Il
m’arrive régulièrement comme à tous médecins je pense, de
ressasser certaines consultations.
Il
y a bien sûr les doutes et les questions sur ce qu’on a fait, ou
pas fait, dit ou pas dit, dû ou n’aurait pas dû dire.
Certains
patients réussissent parfois à nous désarçonner avec des
questions que l’on n’a pas anticipées et dont les réponses ne
se trouvent pas forcément dans les bouquins de médecine. Alors le
toubib qui s’abaissera rarement à répondre qu’il ne sait pas se
met à broder, inventer, improviser une réponse. Il slalome entre ce
qu’il a appris, entendu ici ou là, vécu personnellement, pour
éviter la sortie de piste. Allez les toubibs, reconnaissons-le, cela
nous est tous arrivé au moins une fois durant notre carrière non ?
C’est ainsi que la réponse improvisée (et dans le meilleur des
cas vérifiée ultérieurement) vient enrichir notre expérience
professionnelle puis pourra éventuellement resservir face à une
situation similaire.
Mais
en y regardant de plus près, il y a tout le reste sur lequel on ne
se pose aucune question, persuadés que nous sommes de faire ou
répondre exactement ce qu’il faut. Un peu comme ces mauvais
réflexes de conduite acquis à la longue sans en être conscient.
C’est pourquoi j’avais envie de revenir à froid sur cette
consultation.
C’est
un bébé né prématurément que je reçois ce jour-là. Il s’agit
d’une consultation de pédiatrie et de vaccinations. L’enfant est
né très exactement à 32 semaines d’aménorrhée (SA) et 5 jours
(normalement et théoriquement une naissance à terme a lieu à 41
semaines d’aménorrhée à quelques brouettes près).
J’avais
reçu depuis un moment le compte-rendu du service de réanimation
pédiatrique dans lequel le bambin avait été hospitalisé à sa
naissance. Ce sont en général des courriers bien détaillés de
plusieurs pages. Je l’avais lu en diagonale puis rangé avant de
le relire plus sérieusement au moment de la consultation en
slalomant assez furtivement entre le résultat du pH artériel
ombilical à la naissance et autres données bien trop compliquées
pour moi. Je me suis en revanche arrêté un temps sur le schéma
vaccinal préconisé par cette lettre du confrère que je rapporte
ici :
« Prévoir
un schéma vaccinal hexavalent et Prévenar à 2, 3 et 4 mois (<33
SA) »
Le
vaccin hexavalent est le vaccin tout en un contre la diphtérie, le
tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, le germe haemophilus
influenzae b, et l’hépatite B.
Le
vaccin Prévenar est celui destiné à lutter contre les types de
pneumocoques les plus méchants.
Chez
un bébé né à terme, depuis 2013 il est préconisé de débuter
ces vaccinations par une injection à 2 puis 4 mois alors
qu’auparavant on réalisait également une injection à 3 mois,
soit 2, 3 et 4 mois.
Depuis
2013, je savais que pour le vaccin Prévenar, il était préconisé
de réaliser une injection à 2, 3 et 4 mois chez les enfants nés
prématurément (avant 37 SA). Soit de réaliser le schéma qui
concernait tous les bébés indépendamment de leur terme comme cela
se pratiquait avant 2013. Vous me suivez ? Vous faites le lien
avec le titre du billet ? Le slalom, la sortie de piste, c’est
plus clair ?
Eh
bien moi, en lisant la préconisation hospitalière, je me rendais
compte que j’étais sorti de piste depuis plusieurs années car je
ne savais pas que pour les enfants nés avant 33 SA il était
nécessaire de réaliser également une injection d’hexavalent à 3
mois (ou de pentavalent si on informe et qu’on laisse le choix aux
parents de ne pas vacciner leur enfant contre l’hépatite B et que
ce vaccin est disponible).
Même
s’il n’y a pas mort d’homme (quoique imaginons que l’enfant
fasse une coqueluche cognée au point de se retrouver en réanimation
alors que je n’ai pas suivi la préconisation hospitalière), c’est
assez déstabilisant de se rendre compte en pleine consultation que
l’on est sorti de piste depuis un long moment. Oui car mon premier
réflexe a été de me dire :
« Oh ben merde alors !
Je ne connaissais pas cette recommandation et même si je ne vois pas
des bébés prématurés de moins de 33 SA tous les jours, il n’est
pas impossible que certains soient passés à l’as de cette
injection à 3 mois. Je suis un nul, s’ils s’en rendent compte,
les parents vont me prendre pour un nul, et si les enfants en
question sont revus par un pédiatre hospitalier, ce dernier va me
prendre en toute confraternité pour un nul. »
Et
puis cela renvoie également à tout le reste, tous ces domaines de
la pratique médicale que nous pensons maîtriser alors qu’il n’est
pas impossible que nous ne soyons pas dans les clous.
