Ceci
est une proposition d’aide à la compréhension de cette foutue
ITT.
Lorsqu’un
médecin rédige un certificat de coups et blessures, on lui demande
de conclure ce document par la détermination d’une ITT. Cette
détermination n’est pas toujours aisée d’autant qu’il
n’existe aucune définition officielle de l’ITT, que ce sigle
prête à confusion, que le contexte n’arrange pas les choses entre
le patient généralement bouleversé par ce qui vient de lui
arriver, et des gendarmes pouvant parfois mettre une pression
supplémentaire arguant que sans ITT ou avec une ITT trop faible, la
plainte ne sera pas recevable…
L’ITT
c’est quoi ?
C’est
l’Incapacité Totale de Travail. Elle nous vient du Code Pénal. Très éclairant n’est-ce pas ?
Surtout
qu’il ne s’agit pas vraiment d’une Incapacité, qu’elle n’est
pas forcément Totale, et enfin qu’elle ne concerne pas le Travail
professionnel…
Tu connais Joe l’embrouille ? Merci le
législateur !
En
fait, il s’agit d’une diminution de la capacité physique et/ou
psychique pour une victime de violences volontaires ou involontaires,
de vaquer à son travail quotidien, c’est-à-dire ses actes de la
vie courante (se déplacer, faire sa toilette, manger, etc…), par
rapport à ses capacités totales avant les faits, lorsqu’elle
était en pleine possession de ses moyens.
A
quoi ça sert ?
Elle
aide le magistrat, parmi d’autres éléments, à qualifier
l’infraction (contravention, délit), dont va dépendre la
juridiction (le tribunal de police ou correctionnel) compétente pour
juger les faits et punir l’auteur des violences.
Qui
est concerné par l’ITT ?
Tout
le monde, enfants, adultes, personnes âgées, retraités, pas
uniquement les gens qui travaillent !
Est-elle
figée une fois déterminée ?
Non,
elle peut être réévaluée en fonction de l’état du patient.
Elle peut également nécessiter le recours à un avis spécialisé,
à un examen complémentaire immédiat ou différé. Elle est
proposée par le médecin afin d’éclairer le magistrat sur le
dommage subi par la victime, en théorie, le magistrat reste libre de
la déterminer.
Les
conséquences de sa durée ?
Une
grille fixant une ITT pour chaque lésion ne serait-elle pas utile ?
Non
puisque l’ITT sera différente selon l’âge, les antécédents,
les capacités de la victime avant les faits. Un barème ne serait
pas suffisamment exhaustif pour balayer toutes les situations
possibles, ou alors il serait tellement compliqué qu’inutilisable.
Par ailleurs, comment pourrait-il prendre en compte les conséquences
psychiques des violences ?
Les principaux
pièges :
-Confondre
ITT et arrêt de travail.
-Charger
la barque (surévaluer l’ITT) pour faire payer
l’auteur présumé des faits, c’est-à-dire vouloir faire justice
soi-même.
Quelques
exemples parfois volontiers caricaturaux :
-Personne
présentant des lésions dentaires l’obligeant à manger semi
liquide pendant 5 jours, l’ITT peut être évaluée à 5 jours.
-Immobilisation
de l’index droit chez un droitier qui sera gêné pour s’habiller,
manger, etc… L’ITT peut correspondre à la durée
d’immobilisation de l’index.
-Personne
présentant un déficit visuel important corrigé par le port de
lunettes, victime de violences ayant occasionné une fracture des os
propres du nez l’empêchant de mettre ses lunettes. La gêne sur
les gestes de la vie courante sera plus importante que chez une
personne n’ayant aucun problème visuel, d’où une ITT plus
élevée.
-Personne
âgée victime d’un vol à l’arraché dans la rue sans aucune
lésion physique. ITT nulle. Elle est revue 10 jours plus tard, durée
pendant laquelle elle n’a plus osé mettre le nez dehors par
crainte d’une nouvelle agression. Il peut être considéré que
cette période correspond au retentissement psychique des violences,
l’ITT peut ainsi être réévaluée à 10 jours.
