L’aînée
a dix ans, la cadette en a six, le petit dernier vient de souffler
ses trois mois.
J’ai
suivi et vacciné les deux grandes.
J’ai
accompagné comme j’ai pu la maman durant une période de sa vie
qui ne laissait pas présager un long fleuve tranquille.
Puis
les choses semblent s’être « tassées » comme on dit.
Le
petit dernier est alors arrivé.
Lors
de la consultation du deuxième mois, cette maman m’explique
qu’elle est bien embêtée car le papa (que je n’ai jamais
rencontré même pour les plus grandes) refuse « les onze
nouveaux vaccins ».
Suivent
alors de longues explications.
—Ce
ne sont pas des vaccins nouveaux. Ce sont les mêmes que pour vos
filles.
—Oui
mais pour les filles, on avait refusé celui contre l’hépatite B.
On
parle, on rassure, elle est d’accord, elle.
Je
propose un compromis.
—Je
peux vous prescrire le vaccin sans hépatite B dans un premier temps
si c’est cela qui bloque. Et revenez avec votre mari.
Le
rendez-vous est fixé une semaine plus tard.
La
semaine passe.
Elle
revient, seule.
—Je
suis désolée. Je n’ai pas réussi à le faire venir. Et il refuse
le vaccin même sans hépatite. Avec toutes ces histoires autour des
vaccins, il se méfie de tout. Ce qu’il acceptait pour les filles,
maintenant il le refuse. D’ailleurs à l’époque il ne se posait
pas toutes ces questions. C’est sur internet qu’il trouve des
trucs qui le braquent. On s’est engueulés. Je vais encore essayer,
mes beaux-parents aussi vont essayer. Pouvons-nous reprendre un
rendez-vous ?
Elle
revient, avec son enfant de trois mois, sans son mari.
Les
choses se sont peut-être « tassées » comme on dit.
—Docteur,
on n’a pas réussi. Il ne veut rien entendre. Il s’est engueulé
avec ses parents. On s’est encore engueulés nous aussi.
Alors
j’examine ce petit bout de chou. On discute.
Je
questionne : pourquoi l’avis de ce papa pèserait-il plus que
celui de cette maman ?
Je
me souviens de propos de certains confrères : « Si refus
vaccinal, alors je ne m’emmerde pas à suivre l’enfant, ouste, du
balai ! »
Impossible
pour moi face à cette maman de prendre cette option bien étonnante
lorsqu’on se dit « soignant ».
Je
creuse : les engueulades ont-elles pour seul motif la
vaccination du petit dernier ? D’autres moments de tension
pour ne pas dire violences émergent-ils de temps en temps, comme
lorsque les grandes étaient petites, cette période de long fleuve
agité ?
Je repense à certains points lus dans le bulletin de l’ordre des médecins de mai-juin 2018 :
Cela
peut-il m’aider dans cette situation ? L’enfant ne va pas en
collectivité et sera scolarisé dans trois ans.
La
« CRIP » est le service auquel nous devons signaler les
situations d’enfants que nous suspectons être en danger.
Les
sanctions : deux ans de prison, trente mille euros d’amende.
En
m’installant dans la posture du père fouettard, vais-je aider
cette maman ?
Quelle
balance bénéfices / risques pour cette situation ?
Le
delta entre le cadre général et la singularité des situations,
entre la théorie et la pratique, entre les bureaux cossus des hautes
sphères et la rugosité de la réalité du terrain.
J’ai
renouvelé ma disponibilité pour rencontrer ce papa. J’ai fixé un
nouveau rendez-vous à ce petit et sa maman. On marche pour le moment
sur un fil, il faut éviter qu’il cède. Avant tout ne pas nuire.
Certains
parient : un de perdu dix de retrouvés.
En
rigidifiant la loi sur l’obligation vaccinale, on peut observer
parfois qu’un de perdu c’est vraiment un de perdu, et que ça
peut même être un de perdu là où l’on avait en grande partie
gagné.
Un
de perdu, c’est dix de retrouvés, mais si en même temps, EN MÊME
TEMPS, un de retrouvé c’est dix de perdus, alors je vous laisse
faire le bilan des courses.
Pour
en savoir plus sur l’illustration et faire le lien avec ce billet,
voici le mot clé : Danaïdes.