Sorti
de la piste du slalom, turlupiné mais pas encore totalement
découragé je me suis mis à surfer.
Je
suis vite allé surfer sur le net histoire de voir de quand datait
cette fichue recommandation vaccinale.
Je
suis tombé d’emblée sur le site de ce que l’on appelle en
médecine une société savante : la Société Française de
Pédiatrie. A la lecture de l’article spécifiquement dédié à la vaccination
des enfants prématurés ici, plus précisément à la lecture de cette
partie
je
me suis un peu plus enfoncé de honte dans mon fauteuil.
Avec
un courrier de grands spécialistes d’un grand hôpital
universitaire où l’on apprend la médecine aux bébés médecins,
qui préconise ce schéma vaccinal, conforté d’un article publié
sur le site d’une société de « savants », j’aurais
pu stopper les frais à ce stade de ma descente et plier les gaules
aussi sec.
Mais
l’article me semblant trop peu étayé de références, j’ai
repris le surf.
J’ai
alors trouvé une autre recommandation émanant du Haut Conseil de la
Santé Publique mise en ligne en juin 2015 et intitulée : "Recommandations vaccinales pour les enfants nés prématurés" consultable ici .
Voici
sa conclusion :
« Le
HCSP estime qu’il n’existe pas à ce jour de données
épidémiologiques justifiant de recommander un schéma vaccinal
renforcé pour l’immunisation des nourrissons nés prématurés
contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche et
les infections à Haemophilus influenzae b.
La
priorité est de débuter la vaccination de ces nourrissons à l’âge
de 8 semaines de vie. »
Comme
quoi ça vaut le coup de surfer et slalomer entre différents
articles puisque ce dernier venait de pointer que je n’étais
finalement par chance pas tant à la ramasse que ça.
Mais
alors qui croire et surtout que faire ? Appliquer la règle du
« ni-ni » ? Ne pas choisir d’injecter la dose de
vaccin penta ou hexavalent à 3 mois sans pour autant l’injecter
nous mènerait alors à administrer une demi-dose dudit vaccin. On
voit bien là les limites de la règle du ni-ni…
Et
imaginons un instant que nous décidions d’impliquer les principaux
intéressés dans cette histoire que sont les parents de l’enfant
et ainsi il faut bien l’admettre se défiler en douceur.
« Alors
les parents, voilà, concernant ce vaccin, les pédiatres de
l’hôpital ainsi que les savants disent cela, les experts des
autorités officielles disent l’inverse, moi au milieu je peux
choisir de vous laisser choisir en sachant qu’il ne me paraît pas
sérieux de ne pas choisir puisque faire une demi-dose de vaccin n’a
à mes yeux ni queue ni tête (le ni-ni) ».
Questions :
Faut-il
donner tous ces détails au patient ou aux parents ?
Faut-il
toujours chercher ce fameux consentement pour tous nos actes ?
N’y aurait-il pas un juste milieu entre « le jamais pour
rien » et « le toujours pour tout » ?
Toujours
est-il que je tairai ce que j’ai fait car je suis loin d’être
exemplaire et je n’ai absolument pas envie de me faire tailler un
costard.
Pour
conclure :
-l’exercice
de la médecine est grosso modo une histoire de slalom entre les
connaissances et les expériences du médecin, entre les
connaissances, expériences et choix des patients, entre les
articles, les études, les comptes-rendus et avis de spécialistes.
C’est donc bel et bien le slalom des toubibs qui même si ça ne se
voit pas passent finalement pas mal de temps à tordre du cul.
-même
si c’est difficile, peu valorisant, absolument pas valorisé, il
semble utile d’envisager avoir tort là où on est persuadé
d’avoir raison tellement on croit maîtriser le sujet finger
in the nose.
-
ce qui est assez drôle c’est
que je ne serais pas étonné d’apprendre que certains auteurs de
l’article de la Société Française de Pédiatrie aient contribué
à la rédaction de celui du Haut Conseil de la Santé Publique, donc
que le sujet ne soit pas si clair que ça même chez les experts.
Encore une histoire de slalom entre le oui, le peut-être, le en fait
non, à moins que et c’est sans doute là l’essentiel :
évoluer grâce aux doutes et aux questionnements en espérant qu’ils
soient uniquement guidés par l’intérêt des patients mais ça
c’est une autre histoire.
-
enfin, rien ne sert de surfer, il faut surfer à point !