-Un
violoniste professionnel gaucher présente une entorse du petit doigt
de la main droite suite à des violences volontaires. Il sera peu
gêné dans la vie quotidienne d’où une ITT faible, en revanche,
son arrêt de travail pourra être long puisqu’il lui sera
difficile de jouer du violon.
Un
peu d’histoire pour les plus curieux, d’autant qu’elle permet
de comprendre en partie la confusion actuelle.
Le
concept d’ITT est introduit dès 1810 dans le code pénal sous
Napoléon sous la forme « incapacité de travail » et ne
concerne alors que les coups et blessures volontaires. Jusqu’au
début du XX ème siècle, 80 % de la population active avait un
travail physique, elle pouvait correspondre à la période durant
laquelle la victime était dans l’incapacité de travailler au sens
rémunérateur du terme.
L’évolution
de la société et la diversification des activités professionnelles
apporteront certaines nuances.
L’ordonnance
du 4 octobre 1945 enrichit l’expression du mot « personnel »
donnant « l’incapacité de travail personnel ».
Désormais tous les individus peuvent être reconnus en incapacité
totale de travail qui ne porte pas encore ce nom.
L’ordonnance
du 4 juin 1960 ajoute le mot « total » donnant
« l’incapacité totale de travail personnel ».
Puis le mot personnel est supprimé le 1 er mars 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Puis le mot personnel est supprimé le 1 er mars 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Pour
les textes de loi c’est ici.
Sinon
la Haute Autorité en Santé a publié sur le sujet là.
En espérant que cette foutue ITT te semblera désormais un peu moins floue.
[Textes et tableaux tirés de ma thèse : La détermination de l'Incapacité Totale de Travail en médecine générale.
Billet repris sur le site de médecine générale Esculape.]
[Textes et tableaux tirés de ma thèse : La détermination de l'Incapacité Totale de Travail en médecine générale.
Billet repris sur le site de médecine générale Esculape.]
Très bon article. J'ai une question : pour les plaies j'ai lu qu'on pouvait coter l'ITT en mettant 1 jour par point. Pourtant une plaie superficielle qui occasionne 7 ou 8 points sur un bras ou une jambe vaut elle vraiment 7 ou 8 jours d'ITT ? Pour moi après 3-4 jours il n'y a plus de douleur et dc plus de retentissement sur la vie quotidienne, qu'en pensez vous ?
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec vous, cette règle ne me paraît pas logique puisque comme vous le dites, une petite plaie mal placée peut-être beaucoup plus invalidante qu'une plaie d'une dizaine de points sans grande conséquence fonctionnelle.
RépondreSupprimerTrop fort cet ASK !
RépondreSupprimermerci pour ce billet très éclairant.
Bonjour Dr Fevre,
RépondreSupprimerActuellement à la recherche de bibliographie pour ma thèse, je me permets de vous contacter car je suis très intéressée par votre thèse : la détermination de l'ITT en médecine générale de 2007. Je vous serai très reconnaissante si vous pouviez m'en envoyer une copie.
Merci d'avance.
Bonne journée
Florence Mérillou
Flower88@hotmail.fr
Bonjour à vous !
RépondreSupprimerRah, je l'aurais bien lu ce livret mais je ne me trouve pas à Dijon...
Suite à une agression, coup au visage, mon ami a eu une "fracture de l'os malaire gauche déplacée" (opéré en "endobuccale") : Il a eu du médecin/chri : un arrêt de travail de 15 jours + un certificat de prise en charge avec écrit "La durée d'Interruption Total de Travail est de 15 jours".
Il a subi plusieurs mois (~8) plus tard une ablation du matériel d’ostéosynthèse (une petite plaque si j'ai ben saisi): arrêt de travail de 11 jours.
Le médecin judiciaire a déterminé 21 jours d'ITT (et il eu un arrêt de travail de 15 jours).
Est-ce raisonnable selon vous ? Comment ça a été déterminé ?
Il pense que ça aurait du être 15 jours, il ne veut pas se retrouver dans le cas du piège : "Charger la barque (surévaluer l’ITT) pour faire payer l’auteur présumé des faits, c’est-à-dire vouloir faire justice soi-même.
Merci =)