originaires de zones géographiques à risque) ainsi qu’à nos amis
étrangers naissant sur le sol français me fait vomir.
Personnellement, j’ai plutôt tendance à m’offusquer lorsque des
examens de dépistage se révèlent discutables voire possiblement
nocifs.
Au-delà
de la manipulation de chiffres que chaque camp tente de faire parler
en sa faveur et du petit nombril de chacun, je me pose cette
question : et si la drépanocytose était un moyen de préserver
l’espèce humaine ?
Je
m’explique.
Pendant
qu’on s’excite sur l’épidémie liée au virus Ebola (qui
mérite bien sûr une grande vigilance, mais pas forcément une
dramatisation médiatique), on oublierait presque que le paludisme
(encore appelé malaria) tue plus de 600 000 personnes par an
dans le monde selon l’OMS (1 million selon d’autres sources).
Quand on lit ce que peut raconter le vieux borgne sur Ebola
ici, on peut aisément imaginer l’érection voire le priapisme que
pourrait lui engendrer les chiffres du paludisme, ces milliers de
morts s’observant majoritairement en Afrique, chez des enfants.
Mais,
y a un mais. Même si ces chiffres sont dramatiquement
impressionnants, tous les Africains ne meurent pas du paludisme, et
justement, les porteurs sains du gène d’une forme de drépanocytose
ainsi que les personnes atteintes de cette même forme de la maladie
sont protégés contre le paludisme.
Le
paludisme est une très vieille maladie, apparue il y a des milliers
d’années.
La
drépanocytose, j’en sais rien. Mais ça me fait penser aux
bactéries sur lesquelles tu balourdes des seaux d’antibiotiques.
Au bout d’un certain temps, les bactéries résistent et tu
sélectionnes une population de bactéries résistantes contre
laquelle tu te casses les dents.
A
l’échelle de l’humanité, à l'échelon de notre belle planète et non pas d’un pays recroquevillé, en imaginant l’avancée du
réchauffement climatique et l’éventuelle expansion du paludisme,
n’en déplaise aux théoriciens du grand remplacement, ne peut-on
pas se demander si cette saloperie de drépanocytose n’est pas un
des prix à payer pour préserver l’espèce humaine ? Une
sorte de rempart génétique contre laquelle le moustique anophèle
vecteur du parasite plasmodium viendrait buter ?
Si
tel était le cas, ce raisonnement poussé à l'extrême ne serait
plus un simple petit uppercut, mais une sacrée belle droite pouvant
faire tomber KO l'argument avancé par les souffleurs de braises du
grand chaos.
Ces
souffleurs aiment nous servir la soupe de la déculturation. Que
cette soupe tiède et fade nous vienne de la clique camusienne comme
zemmourienne, je ne crois pas une seconde à la déculturation, à
cette déculturation-là, étroitement liée à l'immigration qui induirait ce grand remplacement. La culture est une histoire d'héritages, de
sentiments, de choix, d'abstrait, de subjectivités, mêlant réalité
et irrationnel. Tout cela se multiplie à l'infini, s'enrichit, mais
ne doit être ni divisé, ni hiérarchisé. Au contraire tout se
rejoint comme les cours d'eau.
Remonter à la source, aux origines.
Les origines ?
Dans ma culture, j'ai entendu parler d'Adam et
Ève. Croire ou ne pas croire fait partie de l'intime, là n'est pas
le sujet. Mais lorsque j'entends un Maghrébin prénommer son fils Adam ou sa fille Hawa, avons-nous une langue, un passé, une
culture si différente ? Ne sommes-nous pas de lointains
cousins ? Le risque de déculturation est-il si élevé ?
Si oui, qui touche-t-il le plus ?
Même sans avoir embrassé
des études pour devenir toubib,
même issu du fin fond d'un bled paumé, tout le monde a entendu parler d'Hippocrate et de son fameux sermon
serment. Mais qui a conscience de toute l'importance de médecins
comme Avicenne, moins connu sous le nom d'Abu Ali al-Husayn Ibn Abd
Allah Ibn Sina (on comprend pourquoi), ou encore Rhazès ?
Que serait la médecine, la chirurgie d'aujourd'hui sans
l'influence de la médecine arabe (ou perse pour ne froisser personne) d'avant-hier (du Moyen Age)
exportée partout en Europe ?
Je pense qu'un lointain cousin arabe
aurait bien des choses à m'apprendre si je le laissais me susurrer
quelques mots à l'oreille de temps en temps, histoire d'enrichir ma
culture personnelle...
Ma culture ou mon inculture médicale ? Que serait-elle sans mes rencontres avec ces médecins étrangers, métissés, ou issus de l'immigration dont je parlais dans ce billet intitulé Etrangitude ?
Ma culture ou mon inculture médicale ? Que serait-elle sans mes rencontres avec ces médecins étrangers, métissés, ou issus de l'immigration dont je parlais dans ce billet intitulé Etrangitude ?
Pour
finir, deux expressions populaires tirées de la classe sociale déculturée à jamais dont je fais partie me viennent à l’esprit :
« Je
suis mort de trouille » et « L’espoir fait vivre ».
Je
sais qu’on peut avoir peur de mourir. En revanche je ne sais pas
s’il est possible de mourir de peur, mais j’ai remarqué que dès
que quelqu’un essaie de provoquer et jouer sur les peurs, il y a
généralement derrière ça soit quelque chose à vendre, soit une
quête de pouvoir. Donc dans le doute, méfions-nous de ces mauvais
joueurs, ces bonimenteurs, mais n’ayons pas peur et positivons pour
préserver la vie, mes petits lapins !
« …
il n'est point vrai que l’œuvre de l'homme est finie
que
nous n'avons rien à faire au monde
que
nous parasitons le monde
qu'il
suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais
l’œuvre de l'homme vient seulement de commencer
et
il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux
coins de sa ferveur
et
aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence,
de la force
et
il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons
maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la
parcelle qu'a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute
de ciel en terre à notre commandement sans limite. »
Aimé
Césaire
Extrait
du Cahier d'un retour au pays natal.
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